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Le souvenir est-il une réapparition ou une reconstruction mentale du passé ?

Publié le 21/02/2004

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Ensuite, qu'il semble apparaître de lui-même ou que nous l'apercevions inséré dans une chaîne d'images, le souvenir ne se présente pas comme un livre achevé d'imprimer ou comme une image fixe projetée tout d'un coup sur l'écran : il se précise et se complète peu à peu à l'aide d'éléments nouveaux évoqués par la donnée première. Bref, le souvenir n'arrive guère et peut-être n'arrive jamais tout seul et tout construit; il est appelé par un état psychologique qui le précède et nous assistons au travail de construction qui l'achève. A moins de nous en tenir à des cas tout à fait élémentaires, le souvenir spontané lui-même est une reconstruction. b) II est vrai que, à proprement parler, ce n'est pas nous qui le construisons : il se construit sans nous, c'est-à-dire sans que nous le voulions, et par là il semble se différencier du souvenir réfléchi ou volontaire. Mais la différence est plus apparente que réelle, car dans le rappel volontaire, tout l'effort de la volonté consiste à provoquer des rappels dits spontanés, qui nous fourniront les matériaux nécessaires à notre construction. De plus, le travail de reconstruction dans le rappel réfléchi ne diffère pas de celui que nous avons observé dans le rappel dit spontané : sans doute, cette reconstruction est voulue, mais elle se fait d'elle-même, les éléments présents à la conscience en appelant d'autres qui viennent s'intégrer spontanément à l'image ébauchée; la réflexion n'intervient que pour juger de la valeur de l'édifice. Ainsi, dans le rappel des souvenirs, nous trouvons à la fois réapparition et reconstruction : des éléments ou des ébauches de souvenirs réapparaissent soit spontanément, soit, le plus souvent, par association; ensuite ils s'organisent entre eux en une construction qui reproduit le passé. II. - QU'EST-CE QUE LE SOUVENIR ? Il nous reste à répondre à une question plus délicate : quelle est la nature de la représentation mnémique, des éléments qui la composent aussi bien que de la construction totale obtenue par leur combinaison ?

« A.

Réapparition du passé ? — Pour que nous puissions voir dans le souvenir une véritable réapparition du passé, il faudrait qu'il consiste dans une reviviscence de l'impression première, que le spectacle dont je me souviens me soitredonné tel qu'il se présenta lorsqu'il fut enregistré.

Sinon, n'est-il pas reconstruit ?La question ainsi précisée, la réponse est facile : le souvenir n'est pas une pure réapparition du passé : il n'a jamaisla netteté et la richesse de la perception dont il ne conserve qu'un résidu infime; par ailleurs, il se modifie au coursdes différents rappels, en sorte qu'il est une réapparition de souvenirs antérieurs plutôt que du passé véritable.Le souvenir du passé immédiat lui-même, que le temps et de multiples rappels n'ont pas encore altéré, ne présentenullement le caractère d'une réapparition du passé.

Faisons une expérience : je fixe un objet quelconque, pa™exemple la machine à écrire dont je me sers, puis je ferme les yeux et tâche de me rappeler ce que je viens de voir.L'image de la machine et du fond sur lequel elle m'est apparue devrait, semble-t-il, être bien nette.

Or, en fait, lafermeture des yeux a eu le même effet que l'escamotage du cliché dans une lanterne de projection : je ne vois pluslien.Sans doute, mon esprit n'est pas vide de tout souvenir : je n'ai pas oublié qu'il y a une machine à écrire devant moi.Mais ce n'est là qu'un savoir : ce n'est pas une vision, même imaginaire, comme à l'instant précédent.

Le passéimmédiat lui-même ne peut pas réapparaître tel quel : il est reconstruit avec des savoirs : sachant ma machinedevant moi et la conformation de ce type de machine à écrire, je reconstitue péniblement une image schématiquede ce que j'observais tout à l'heure de mes yeux. B.

Reconstruction du passé ? — Pour avoir une idée juste de la nature d'un souvenir qui serait une pure reconstruction du passé, nous n'avons qu'à songer aux reconstitutions de l'archéologue ou de l'historien.

