Devoir de Philosophie

Le Classicisme de Baudelaire ?

Publié le 02/04/2009

Extrait du document

baudelaire

« C'est un idéaliste exalté «, s'exclamait-on dans le petit cercle d'intimes où l'on fêta la publication des Fleurs du Mal. Dans le même temps, le procureur impérial Pinard flétrissait le « RÉALISME grossier et offensant pour la pudeur « de cette œuvre. Et pourtant, la plupart des critiques voyaient là un ultime surgeon du Romantisme moribond : un bouquet de fleurs fanées, pourries avant d'éclore. Enfin, puisque nous dressons un tableau de la situation de famille de notre auteur, ce fils du Romantisme n'est-il pas le père du Symbolisme, le grand-père du Vers-Librisme, voire le bisaïeul du Surréalisme ? Dès lors, qu'y a-t-il de surprenant à ce que Valéry l'appelle classique ? Sans doute est-il paradoxal de parler de classique pour le poète qui s'écarte si délibérément des sentiers battus mais aussi n'est-ce pas le propre des grands esprits d'être soumis à une infinité d'interprétations divergentes ? Irréductibles à toute étiquette, ils englobent toutes les écoles. Goethe n'est-il pas « tout « à la fois ? N'y a-t-il pas vingt visages dans Shakespeare ? De même nous pouvons choisir notre Baudelaire et pour reprendre le mot que Valéry lui-même appliquait à Descartes : « La pluralité des BAUDELAIRE plausibles est un fait «.

Le sens le plus courant que l'on accorde au mot de classique, c'est précisément ce qui jure le plus avec la personnalité, l'œuvre et les goûts de Baudelaire : c'est celui de connu, de considéré, d' « auteur ancien fort approuvé « comme déclare naïvement le premier dictionnaire de l'Académie. Mais d'abord, ce sens n'est pas exclusif de tout autre : il n'est même pas certain qu'il soit exact, en toute rigueur, car enfin on peut concevoir un auteur et ancien et connu qui ne serait pas classique pour autant et qui serait Romantique par exemple.

baudelaire

« commun une sorte de démon intérieur bien loin de la DEMONE de Chateaubriand, (cet aiguillon de son outrecuidantorgueil), mais qui n'est pas sans lien avec le BON GÉNIE de Socrate : et ce dernier les force à se regarder, à seraisonner, à se retenir.

Bien plus, ils « ironisent » tous sur leurs écrits ou sur leurs actes, en se dédoublant, en seprenant à partie, comme faisait Villon dans son fameux Dialogue du cœur et du corps, comme feront Mallarmé ouValéry lui-même, qui tous deux imitaient Baudelaire en cela. Car c'est bien en cela que Baudelaire est classique : ce « surromantique » en tant de points, pour hasarder un motqui semble assez lui convenir, a paru à d'aucuns renouer la plus pure tradition classique, témoins Leconte de Lisle ouBarrés.

Sans doute ceux-ci devaient-ils penser surtout à sa forme impeccable et parachevée mais la plus grandevertu du jugement de Valéry est de réhabiliter le fond de son œuvre, en y décelant cette part de critique. Or, sur ce point, tous les critiques sont d'accord, et même tandis que la plupart des classiques sont des espritsfroids qui s'examinent en toute justice, Baudelaire, lui, se juge avec iniquité.

Les classiques se corrigent, lui setorture. Il n'est que de se rappeler le poème troublant intitulé l'HEAUTONTIMOROUMENOS : le poète, y montre une sorte demasochisme critique, une atroce clairvoyance à se juger plus qu'une joie amère à se condamner. .« Je suis de mon cœur le vampire Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés Et qui ne peuvent plussourire.

» Son ironie auto-critique est immense : il ne peut s'empêcher d'en parler bien souvent, nous avouant qu'il s'est crééun « confessionnal du cœur » qu'il apporte à se juger « un soin inquisitorial » dans les PARADIS ARTIFICIELSnotamment ; « Combien trouverait-on dans le monde d'hommes aussi habiles à se juger aussi sévères à secondamner » ? demande-t-il assez ingénument.

Mais rien n'est plus exact : on croirait qu'il se dédoublecomplètement au point que l'un de ses deux Moi examinerait l'autre comme s'il était un objet ou, mieux, comme sic'était autrui — Baudelaire qui se voie et se juge lui-même avec les yeux d'autrui : c'est le triomphe de l'auto-critique. M.

