Sciences & Techniques: La reconstruction du souvenir

« particulier, la perception de la couleur rouge entraînerait la réactivation d'une partie du réseau neuronal initial (correspondant à lacouleur).

Grâce aux liens d'association établis lors du déroulement de l'épisode, l'influx va alors s'étendre à l'ensemble du réseauspatio-temporel, à la représentation cérébrale de l'épisode.

Il s'intégrera ensuite aux réseaux activés par l'état présent du sujet.

Decette intégration, résultera le souvenir. Les données obtenues dans notre laboratoire illustrent bien ce que nous venons d'énoncer.

Nous avons effectué deux sériesd'expériences avec des rats.

Chez cet animal, on peut en effet faciliter la performance de rétention en présentant, préalablement àl'épreuve, un indice de rappel : une information relative à une situation à laquelle le rat a déjà été confronté au cours de la phased'acquisition.

Lors de l'apprentissage initial, les rats apprennent à effectuer un parcours complexe dans un labyrinthe.

Mais au bout dequelques semaines, ils témoignent d'un certain oubli qui se manifeste par un plus grand nombre d'erreurs.

On constate toutefois qu'ilsuffit, juste avant l'épreuve de rétention, de placer l'animal pendant une minute environ dans une cage grillagée près du labyrinthe, pourque cet oubli diminue considérablement, voire disparaisse.

Le contexte expérimental lui-même est donc un puissant indice de rappel.Il permet de compenser l'oubli dû au simple effet du temps. Dans une deuxième série d'expériences, nous avons utilisé une épreuve de discrimination : pour éviter un choc électrique, l'animal doitse diriger vers le bras éclairé d'un labyrinthe en Y.

On constate qu'on peut faciliter la performance de rétention, tout au long del'évolution naturelle su souvenir, en présentant alternativement les différents éléments de la situation initiale : le stimulus lumineuxassocié au bras inoffensif du labyrinthe, le choc électrique ou le contexte expérimental.

Toutefois, s'agissant de l'oubli lié au tempsécoulé entre la phase d'acquisition et le test, le contexte expérimental constitue l'indice de rappel le plus efficace. Ces exemples de la cravate et du labyrinthe attestent du caractère multidimensionnel du souvenir.

Au niveau cérébral, une multitudede traces mnésiques représentent, chacune, les informations prises en compte lors de l'apprentissage initial.

La présentation de cesinformations entraîne donc une réactivation partielle du réseau neuronal préalablement mis en place.

A partir de là, le sujet construiraun souvenir, tout en intégrant les informations contenues dans les circuits réactivés à celles fournies par les circuits activés parl'environnement présent. Les rappels mnésiques ont souvent pour point de départ les réponses émotionnelles.

Lorsqu'un sujet se retrouve dans un contextedans lequel s'est déroulé un épisode particulier, une réponse émotionnelle primaire peut se manifester avant tout rappel explicite(conscient) de la situation.

Elle se traduit alors par un sentiment de " déjà vu ".

L'attention augmente, les processus cérébrauximpliqués dans l'évocation mnésique se mettent en marche. son >La libération d'hormones et de neurotransmetteurs, accompagnant la réponse émotionnelle initiale, facilitant les processus cérébraux nécessaires au rappel du souvenir.

C'est le cas de la noradrénaline, neurotransmetteur dont la libération est liée auxréponses émotionnelles.

Celle-ci jouerait un rôle de " portillon " en modulant les réponses engendrées par les stimuli sensoriels.En effet, en présence de noradrénaline, les neurones corticaux et hippocampiques ont une activité spontanée réduite, alors queles réponses engendrées par des stimuli sensoriels augmentent.

En modulant ainsi l'excitabilité des neurones, la noradrénalinepeut réorienter la réceptivité des réseaux neuronaux en faveur d'une afférence spécifique, peut-être en favorisant la diffusiond l'activité à l'intérieur du réseau initialement mis en jeu. Les données de la neuropsychologie montrent clairement l'existence de plusieurs systèmes de mémoire mettant en jeu des circuits cérébraux différents.