Du passéqu'ils tâchent de faire revivre, ils n'ont aucun souvenir véritable, puisqu'ils ne l'ont pas vécu : sans doute, ils leconnaissent par les livres et par leurs recherches antérieures, mais ce savoir est un souvenir de leurs lectures, nondu passé lui-même; de plus, les documents que lit l'historien du XXe siècle pour connaître la vie du Moyen Ageprennent un sens, d'après des expériences personnelles faites, non pas évidemment il y a sept ou huit siècles, maisil y a quelques semaines ou quelques années.

Dans cette reconstruction du passé il n'entre donc aucun véritablesouvenir du passé; elle est faite d'éléments qui ne sont pas des souvenirs — par exemple, les documents — ou quin'appartiennent pas au passé qu'on reconstitue — par exemple, l'image d'un marché ou d'un mouvement de foule.Nous avons là une pure reconstruction du passé sans que rien réapparaisse du passé lui-même. On le voit, le souvenir n'est pas une pure reconstruction du passé; il n'y a pas de souvenir véritable sans le retour àla conscience d'une impression remontant au passé évoqué; en d'autres termes, le souvenir comporte une certaineréapparition du passé.

D'après les usages et d'après les souvenirs de témoins, je puis reconstituer les cérémonies dubaptême qui me fut administré le lendemain de ma naissance ou d'une autre scène à laquelle j'assistai, mais dont mamémoire n'a conservé aucune trace : je ne puis pas dire que je m'en souviens. C.

Réapparition du passé dans une reconstruction. — Faisant la synthèse des deux thèses antithétiques que nous venons de formuler, nous dirons que le souvenir est une réapparition du passé dans une reconstructionmentale. a) La mémoire suppose d'abord une reconstruction, et on peut prendre ce mot au sens concret comme au sensabstrait.

Il n'y a pas de mémoire sans une construction au sens concret, c'est-à-dire sans un édifice permanent,sans cadres dans lesquels et par rapport auxquels viennent se situer les représentations.

Sans ces cadres, il nousserait impossible de situer nos souvenirs dans le passé et même de penser le passé comme passé, en d'autrestermes d'avoir de véritables souvenirs.

Ces cadres ne sont pas le passé, mais une reconstruction schématique dupassé que, pour la plus grande part, nous recevons toute faite de notre milieu social, ainsi que l'a montréHalbwachs.Mais pour situer dans ces cadres un souvenir particulier comme mon premier voyage à Paris, j'ai besoin aussi d'unereconstruction au sens abstrait du mot : cet événement n'étant pas de ceux qui me servent de point de repère etentrent comme élément dans les cadres permanents de la mémoire, je dois, à l'intérieur de ces cadres etm'appuyant sur eux, procéder à une reconstruction, reconstruire ce passé évanoui.

D'ailleurs, les souvenirs plusimportants eux-mêmes ne sont pas évoqués sans une insertion dans leur cadre et cette insertion est unereconstruction inconsciente. b) Toutefois, ainsi que nous l'avons dit, une pure reconstruction peut nous faire connaître avec certitude unévénement de notre passé : nous ne pouvons en avoir un souvenir véritable sans une réapparition de ce passé lui-même.

Mais qu'est-ce qui réapparaît de notre passé ? Suivant le cas et surtout suivant les tempéraments, desimages ou des sentiments.Parfois, je revois mentalement, sinon le spectacle observé, du moins quelque chose de lui : ordinairement, une imagefragmentaire et très estompée, instable et comme incertaine d'elle-même; impression de voir plutôt que vision, car sije veux détailler les données de cette mémoire imaginative, je constate qu'elles se dérobent.Le plus souvent, mon savoir sur mon passé ne devient souvenir que par le sentiment que j'éprouve de sonappartenance à moi; tantôt, c'est l'événement lui-même que je sens mien par l'écho affectif que, avant la formationde toute image, son évocation éveille en moi; tantôt, il me suffit du sentiment que le tissu même dont le faitremémoré constitue une maille s'identifie avec ma vie psychique faite essentiellement de mes désirs et de mescraintes, de mes peines et de mes joies.

Dans ce cas, c'est la réapparition du passé affectif qui fait de lareconstruction du passé un véritable souvenir.. »

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