LE SENTIMENT ET LA RAISON DANS LE DEVOIR
Publié le 14/06/2009
                            
                        
Extrait du document
Il ne suffit pas de définir le devoir, il faut encore se demander quels sont les facteurs de son accomplissement, les facultés psychologiques qui président à sa réalisation, le sentiment et la raison se disputant ici la primauté, sans parler de la volonté toujours présente dans l'action morale et qui pourra être précisément inspirée par les puissances d'ordre affectif ou d'ordre rationnel. Précisons tout de suite les termes du problème. Si le mot raison est parfaitement univoque et n'appelle pas ici de définition spéciale, il n'en va pas de même pour le mot sentiment. Nous y verrons un terme commode, malgré son ambiguïté, pour désigner et envelopper tout ce qui est : tendances, instincts, inclinations, désirs, aspirations, tout ce qui vient du coeur et, sous sa forme la plus profonde, s'identifie à l'amour. La raison inspirant d'ordinaire une sereine confiance, la difficulté est de savoir quelle place on peut faire au sentiment dans le devoir, s'il faut lui reconnaître sa légitime part, le proscrire absolument de la morale ou bien, au contraire, lui attribuer un rôle essentiel et déterminant. Comme on distingue d'habitude les morales du sentiment et les morales de la raison, il nous faut examiner et discuter les deux conceptions, à travers des exemples historiques, et en vue de mieux apercevoir le problème : nature et moralité, devoir et bonheur, qui est au centre du débat. a) Le devoir et la raison. La morale rationaliste. Considérable est le prestige de la raison non seulement au regard de la connaissance mais aussi au regard de l'action. Aussi n'est-il pas surprenant qu'on ait voulu en faire le ressort principal du devoir. Au lieu d'étudier la question in abstracto, nous allons voir comment se constitue la morale rationaliste ou intellectualiste en examinant rapidement deux doctrines morales particulièrement caractéristiques de cette attitude : le stoïcisme et le kantisme.
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                                                                                                                            t'ordonne le devoir.
                                                            
                                                                                
                                                                    » Certes pour KANT l'addition du sentiment ne rend pas l'action immorale en elle-même, mais ellen'ajoute rien à sa  moralité  intrinsèque  et risque  même de la rendre  douteuse  au regard  du principe  de sonaccomplissement.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est suffisant pour qu'il oublie cet amour du bien qui nous a paru faire partie intégrante de lanotion même de devoir, condamnant ainsi la loi d'amour en général, jetant un discrédit sans doute immérité sur lestendances  de la nature  humaine,  frappant de disqualification  radicale ces inclinations  profondes qu'il faut  bienintéresser à la moralité et sans lesquelles d'ailleurs celle-ci ne serait pas.
                                                            
                                                                                
                                                                    En outre KANT se contredit évidemmentquand il parle du respect dû à la loi morale.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le respect est un sentiment ou il n'est rien, bien que pour lui il s'agissed'un sentiment spécial, le seul recevable à vrai dire en tant qu'il est produit en nous par l'idée même de la loi moralerationnelle.e Conscient du danger qu'il y a à séparer la moralité de la nature affective, KANT enseigne que la loi morale — quiest la loi  du  bien  — serait  toute de liberté  et d'amour  si l'homme  n'était que raison,  mais qu'elle  prendnécessairement  la forme  rigoureuse  de l'impératif  catégorique  en tant  qu'elle  s'oppose  au fond  passionnel  etinstinctif qui fait  notre  nature.
                                                            
                                                                                
                                                                     Mais c'est  dire que l'homme  est porté  au bien  par la seule  raison  tandis  quel'affectivité l'incline nécessairement au mal, c'est exclure toute pureté de l'amour et se refuser à distinguer parmi lesinclinations celles  qui sont inférieures et  celles qui sont supérieures,  c'est instituer une hiérarchie  horizontale oùseule la raison constitue la partie supérieure de notre être.• Proscrire le sentiment de la morale c'est la priver de ressources et de forces indispensables.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'accomplissement dubien ne va pas sans l'enthousiasme, la ferveur, la générosité, la charité, le dynamisme de l'élan.JEAN LACROIX le dit très justement » Nulle éducation morale n'est possible sans un appel constant au sentiment...là où n'existe pas un ensemble d'énergies instinctives fondamentales, aucune vie supérieure ne peut s'épanouir.
                                                            
