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Le beau est-il toujours bizarre ?

Publié le 20/07/2005

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Le beau équilibré est l'aboutissant des recherches de « l'âge expérimental ». Or, à cette période de « l'âge expérimental », on constate des tâtonnements qui sont encore loin de la rectitude classique et qui souvent frisent le bizarre. C'est ainsi, comme le remarque H. FOCILLON, que, dans l'art musulman dont les combinaisons géométriques semblent cependant « engendrées par un raisonnement mathématique », « une sorte de fièvre presse et multiplie les figures; un étrange génie de complication enchevêtre, replie, décompose et recompose leur labyrinthe ». De même, dans la sculpture romane, « la forme abstraite sert de tige et de support à une image chimérique de la vie animale et de la vie humaine, où le monstre, toujours enchaîné à une définition architecturale et ornementale, renaît sans cesse sous des apparences inédites... Il se dédouble, s'enlace autour de lui-même, se dévore » (Ouv. cité, p. 12). Même dans l'art le plus classique, il y a, nous dit le même auteur, une sorte de « sorcellerie manuelle qui ne saurait se comparer à rien d'autre ». A plus forte raison, dans l'art baroque, les formes vivent pour elles-mêmes, « elles se répandent sans frein, elles prolifèrent comme un monstre végétal ».

Bien souvent lorsque le Beau nous paraît "bizarre", il semble que nous ne puissions pas le comprendre, le saisir, lui donner du sens: si le beau est bizarre est-ce parce qu'il n'a pas de sens? Dans quelle mesure le beau qui est souvent synonyme d'harmonie, de rigueur, de régularité, de canons peut-il soudain nous apparaître comme "bizarre"? Le bizarre n'est-ce pas ce qui nous choque? N'est-il pas un excés de sens, un trop plein de sens? Quelles réactions adopter à l'égard de ce qui ne délivre pas son sens tout de suite?

 Introduction. Le terme beau peut s'entendre en deux sens légèrement différents : un sens large (et quelque peu impropre), où il désigne toutes les valeurs esthétiques en général, et un sens strict.

 

« Il existe beaucoup d'autres catégories esthétiques que le beau, il y a le grotesque, le merveilleux, le comique, lemonstrueux, le laid, la caricature le tragique, le sublime.

Dès lors, se demander si le beau peut être bizarre, ensomme rentré dans les catégories que l'on vient d'énoncer serait quelque peu contradictoire.

Le beau appelle-t-ilune autre façon de voir les choses qui romprait avec nos habitudes ordinaires.

1) Le beau comme norme, comme conformité.

Le beau formel apparaît toujours comme étant inexplicablement juste : une de ses plus antiques définitionsattribuée à Polyclète se fondait précisément sur sa dépendance à l'égard de minimes transitions ; et l'on peutencore citer Alberti dirigeant à distance une construction qui réclamait l'observance exacte de son dessin, car lamoindre altération « désaccorderait toute cette musique » ! On sait que Polyclète avait laissé une statue-manifesteet un traité désigné par la postérité comme le canon.

S'y trouvait développée la notion de symmetría, c'est-à-dire lacommensurabilité des parties par rapport au tout, dont le premier champ d'application est le corps humain, créantune anthropométrie qui devait faire son chemin jusqu'à Vitruve et jusqu'à la Renaissance.

Pour les Anciens, en effet,peinture et sculpture se rangent parmi les activités techniques, et rien ne les valorise par rapport aux autrespratiques artisanales.

Elles sont des « arts » au sens classique du terme, c'est-à-dire un ensemble de règles et derecettes dont la mise en œuvre produit un résultat spécifique et déterminé au préalable.

Ainsi que J.

B.

Corneille,après avoir averti que « les Proportions qui plaisent à tout le monde sont celles de figures antiques, dont le goût, lacorrection et la pureté ont une approbation générale », propose, tour à tour, les types de l'Hercule Farnèse, duMéléagre et de l'Apollon du Belvédère ; mais, en sus des proportions exemplaires, il ne manque pas d'introduire lecaractère comme ingrédient essentiel du beau ( Les Premiers Éléments de la peinture pratique , 1684).

Aussi, l'art égyptien, antique, classique s'est évertué à ne pas produire un art qui choque, un art bizarre, mais au contraireconforme aux proportions et aux canons en cours.

Mais cela serait retirer à l'art une certaine part de magie, uneforce mystérieuse.

2) Le beau surprend car il a une certaine magie.

Pour Platon, l'art est magique, d'une magie qui délivre de toute superficialité ; il est folie, délire ( Phèdre , 245 a), mais en cela il nous ravit dans un ailleurs, dans un au-delà, dans le domaine des essences.

Loin derésider exclusivement dans l'objet, dans le visible, le Beau est, en soi, condition de la splendeur du visible et, à cetitre, idéal dont l'artiste doit se rapprocher ; d'où le thème de la mimèsis .

De la beauté des corps à celle des âmes, de celle des âmes à celle de l'Idée, il y a une progression, qu'énoncent les textes de l' Hippias majeur et du Phèdre et que ramasse la dialectique du Banquet et de La République ; mais il faut noter que l'Idée du Beau est seule à resplendir dans le sensible ; seule capable de séduire directement, elle est distincte des autres Idées.

D'où lacomplexité de l'esthétique platonicienne.

Car, d'un côté, l'art ne peut être que second par rapport au Vrai ou au Bienet le Beau est en désaccord avec le Vrai et le Bien, puisqu'il apparaît dans le sensible ; pourtant, ce désaccord estheureux, et le Beau rejoint le Vrai parce qu'il révèle ou désigne l'Être au sein du sensible ; et l'art, s'il peut et doitêtre condamné, en ce que l'imitation des Idées telle qu'il l'accomplit est toujours de second ordre, mérite cependantd'être pris en considération en ce qu'il est médiation : par lui s'articule la différence entre sensible et non sensible.Le beau surprend dans le cadre platonicien, il fait irruption dans le monde « normal » et ouvre des perspectives depensée inédites, il ouvre au monde intelligible.

Dans ce sens, il surprend, il prend littéralement l'individu pourl'emmener vers un autre monde.

Mais peut-on pour autant dire que le beau est bizarre, qu'il demeureincompréhensible ou ouvre-t-il simplement sur un autre monde qui rompt avec notre monde quotidien ? L'œuvre d'art rompt avec la présence des objets ordinaires…une source de bizarrerie ? Le mystère de la beauté interroge celui de l'union de l'âme et du corps, le mystère du connaître, de l'espérance, lemystère de l'amour, de la présence, de l'être.

Selon Gabriel Marcel « Quand je dis qu'un être m'est donné commeprésence ou comme être (cela revient au même, car il n'est pas un être pour moi s'il n'est une présence), celasignifie que je ne peux pas le traiter comme s'il était simplement posé devant moi ; entre lui et moi se noue unerelation qui, en un certain sens, déborde la conscience que je suis susceptible d'en prendre ; il n'est plus seulementdevant moi, il est aussi en moi ; ou plus exactement, ces catégories sont surmontées, elles n'ont plus de sens.

» On pourrait croire, en lisant par exemple tel traité de scolastique sur le statut de l'art humain, que toute œuvre, àcondition d'être belle, participerait de la Beauté considérée comme qualité transcendantale et ainsi travaillerait à« exprimer » le divin, tout simplement.

Et telle serait la teneur « théologique » de toute création artistique.

On nepeut ramener tout le sacré à l'être en tant que tel.

L'expression de l'intelligible dans le sensible ne peut suffire à. »

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