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LE SENS ESTHÉTIQUE

Publié le 06/04/2011

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Le mot sens est pris en différentes acceptions qu'il convient de rappeler avant de savoir ce que lui apporte l'épithète de esthétique, qui s'y joint ici. Le sens est d'abord ce qui exprime une fonction sensorielle avec les tendances qui s'y rattachent, et par conséquent aussi la connaissance intuitive que permet cette organisation de notre activité. C'est ce que remarque Lachelier lorsqu'il note : Ce sens est une véritable activité, ou si vous voulez, une tension vitale qui va au-devant de l'objet extérieur. L'œil appelle vraiment la lumière, et c'est parce qu'il l'a appelée qu'il en jouit. On comprend qu'il y ait, dès lors, une expérience visuelle par exemple, d'où un jugement, voire une série de jugements. Ainsi nous saisissons comment le mot sens peut ensuite désigner la faculté de juger et de juger d'une certaine façon, dans les expressions : bon sens, sens commun; comment, aussi, l'intelligence spontanée que nous pouvons avoir d'un quelconque ordre de choses se nomme encore sens, comme dans l'expression : avoir le sens des réalités.

« avons déjà eu l'occasion de rapprocher (p.

9).

Par là aussi nous comprendrons le sens de ce mot d'Alain dans lapremière de ses Vingt leçons sur les Beaux-Arts : Je dois seulement avertir que j'essaierai de réintégrer le sublimedans le beau.

Nous voyons comment il peut, en tout cas, s'y trouver au départ, si l'on essaye de dégager les pointsd'appui du sens esthétique : le sentiment de la nature et le sentiment du moi et de son instabilité. Ces deux sentiments vont d'ailleurs de pair en quelque façon, bien que, selon les époques et les écoles, l'expressionde l'un ou de l'autre l'ait emporté dans les productions esthétiques; celle du premier, par exemple, à la période pré-romantique, celle du second à la période pré-classique.

Commençons par étudier le sentiment de la nature qui est,au fond, la forme la plus primitive du sentiment du moi, c'est-à-dire d'une conscience en expansion cherchant horsd'elle-même, spontanément, les raisons de son déséquilibre, mais aussi les principes de son équilibre. On ne peut contempler, écrit Taine, les grandes lignes des paysages, le calme des ombres et de la lumières la largevoûte du ciel, sans se conformer à la pensée sourde qui semble pénétrer toutes ces choses et les unir. Et un peu plus loin, dans le même développement extrait de La Fontaine et ses fables : La campagne est un poètequi fait et défait en même temps les illusions dont il nous nourrit.

C'est pour cela que la partie délicate et passionnéede notre âme ne trouve son contentement que devant elle.

C'est pour cela encore qu'elle est aujourd'hui le dernierrefuge de la beauté.

C'est vers elle que, dans le dépérissement des arts, la peinture s'est reportée.

C'est par elleque les peintres ont retrouvé l'originalité et l'invention.

C'est par elle que la poésie et la rêverie subsistent encore. Il s'agit bien du sentiment de la nature tel qu'on l'éprouve en général, tel qu'il s'est répandu dans nos sociétés et denotre temps.

Par le spectacle de la campagne, nous retrouvons un équilibre perdu et nous légitimons du même coup les vagues appréhensions, les incertitudes qui nous ont conduits là : elles s'effacentd'ailleurs ou plutôt se résolvent dans la joie que nous goûtons grâce à la perception de la belle nature.

Nousrassurons notre esprit, oublions nos états troubles dans la nouvelle hiérarchie que la découverte du beau impose ànotre conscience.

Nous sommes devenus artistes en même temps que spectateurs; nous sommes comme l'auteurdevant l'œuvre achevée et jugée satisfaisante.

En face d'elle s'objectivent des élans mal définis, et la rêveriedevient poésie.

Le beau est à la fois dans la nature et en nous-mêmes, dans l'instant où nous prenons conscienced'un rapport d'influence entre les deux termes : le moi et la nature.

En tout cas, ce rapport est une activité quiporte le sentiment esthétique, souvent mêlé d'ailleurs de ce qu'il était surtout pour le primitif : aspiration panthéiste,sens d'une intervention magique, désir de puissance accrue au delà de nos possibilités actuelles. Mais il arrive aussi que les choses ne se résolvent pas aussi facilement; et c'est alors que l'occasion est offerte d'unsondage de notre propre durée.

Pour l'artiste créateur surtout, qui se heurte aux difficultés psychologiques ettechniques de la création, la solution est à construire.

Ce moment ambigu est exprimé par le peintre EugèneDelacroix dans ce passage d'une lettre à George Sand : Ces beaux arbres, ces belles eaux me jettent dans une émotion qui me prépare à quelque chose qui ne vient pas :tout cela vous remue sans fruit.

L'imagination ravie n'est pourtant pas satisfaite.

Je regrette alors ce tourbillon danslequel l'esprit n'a pas le temps de voir ce vide, ce grand noir que nous portons au-dedans de nous. Toutes sortes de pensées se font jour alors, s'expriment sans avoir été, semble-t-il, préparées, surprennent celuiqui en perçoit la présence, bien souvent dans une confusion porteuse de troubles et de révoltes. L'inquiétude précède l'accord : c'est elle qui révèle les formes d'un moi situé en deçà de la conscience, et quipermet de poser la question d'un rôle de l'inconscient dans le sentiment esthétique.

Nous aurons, par la suite, à voircomment ces impulsions entrent dans les limites d'un domaine des beaux-arts.

Mais on peut, dès maintenant,signaler que cette diversité de nos états, représentée surtout par la fuite du temps qui nous entraîne, quiperpétuellement nous fait autre (tandis que nous rappelons celui que nous ne sommes plus, et que nous appelonscelui que nous voudrions être), cette fuite éprouvée du temps forme l'essentiel du lyrisme.

D'où les plaintes et lesimprécations du poète, comme la mélancolie qu'éveille la musique; à quoi nous associons le milieu extérieur et lesmanifestations apprises de notre sensibilité. C'est pourquoi le lyrisme, ou expression, comme on dit, des sentiments personnels, fait généralement partie-du sensesthétique, affecte nos perceptions, confond nos impressions et celles d'autrui, dans l'attitude par laquelle nousrépondons à la stimulation de l'objet jugé beau.

On sait que le romantisme est caractéristique de cette attitude.

LeLac de Lamartine offre un exemple de la complexité du sentiment esthétique, parce qu'il est, avant tout, le poèmede la durée propre à une conscience individuelle, réagissant au spectacle d'un milieu évocateur.

Mais, déjà, Ronsardavait très bien indiqué ce complexe où s'associent le sentiment de la nature et les formes diverses du sens intime : Quand je suis vingt ou trente mois Sans retourner en Vendômois, Plein de pensées vagabondes, Plein d'un remordset d'un souci, Aux rochers je me plains ainsi, Aux bois, aux antres et aux ondes. En somme, la description du sentiment esthétique (forme de nos états psychologiques, mêlés dans le sentiment dela nature et celui du moi), nous permet de saisir comment se prépare le sens esthétique comme faculté de juger dubeau. Tout cela aboutit, par une sorte de voie naturelle, à ce qu'on peut nommer l'objet d'art (qu'il soit paysage, poème. »

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