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Le conflit est-il une dimension originaire vis-à-vis d'autrui ?

Publié le 01/03/2004

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Le conflit est-il une dimension originaire vis-à-vis d'autrui
Les rapports avec les autres sont ceux que des sujets sont amenés à entretenir les uns avec les autres. Demander s'ils sont de l'ordre du conflit, c'est demander s'ils sont de nature à être vécus sous le mode d'une opposition susceptible en permanence de déboucher sur une lutte plus ou moins violente.  Au vu du problème ainsi posé, on peut tenir pour admis d'une part que la relation avec les autres est une relation vitale et existentielle, qui peut être d'ordre conflictuel, et d'autre part que certains philosophes (comme Jean-Paul Sartre) l'ont pensée comme étant nécessairement conflictuelle, s'opposant à d'autres penseurs ayant perçu d'autres formes de rapports. Ainsi, l'aspect très controversé du problème est clairement sous-entendu dans la question.  En se demandant si le conflit est inévitable dans les rapports avec les autres, il y va de la nature des relations que nous pouvons avoir avec eux. Mais, plus largement, c'est l'éthique de notre civilisation qui est en jeu. Il y va en effet des principes, tant moraux que politiques, susceptibles de réguler à défaut de l'endiguer, le fond de violence sur lequel s'édifie la civilisation.  Nous sommes ainsi amenés à nous demander si d'autres relations sont envisageables et si le conflit - rapport prédominant jusqu'en ce siècle - n'en constitue pas une pathologie majeure. Enfin, il conviendra de se demander quelle est l'attitude qu'il serait bon et légitime d'adopter dans notre relation aux autres. 

« des trois ans, l'enfant identifie l'autre dans son altérité de sujet avant de s'identifier lui-même comme autre de cetautre que lui-même, affirmant et construisant sa personnalité individuelle CONTRE tout ce qui pétend lui dicter saloi.

L'adolescent ne procède pas autrement lorsqu'il passe par la crise de croissance de sa personnalité adulte,appelée "crise d'originalité juvénile" par Debesse.

On peut ainsi considérer, avec Johan Fichte (1762-1814), que "lemoi se pose en s'OPPOSANT au non-moi". Remarquons d'ailleurs qu'une fois posée sa propre existence, le sujet humain ne tarde pas à faire preuve d'unégocentrisme radical, dont témoigne l'usage du mot "autrui", en ceci qu'il définit l'autre exclusivement par rapport àsoi en le distinguant de soi comme n'étant pas soi.

Sous couvert de neutralité, le mot "autrui" véhicule l'idée d'unepriorité, et ainsi d'un privilège du "moi" par rapport aux autres : "je" passe avant "l'autre" ! D'ailleurs, pour Jean-PaulSartre (1905-1980), c'est ce souci premier de soi qui nous condamne au conflit.

Sartre met en évidence le fait qu'unsujet fait systématiquement de l'autre un objet, et que, l'autre agissant de même, deux "ego" ne peuvent ques'affronter.

Si je veux passer avant les autres, je me heurte nécessairement à eux, car les autres voudront aussipasser avant moi.

Sartre qui apparaît comme étant, en notre siècle, le théoricien le plus affirmé des relationsconflictuelles avec les autres, décrit dans Huis-Clos, la nature foncièrement conflictuelle des relations humaines.Pour le philosophe existentialiste, "l'enfer, c'est les autres".

Chacun est le bourreau de l'autre, qu'il torture en lesoumettant constamment à son jugement, en le condamnant pour ainsi dire à mort du seul fait qu'il le fige dans sonessence, et le prive ainsi de son existence.

Or, pour répondre au bourreau qui nous "chosifie", la seule issue possibleest la riposte.

Je vais lui rendre son regard assassin, et dès lors le conflit entre nous est inéluctable ! Sartre enconclut que "l'essence des rapports entre les hommes n'est pas la Communauté, c'est le CONFLIT." Le fait qu'autrui me juge et que chaque homme souhaite exercer sa puissance sur l'autre engendre en somme unerelation qui semble devoir être nécessairement conflictuelle.

"Homo homini lupus", la formule de Plaute et d'Erasme,reprise par Hobbes, illustre à merveille cette hypothèse.

