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Le silence éternel des espaces infinis

Publié le 19/03/2015

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Le silence éternel des espaces infinis

Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée dans 1' éternité précédant et

suivant le petit espace que je remplis et même que je vois, abîmé dans l'infinie

immensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraie et m'étonne de

me voir ici plutôt que là, car il n'y a point de raison pourquoi ici plutôt que là,

pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m'y a mis ? Par l'ordre et la conduite de qui

ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi ? Memoria hospitis unius diei praeteruntis

( « Souvenir de l'hôte d'un jour qui passe«). Le silence éternel de ces

espaces infinis m'effraie.

Pascal, Pensées, Brunschvicg 205 et 206.

Reste le sentiment indépassable de l'insigne fragilité humaine au regard de la nature. L'infini et l'éternité, même sans le deuil obsédant de la protection divine, ont de quoi éprouver le désir de vivre et la soif d'espérance qui en féconde les impul­sions. La seule force dont il dispose, l'homme la tient de lui-même, et déjà la mémoire des êtres disparus, des choses révo­lues, alourdit le temps de vivre. Cette déréliction est d'abord furtive, vécue au sein des premières peines. Elle se fait inexo­rable ensuite, à mesure que se consume le temps, accéléré par la conscience d'un passé dont grandit l'ombre sur le monde.

 

L'infini et l'éternité sont aussi bien les horizons d'une action inscrite dans l'espace et le temps, mais soucieuse de s'en affranchir autant qu'il est possible, que les cadres déme­surés où l'homme se sait tout petit et se croit irrémédiable­ment impuissant. Effets de perspective. Silence. Rien ne répond à l'homme lorsqu'il croit devoir interroger la nature à partir de ses seules attentes, de ses angoisses et de ses désirs. Rien ne répond, sinon l'écho de son cri, ou de son chant. Si le monde ainsi découvert est absurde, si les choses ne s'ordon­nent d'emblée à aucun principe donateur de sens, le tracé de la vie se libère de tout ce qui pourrait l'assujettir. Le risque est la rançon inévitable de la liberté la plus profonde, et la plus grave : celle de choisir la façon dont se réalise en soi l'huma­nité, de se choisir.

« 58 Le temps de vivre d'enfance.

L'univers m'ignore, et pèse pourtant sur ma soli­ tude, perdue en lui.

Le bégaiement du pourquoi reste sans écho, sans trace vive.

L'eau noire s'est refermée, où grelotta un instant la passion de vivre.

C'est que l'univers est une « sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part » (Pensées, Brunschvicg 183).

Dans l'auberge ventée, loin de tout, perdue dans la neige et la nuit, un hôte sombre est passé puis reparti, presque aussitôt.

La trace de ses pas s'est effacée, sans tarder.

Ainsi s'évanouit l'éphémère vision.

Pascal décrit cette évanescence : « Souvenir de l'hôte d'un jour qui passe.

»Le séjour n'est bien sûr que provi­ soire, et l'on se découvre toujours en partance.

Les choses nous sont comme prêtées, et il semble dérisoire de s'attacher à leur propriété, qui de toute façon nous sera bientôt sous­ traite.

La terre habitée, grande auberge où les hommes ont fait escale, apparaît à son tour bien petite, dans l'univers que Copernic et Galilée ont découvert.

Le frisson de l'infini habite le temps de vivre.

L'univers est silencieux.

Nulle voix d'un Dieu qui pourrait rassurer.

Nulle voix non plus d'un Dieu lourd de menace pour les hommes.

Ce monde rendu à lui-même, indifférent aux hommes, est donc neutre.

Ni menace ni recours.

La décou­ verte attribuée au libertin.

Il y a paradoxe malgré tout, puisque le libertin de Pascal ne prend conscience de la condition humaine qu'en la mesurant par défaut.

Sa demande inquiète a de quoi étonner, car elle fait référence à l'idée d'un être créateur qui aurait disposé les choses et les hommes dans l'aventure cosmique, et constate aussitôt son absence, pour la déplorer.

L'homme se trouve donc reconduit à sa nudité, à cette sorte d'abandon qui signerait la pensée d'un monde sans fin ni sens, privé de puissance tutélaire veillant sur lui.

Pascal décrit un tel sentiment de façon saisissante : «En voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet, et l'homme sans lumière, abandonné à lui-même et comme égaré dans ce recoin de l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j'entre en effroi, comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable et qui s'éveillerait sans connaître où il est, et sans moyen d'en sortir » (Pensées, Brunschvicg 693).

Mais le vrai libertin se satisfait du monde tel qu'il est, et il n'en relativise pas la plénitude par la référence à autre chose. »

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