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Le despotisme est-il encore possible dans le monde moderne ?

Publié le 13/11/2009

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Pour qui la regarde d'un œil critique, l'Histoire un peu ancienne ressemble beaucoup au Macbett de Ionesco : un despote règne sur un pays, vite renversé et remplacé par un ambitieux qui se montre rapidement plus méchant, plus cruel et plus despotique que lui; quand celui-ci est enfin renversé à son tour et non sans peine, son successeur qu'on espérait bon annonce qu'il mettra toute son énergie à se montrer encore plus méchant, plus cruel et plus despotique que le tyran qu'il vient de chasser.  Pourtant la Déclaration des droits de l'Homme affirme que « tous les hommes naissent libres et égaux en droit... « et un hymne révolutionnaire invite les tyrans à « descendre au cercueil «. Faut-il en conclure que le despotisme a vécu, qu'il a connu avec la Révolution Française le commencement de sa fin et que l'existence actuelle dans le monde de pouvoirs despotiques ne représente qu'une survivance anachronique que finira par balayer le vent de l'Histoire? Tel ne semble pas être l'avis de Tocqueville quand, dès 1840 et les dernières pages de la Démocratie en Amérique il prévoit pour nos siècles démocratiques un autre despotisme, « une espèce d'oppression qui ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde «. Pouvons-nous, plus d'un siècle après cette prophétie, lui apporter des éléments de réponse, autrement dit, le despotisme est-il, comme l'affirme Tocqueville, encore possible dans le monde moderne ?

« redouter par-dessus tout le désordre matériel.

(Pour prendre un exemple plus récent, ce qui a le plus inquiété lesgens lors des émeutes du mois de mai 1968 ce n'est pas tant la crainte d'un changement de régime que la peur devoir leurs biens, et particulièrement leurs automobiles, souffrir ou être détruits à cette occasion.) C'est pourquoil'homme égalitaire qui est faible car isolé confie le soin de sa sûreté et de celle de ses biens à l'État et va jusqu'à luiaccorder pour cette tâche des pouvoirs exorbitants pour sa liberté individuelle.On comprend dès lors pourquoi, quand une ample tradition de liberté n'existe pas dans un pays pour mettre un freinà ce transfert de pouvoir, c'est-à-dire quand l'égalité se développe chez un peuple qui n'a jamais (ou pas depuis unlong temps) connu la liberté, l'État atteint tout d'un coup les extrêmes limites de sa force.

Si nous voulons unexemple historique, songeons à la Russie ou à la Chine découvrant l'égalité avec la venue au pouvoir descommunistes et n'ayant eu, sous les Tsars ou les Européens aucune liberté pendant de longs siècles. * * * Si nous comparons donc maintenant le pouvoir d'un despote ancien tel un empereur romain ou d'un souverain absolucomme Louis XIV avec celui d'un.

État moderne, nous constatons que le premier est extrêmement visible, mais limitédans une large mesure par l'existence de pouvoirs secondaires comme celui de traditions à respecter, ou de pouvoirsintermédiaires entre lui-même et les administrés comme l'étaient les pouvoirs locaux que le despotisme moderne etcentralisateur élimine radicalement; que celui-ci au contraire, n'ayant en face de lui aucun autre pouvoir puisquel'égalité isole et affaiblit les hommes, divise pour régner, se réservant même la possibilité d'autoriser ou non lesassociations, voire de les contrôler, bref, pour être invisible règne cependant sans partage.Ainsi le pouvoir souverain s'accroît d'autant plus que les souverains sont moins stables : c'est le pouvoir en soi quiest le despote et non son titulaire.

Le grand écrivain allemand Ernst Jünger a pu écrire : « l'État de nos jours modèlenotre existence jusqu'en ses détails.

Ses prétentions font reculer toutes les autres.

Il est le lion qui n'exige passeulement la première part, mais tranche aussi de la répartition du reste », ou disait déjà Tocqueville, legouvernement est devenu, du fait du désir général de l'homme démocratique, « un pouvoir unique, simple,providentiel et créateur ».C'est ainsi que l'État prend en charge non seulement les affaires publiques (santé, éducation, etc.) mais pénètreaussi de plus en plus dans les affaires privées, règle des actions de plus en plus petites, minutieusement,rigoureusement.