Si chaque être a pour ambition de dominer autrui, de se l'approprier (d'en faire "l'Anschluss"), cela tient originairement, comme la vuHobbes, à l'égalité des potentialités des hommes.

Le philosophe anglaisThomas Hobbes (1588-1679) affirme en effet que "de cette égalité desaptitudes découle une égalité dans l'espoir d'atteindre nos fins.

C'estpourquoi, si deux hommes désirent la même chose alors qu'il n'est pas possiblequ'ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis : et dans leurpoursuite de cette fin, chacun s'efforce de détruire ou de dominer l'autre."(Léviathan).

En somme la similarité du désir semble être un facteurdéterminant du conflit, qui engendrerait la violence.

Mais est-ce une réalitéquelconque, un objet neutre a priori que l'on désire, ou bien n'est-ce pasplutôt l'objet que l'autre possède ? N'y a-t-il pas au fond chez l'homme unmimétisme d'appropriation ? N'est-ce pas à la vue de ce qu'autrui possèdeque mon propre désir s'éveille ? Lorsqu'un bambin réclame un jouetquelconque, c'est bien souvent parce qu'il l'a vu dans les mains d'un de sescamarades.

René Girard, né en1923, qui a théorisé ce mimétisme du désir,parlait d'un "désir triangulaire", relation de deux sujets à un même objet.

Parle canal de son désir, autrui me dicte le mien et canalise ainsi mon affectivité.La conséquence de ce phénomène est gravissime et explique l'aspect souventconflictuel de nos rapports aux autres, puisqu'il débouche sur la violenceappropriative.

En quelque façon, je vais m'opposer à autrui pour m'emparer de ce qu'il possède, et ainsi entrer en conflit avec lui.

Précisons enfin que cette théorie réconcilie Freud et Sartre avecRousseau, en cela qu'elle montre que l'homme n'est pas naturellement méchant (ce qui permet l'existence de larelation de sympathie, analysée précédemment), mais qu'il se comporte pourtant comme s'il l'était.

Pareille situationtient fondamentalement à l'indétermination originaire du désir, qui nous rend sujets à l'hostilité.

En somme, sans quel'hostilité soit naturelle à l'homme, elle s'avère omniprésente dans les rapports aux autres. Il convient dès lors de se demander si notre civilisation individualiste, dont l'émergence semble contemporaine decelle du romantisme, caractérisée en ce siècle par la SYSTÉMATISATION DU CONFLIT à tous niveaux, respecte bienles normes relatives aux relations humaines, qui leur permettraient d'échapper au conflit ou, mieux encore, de leprécéder en le prévenant.

Il y va ici notre aptitude à la civilité ! Les fondements individualistes de notre civilisationsont, malheureusement, propices aux conflits.

On touche ici au domaine social et politique, et il serait pertinentd'évoquer le phénomène de la LUTTE des classes, décrit par Karl Marx (1818-1883) et Engels, phénomène quimontre à quel point le souci prédominant de l'intérêt des uns au détriment de celui des autres, qui réagissent eux-mêmes en fonction de leur seul intérêt, engendre maints conflits sociaux ! Au lieu de définir l'autre par rapport à soiet de vouloir le dominer (comme ce fut le cas des propriétaires bourgeois avec les prolétaires, selon Marx), neserait-il pas plus légitime de se définir soi-même par rapport à l'autre, puisque nous lui devons l'essentiel ce quenous sommes et possédons ? Alors qu'en réalité nous n'avons que des dettes et des devoirs envers les autres,chacun de nous préfère cultiver ses droits en négligeant ses devoirs. Il conviendrait de nous convaincre que nous sommes les "obligés" les uns des autres, que nous avons trèsclairement une responsabilité et des devoirs majeurs les uns à égard des autres, sans qui nous ne serions rien.Malheureusement, le "nombrilisme individualiste" , forme moderne de l'égocentrisme, nous fait oublier combien nousdevons à autrui, et met dangereusement en péril nos rapports avec lui dans un climat revendicatif propice àl'hostilité.

Sans renier l'existence de conflits susceptibles d'être enrichissants, comment ne pas penser que l'hostilitésystématique à l'égard des autres se retourne à chaque fois contre nous, en nous empêchant de progresser. »

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