Ellesont également permis de dissocier deux types de rappel : l'un, explicite, correspond à une évocation consciente d'un souvenir particulier pouvant être raconté,décrit ; l'autre, implicite, peut conduire au rappel d'une information, sans que cela ne s'accompagne nécessairement d'une évocation explicite de l'épisode lié àl'acquisition de cette information. Dans certaines amnésies associées à la maladie d' Alzheimer ou au syndrome de Korsakoff, les sujets n'arrivent pas à se souvenir des épisodes s'étant déroulés à partir du début de leur maladie.

En effet, ces démences séniles s'accompagnent d'uneperte massive de neurones dans l'hippocampe et dans les structures qui lui sont anatomiquement connectées.

Cependant, cessujets peuvent montrer des performances quasi normales dans une épreuve de reconnaissance verbale si on ne lesquestionne pas directement sur la liste de mots présentés.

Il suffit de leur proposer une aide sous forme d'une amorce de mots.Les sujets amnésiques fournissent alors de préférence les mots correspondants à la liste initiale, alors que l'amorce offreplusieurs solutions possibles.

Il n'y a pas nécessairement souvenir de l'épisode d'apprentissage initial.

Ce phénomèned'amorçage (priming dans la littérature de langue anglaise), qui se manifeste également chez le sujet sain, a révélé un autre type de rappels implicites. Ces rappels implicites pourraient remplir plusieurs fonctions.

Ils peuvent accompagner et faciliter le rappel explicite, mais aussi, intervenir dans la vie quotidienne,au cours de laquelle nous sommes continuellement abreuvés d'informations liées à nos expériences du passé.

Ces dernières induiraient des amorçages répétésqui, sans franchir le seuil de notre conscience , permettraient d'entretenir et de renforcer, de façon inconsciente, nos expériences passées en fonction de nos expériences présentes.

Ce phénomène pourrait expliquer que tous les souvenirs ne soient pas oubliés au même rythme. Le développement des techniques d'imagerie cérébrale, et notamment l'utilisation de la tomographie à émission de positions (PETscan), a ouvert une nouvelle voie dans l'exploration fonctionnelle des processus de rappel chez l'homme.

Il a permis de repérerles structures cérébrales activées lors de la réalisation d'épreuves cognitives variées, notamment au cours du rappel expliciteoui implicite d'une information.

L.R.

Squire a ainsi mis en évidence que la réalisation de diverses épreuves mnésiques créait despatterns d'activité cérébrale différents.

Un rappel explicite entraîne une activation marquée de l'hippocampe droit.

En revanche,un rappel implicite se traduit par une diminution de l'activité cérébrale, au niveau du cortex postérieur droit.

Par ailleurs, les trèsrécents résultats de E.

Tulving permettent de dissocier deux étapes importantes dans les processus de rappel.

Dans lapremière, le cortex frontal droit s'active fortement lorsque le sujet met en jeu des processus de remémoration, lorsqu'il s'efforce de se souvenir.

La seconde, elle, correspond à l'aboutissement des processus de rappel, "l'ecphory " ; celle-ci en entraînerait une activation des régionscorticales postérieures. Voici près de cent ans, Henri Bergson soulignait que la mémoire était " un processus d'intégration dynamique ", en étroite relation avec l'attention soutenue et laperception du présent.

Ses idées reposaient davantage sur une réflexion philosophique que sur l'évidence expérimentale.

Les études d'imagerie cérébrale quenous venons de citer leur donnent pourtant une tonalité étonnamment moderne.

En effet, la trace mnésique est distribuée dans de nombreuses structurescérébrales.

Sa réactivation, au moment précis du rappel, implique un engagement des structures cérébrales spécialisées en recherche (cortex frontal droit), ou,en aboutissement de la recherche " ecphory " (régions corticales postérieures).. »