Sartre a donné de cette manœuvre intérieure des explications aussi subtiles que pénétrantes, mais on ne sauraitdire qu'il a forcé ou exagéré le mécanisme de l'âme baudelairienne.

Qu'on se rapporte à l'Examen de Minuit auVoyage à Cythère, à tant d'autres symboles aisément traduisibles où revient ce « leitmotiv » : « Ah ! Seigneurdonnez-moi la force et le courage De regarder mon corps et mon cœur sans dégoût ! » Il y a là une ironie très profonde, très poussée : elle n'a plus rien à voir avec le comique mais s'applique seulement àune destruction systématique de tout ce qui pourrait être pris au sérieux dans sa vie comme dans son œuvre, dansson cœur comme dans son corps.

Cette féroce raillerie, cette « ...

vorace IronieQui (le) secoue et qui (le) mord.

» Cette ironie à laquelle Baudelaire mettait une majuscule, nul classique ne l'a possédée à ce point.

Valéry parlait deson SCEPTICISME.

C'est y trop peu dire : à notre sens il faudrait ajouter un « hyper » ou un « super » ; «Hypercritique », « hyper-sceptique ».

Baudelaire nous paraît être, si l'on nous passe ces expressions, un « superclassique » à cet égard.

En fait, il n'est rien à demi.

Mais Baudelaire n'est pas seulement, comme nous l'avons vu,intelligent dans sa critique de lui-même : c'est aussi un critique intelligent.

Parmi les critiques les plus remarquablesdu XIXe siècle, qui en compta beaucoup, et des meilleurs, il figure au tout premier rang, allant de pair avec Sainte-Beuve comme l'a fort bien noté Thibaudet qui prisait ses ouvrages critiques au même titre que ses œuvres de poésiepure.

En fait, la critique occupe, dans son œuvre totale, un peu plus de place que la poésie elle-même.

CommeValéry, il a publié un seul livre de vers pour plusieurs volumes de littérature.

Sans doute y a-t-ii plus de déchetsdans ceux-ci que dans celui-là.

Mais son étude sur Madame Bovary reste un chef-d'œuvre, inégalée par toutes lesexégèses de Flaubert parues depuis cent ans.

Les quelques pages qu'il a consacrées au Rire et les centaines defeuilles qu'il a écrites sur l'Art Romantique sont tout à la fois vives, incisives et définitives.

Enfin, il n'a pas peucontribué à renverser les barrières qui isolaient les grandes activités artistiques.

(Peinture, Musique, Littérature),grâce à ses articles extraordinairement pénétrants et d'une actualité encore étonnante sur Tannhäuser ouDelacroix.

Diderot fait figure d'homme des cavernes devant ce Baudelaire premier critique d'art moderne.

Dès lorsque sert de demander s'il fut sagace ou pénétrant concentré ou réfléchi et s'il eut éminemment une « facultéraisonneuse » de critique ? Tout cela va de soi, point n'est besoin d'y insister.

« Mais, dira-t-on en vous accordantle classicisme de Baudelaire selon Valéry, l'est-il pour autant selon tous les critiques ? ».

Suivant Goethe il est saincar ce n'est pas parce que son corps fut malade qu'il faut minimiser son esprit ou son cœur et toute son œuvre nefut au fond qu'une purification.

Suivant Buffon, rien n'est plus aisé que de montrer l'UNITÉ de son ouvrage dans sonton, son inspiration, son aspiration.

Mais telle est la prudence de Paul Valéry qu'il atténue son jugement en prenantgarde de préciser : « Baudelaire PEUT quelquefois faire FIGURE d'un classique ».

Voilà qui est décisif : définissonsautrement le classique et le classicisme de Baudelaire n'est plus.

Mais qu'importe ? Ce n'était qu'une figure et lafigure du Baudelaire que nous concevions (comme Valéry peut-être la concevait un peu aussi).

C'était là notreBaudelaire.

A ceux qui ne l'ont pas reconnu, nous dirons : quel est à vous votre Baudelaire ? A la limite, il n'est d'auteur que de classique et si l'on prend d'une façon générale la définition de Valéry tous lesRomantiques rentreront pêle-mêle dedans car tous montreront un Boileau comme un alibi qu'ils auront caché sous. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles