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L'artiste travaille-t-il quand il crée ?

Publié le 24/06/2009

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Un artiste est un individu qui pratique cette activité singulière qu’est l’art. Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de J ean-Jacques Rousseau. Aujourd’hui, par art nous entendons plutôt une activité créatrice gratuite, mais sérieuse, qui représente dans des œuvres un état de la sensibilité et de la pensée d’une époque, en s’opposant à la fois à la disgrâce qui frappe les activités techniques utilitaires, jugées serviles, et à la futilité des activités ludiques vouées au divertissement. Ni labeur, ni distraction, l’œuvre d’art incarne et suggère un sentiment de la vie.

Le verbe « travailler « désigne toute activité exercée en vue d’obtenir un résultat utile, c'est-à-dire servant valablement de moyen à la réalisation d’une fin. Plus spécifiquement, « travailler « désigne l’ensemble des activités accomplies par l’homme pour produire des biens et des services en contrepartie desquels il est rémunéré.

 

Le concept de création peut s’entendre notamment de deux manières différentes. Il y a d’une part la création entendue comme production : elle est l’œuvre d’un agent doué d’une volonté, qui fait advenir quelque chose à l’être en vue d’une fin donnée, et sans l’intervention duquel cette chose serait demeurée dans le néant. Un des problèmes posé par cette définition est le statut de l’existence : l’agent producteur fait-il advenir l’objet créé à partir du rien ? Telle est la thèse inventée et défendue par Saint Augustin, pour qui Dieu a créé l’univers ex nihilo, par la seule force de sa volonté. Mais la création comme production peut s’entendre également comme une opération de mise en forme : le créateur est celui qui agence une matière qu’il n’a en revanche pas créée. Platon dans le Timée expose cette idée en évoquant une création du monde sur le modèle de l’artisanat : le créateur est celui qui modèle la chora, donné brut qu’il change en matière organisée. Le second concept de création est celui d’événement. La création ne désigne que le passage d’un état à un autre, du rien au quelque chose, sans que l’on puisse imputer cette translation à un quelconque agent. Le problème que pose ce concept n’est pas celui de l’existence, mais celui du temps : à quel moment se produit ce passage du rien au quelque chose ? Le monde a-t-il été créé à un moment donné, identifiable ? Ou s’agit-il d’une opération atemporelle qu’il n’est pas besoin de dater, de justifier ?

 

Lorsque nous posons la question « l’artiste travaille-t-il quand il crée ? « nous nous interrogeons d’une part sur la nature de l’activité exercée par l’artiste, et d’autre part sur l’identité particulière de ce dernier. En effet, chercher à savoir si l’artiste travaille quand il crée revient à déterminer si l’activité de l’artiste est assimilable à un travail et si ce dernier n’est lui-même, contrairement à toutes les mythologies qui agrandissent sa figure, qu’un travailleur parmi les autres.

La question au centre de notre travail sera donc de savoir si l’activité de l’artiste fait de lui un travailleur parmi les autres.

 

« b.

La technique artistique est assimilable à la technique des arts manuels Allant plus loin, nous dirons que l'artiste travaille quand il crée, dans la mesure où l'activité de l'artiste est de mêmeque toute autre activité de production la mise en œuvre d'une technique.

En effet, l'activité artistique estentièrement assimilable au travail de ce point de vue, puisque ces deux activités sont productrices d'artefacts.Allant plus loin, il semble même que nous pouvons les assimiler en raison de l'identité de leurs procès.

Au même titreque le travail, régi par des règles reproductibles et rationnelles que l'on nomme une technique, l'activité artistiqueest inséparable d'une telle dimension.

Pour peindre, l'artiste doit connaître la nature des pigments qu'il emploie, cellede sa toile, avoir des connaissances de la nature de la lumière, acquérir une technique de dessein par l'intermédiairede l'enseignement d'un maître.

Certes, on pourra nous opposer que la technique de l'artiste est distincte de celle del'artisan, dans la mesure où il ne suffit pas de posséder une technique pour être un véritable artiste.

En dépit decette différence, il demeure que l'artiste a bel et bien besoin d'être guidé à la manière d'un apprenti, notamment parla lecture de conseils émanant de confrères plus accomplis que lui-même.

C'est ainsi que des règles dirigeant letravail indépendant peuvent être transmises d'un artiste confirmé à un artiste débutant : tel est le cas de Rilke dansses Lettres à un jeune poète et de Baudelaire, dans ses Conseils aux jeunes littérateurs qui fournit aux auteurs en herbe de véritables préceptes pour guider le travail artistique, une hygiène de vie aux créateurs en herbe.

Si l'art nepeut s'enseigner, au sens où il n'est pas réductible à une technique qui fait d'un élève l'égal de son maître lorsqu'il l'aacquise, du moins l'art peut être guidé, dirigé, et des préceptes énoncés.

Tel est le cas de la devise de Watteau,offerte à la méditation de ses successeurs : « Se Esse », c'est-à-dire, « deviens toi-même ».

Par conséquent, nousdirons que l'activité artistique est assimilable au travail en raison de l'identité de leurs fins et de leurs procès.

II.

La création artistique est fondamentalement distincte du travail : l'artiste est un homme à part a.

L'irréductibilité de l'artiste à l'artisan Cependant, nous ne pouvons nous en tenir à cette conclusion.

En effet, si l'activité artistique produit des artefactsau même titre que le travail, une distinction un peu fine de la nature de ces produits interdit d'assimiler les activitésqui leur donnent naissance.

Dans son ouvrage Conditions de l'Homme moderne , chapitre III, « Le Travail », Hannah Arendt montre bien la différence des produits du travail et de l'activité artistique : « Tout ce que produit le travail est fait pour être absorbé presque immédiatement dans le processus vital, et cette consommation, régénérant le processus vital, produit – ou plutôt reproduit- une nouvelle « force detravail », nécessaire à l'entretien du corps.

Du point de vue des exigences du processus vital, de la « nécessité desubsister », comme disait Locke, le travail et la consommation se suivent de si près qu'ils constituent presque unseul et même mouvement qui, à peine terminé, doit se recommencer ».

Conditions de l'homme moderne , p.

145- 6.

Malgré la possibilité d'une identification entre l'artiste et l'artisan, nous pouvons néanmoins les distinguer.

En effet,le propre de l'artiste est que son activité ne peut être enseignée : l'artisan fonctionne par reproduction d'unetechnique ; l'artiste par variation et renouvellement de la technique héritée de ses prédécesseurs.

D'autre part, lesproductions de l'artiste ont une pérennité plus grande, et sont associées à un nom, une signature, car elles sontextériorisation de l'intériorité d'un individu, et non application mécanique de règles impersonnelles, comme c'est lecas chez l'artisan.

De ceci nous pouvons donc tirer la conclusion suivante : l'artiste ne travaille pas lorsqu'il crée, ilse livre à une activité fondamentalement distincte de celle de l'artisan puisque les produits qu'ils génèrent sont ende très nombreux points incomparables.. »

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