Comme disent les Anglais de l'État-Providence, il veille sur eux « from womb to tomb ».

Quand on litle roman de Franz Kafka le Procès on est saisi par l'absurdité à laquelle conduit en dernier ressort cette toutepuissance de l'administration.

En effet, dit encore Tocqueville, « c'est surtout dans le détail qu'il est dangereuxd'asservir les hommes », car le propre de l'homme, c'est le libre-arbitre, donc l'imperfection puisque l'erreur esthumaine, et c'est cela qui est menacé par la puissance grandissante de l'État et surtout par la perfectiongrandissante de l'État: la perfection rend la liberté superflue; l'ordre rationnel élimine le choix.La dépendance de l'homme moderne est donc infiniment plus étroite que celle de l'homme du passé, elle est mêmede plus en plus étroite, mais ce pouvoir exorbitant de l'État n'est pas toujours ressenti comme un despotisme, cardans l'évolution qui y conduit réside une large part humaine : si les hommes démocratiques renoncent à se dirigereux-mêmes ce sont eux toutefois qui sont supposés choisir leurs guides.

Tocqueville écrit : « Ils se consolent d'êtreen tutelle, en songeant qu'ils ont eux-mêmes choisi leurs tuteurs.

» Tiraillé entre deux passions ennemies, l'envie derester libre et le besoin d'être conduits, les hommes accordent toujours le primat à la sécurité : songeons à lamanière dont au moyen âge les paysans aliénaient leur liberté en vue d'être défendus par leur seigneur contre desattaques éventuelles, ou à l'importance du budget de défense aujourd'hui encore dans la plupart des pays.

C'esttoutefois ce désir de sécurité qui peut les jeter dans l'aventure en choisissant mal leur guide, en prenant pour un «garant de l'ordre » un fauteur de troubles et de guerres qui soutenu par l'efficacité des mécanismes de, l'État pourrales conduire à leur perte et remplir le monde de bruit et de fureur.Mais si la part humaine existe dans l'évolution qui a conduit au despotisme moderne et sans limite de l'État, c'estbien plus encore le mouvement même de l'Histoire qui, inexorablement, conduisait à ce despotisme.

Encore qu'il nepense pas le déterminisme historique avec la rigueur d'un Hegel ou d'un Marx, Tocqueville voyait déjà que la classeindustrielle apportait le despotisme dans son sein dans la mesure où les équipements collectifs et les travauxd'envergure, du fait de leur ampleur même devenaient de plus en plus l'œuvre de l'État et qu'ainsi, c'est le souverainlui-même qui « devient le plus grand des industriels ».

Depuis, le développement incroyable de l'industrie etl'application à tous les domaines de la technique planétarisée ont décuplé les moyens despotiques de l'État : lapossibilité matérielle pour les États de surveiller et de mettre en fiches des millions d'individus grâce aux ressourcesde l'informatique achève la transformation des moyens de domination et de répression que décrit Michel Foucaultdans son dernier ouvrage Surveiller et punir.

A une société où la surveillance du pouvoir central était quasiment nullemais où la publicité du châtiment et l'exemplarité de la peine étaient portées à leur maximum a succédé une sociétéoù le châtiment est insidieux ou détourné (que l'on songe aux asiles psychiatriques en URSS où sont soignés lescontestataires considérés comme des malades et non comme des coupables) mais où au contraire la surveillancedespotique de l'État est de tous les endroits et de tous les instants. * * * Il apparaît donc, comme l'écrivait déjà Tocqueville en 1840, que « le despotisme soit particulièrement à redouterdans les âges démocratiques ».

Hitler ou Staline fourniraient d'assez bons exemples historiques de cette proposition.Mais le pire est peut-être encore à venir.

Si le fait pour les hommes d'être « libres et égaux » crée entre ces deuxqualités une dialectique qui se résout généralement pour eux par une égalité dans la servitude vis-à-vis de l'État, lesÉtats à leur tour sont entraînés dans une vaste aventure dont ils ne possèdent pas la maîtrise : qu'il soit interprétécomme aboutissant à un âge d'or sur la Terre, comme le veulent les marxistes, ou suivant tout autre schéma, c'estbien le mouvement même de l'Histoire qui est le despote suprême, celui par rapport auquel les autres despotismes. »

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