                                                                                
                                                                    ...Le moteur  de toute  moralité  n'est pas seulement  la raison,  mais la générosité  qui s'appuie  sur elle  comme  surl'instinct.
                                                            
                                                                                
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b) Le devoir et l'amour.
                                                            
                                                                                
                                                                    La morale du sentiment.
La raison est-elle le principe suprême de l'accomplissement du devoir ? Le devoir lui-même est-il et doit-il resterétranger  au coeur  ? Bien  des philosophes  ne le pensent  pas.
                                                            
                                                                                
                                                                    Aussi  existe-t-il  des morales  du sentiment  quiconsentent à l'amour une place majeure dans la vie morale et repoussent cette idée kantienne que le devoir estsans aucune parenté avec les inclinations.
                                                            
                                                                                
                                                                    Nous nous limiterons à deux doctrines particulièrement représentativesde cette tendance : le christianisme et le bergsonisme.
La morale chrétienne.
Parler de la morale chrétienne en elle-même n'a pas grande signification puisque le christianisme se présente commeun tout dans  lequel morale  et religion ne se peuvent  séparer.
                                                            
                                                                        
                                                                    Nous  le ferons toutefois pour  les commodités del'analyse.
                                                            
                                                                                
                                                                    Aux yeux des chrétiens le commandement suprême est d'aimer, la morale se résume tout entière dans lesdeux préceptes : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et tu aimeras ton prochain comme toi-même,deux expressions à peine différentes d'une même loi d'amour fondamentale.Et certes il faut distinguer radicalement l'amour de convoitise ou de concupiscence attaché aux valeurs charnelleset sensibles d'une part, l'amour de bienveillance ou de charité, d'autre part, qui s'attache aux valeurs spirituelles, àl'âme même, à l'être dans son essence la plus précieuse et son coeur le plus secret.Il n'en reste pas moins que la raison n'est pas invoquée d'abord comme source de l'obligation tandis que l'obligationelle-même perd de son impérativité pour le céder à l'inclination, à l'élan qui fait du devoir un acte d'amour.
                                                            
                                                                                
                                                                    Morale dusentiment  au sens le  plus profond  du terme,  morale de  cet instinct  sacré qui s'appelle  la charité  et que SaintAUGUSTIN définit : la vertu par laquelle est aimée ce qui doit être aimé, morale enfin qui se résume dans la maximede l'illustre docteur « Aime et fais ce que tu veux — Ama et fac quod vis », formule qui ne peut que scandaliserceux  qui oublient  son inspiration  mystique et restent  solidaires  du préjugé  kantien contre ce qui  vient  del'affectivité.Remarquons en passant que, contrairement à l'opinion de maints auteurs, la morale kantienne n'est pas une moraleintrinsèquement  chrétienne et qu'il  ne suffit  pas, bien entendu,  d'exalter le devoir  pour être dans  la ligne  duchristianisme.
                                                            
                                                                                
                                                                    Remarquons aussi que le mot raison est presque absent de l'Évangile, du moins dans les passages oùse trouvent formulées les maximes suprêmes de la loi morale.
La morale bergsonienne.
BERGSON  s'étant converti  au catholicisme,  on pourrait  ne pas  différencier  son éthique  de l'éthique  chrétienne.Toutefois il l'a formulée avant cette adhésion définitive, à partir de considérations non spécifiquement théologiqueset sur le seul plan de la réflexion philosophique.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est pourquoi nous devons l'exposer séparé-ment.Pour BERGSON, l'obligation morale n'est pas d'essence rationnelle, KANT s'est abusé sur ce point.
                                                            
                                                                                
                                                                    La morale a deuxsources extra-rationnelles  : d'une  part la pression  sociale qui lui donne  son caractère  impératif, d'autre partl'aspiration au bien, l'élan mystique qui vient de la prise de conscience du courant créateur immanent à la vie, de lacommunion avec la source même de la vie spirituelle, courantqui est de  Dieu si  ce n'est  Dieu lui-même.
                                                            
                                                                                
                                                                     C'est dire que le devoir n'est  pas une loi de contrainte mais  une loid'amour.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'impérativité de l'obligation qui paraissait à KANT primordiale prend ici un caractère secondaire et dérivé.Le devoir réclamecertes un effort pour vivre en profondeur mais il est au fond un abandon à notre vraie nature, abandon réfléchi etconscient de l'âme ouverte à l'appel divin..
                                                                                                                    »
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