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Le temps chez saint Augustin

Publié le 20/08/2011

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C'est dans ses Confessions que saint Augustin (354 – 430), à l'origine de la pensée chrétienne moderne, nous livre sa conception du temps. Celle-ci est, bien évidemment, assujettie à sa foi en Dieu. Le temps est essentiellement devenir, divinement préétabli, pour les êtres humains. En tant que création divine, le temps n'assujettit pas Dieu : Dieu est hors temps, intemporel et éternel. Dès lors c'est Dieu qui se sert du temps, comme d'un outil, pour donner l'épreuve à l'homme dans la durée.

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« qui n'est pas encore ? Quel est le temps que nous pourrions qualifier de long ? Est-ce le passé ? Mais :« Ce long temps passé, fut-il long quand il était déjà passé ou quand il était encore présent ? Il ne pouvait être longque quand il était quelque chose susceptible d'être long.

Une fois passé, il n'était plus : il ne pouvait donc être longpuisqu'il n'était absolument plus.

Ne disons donc plus "le temps passé a été long" [...] Disons plutôt "le tempsprésent a été long ", car c'est en tant que présent qu'il était long.

Il ne s'était pas encore perdu dans le non-être; ilétait donc quelque chose qui pouvait être long.

Mais aussitôt qu'il a passé, il a, du même coup, cessé d'être long,en cessant d'être.

»Mais un temps présent peut-il être long, puisque le présent n'est que le passage même du « n'être pas encore » au« n'être déjà plus » ? Autrement dit, le présent est emporté si rapidement de l'avenir au passé « qu'il n'aaucune extension de durée ».

Dirons-nous alors que le seul temps que nous puissions qualifier de long est l'avenir ?«Alors quand le sera-t-il ? Si, pour l'instant, il est encore l'avenir, il ne peut être long, rien en lui n'étant encoresusceptible d'être long.

S'il ne doit être long qu'au moment où, de l'avenir qui n'est pas encore, il aura passé à l'êtreet sera devenu le présent, afin de devenir susceptible d'être long, — voici que le présent même nous crie, nousl'avons entendu tout à l'heure, qu'il ne peut être long ! »Lorsque nous mesurons le temps, que mesurons-nous ? On ne peut mesurer ce qui n'est pas.

Or le passé et l'avenirne sont pas.

Et le présent ? Comment pouvons-nous le mesurer puisqu'il n'a pas d'étendue, qu'il n'est, au fond, quele passage évanescent d'un non-être à un autre ? Et pourtant, nous mesurons les intervalles du temps, nous lescomparons entre eux.

Nous déclarons tel temps plus long, tel autre plus court.

Que mesurons-nous, au juste, sinonle temps dans un certain espace ?« Quand nous parlons de durées simples, doubles, triples, égales et d'autres rapports analogues, c'est d'espacestemporels qu'il s'agit.

»Mais dans quel espace mesurons-nous donc le temps en train de s'écouler ?« Est-ce dans l'avenir d'où il vient pour passer ? Mais ce qui n'est pas encore ne saurait être mesuré.

Est-ce dans leprésent par où il passe ? Mais là où il n'y a pas d'espace toute mesure est impossible.

Est-ce dans le passé, où il vase perdre ? Mais comment mesurer ce qui n'est plus ? »Ainsi, nous découvrons qu'une réflexion sur le temps se heurte à des paradoxes.

Formé du passé qui n'est plus, del'avenir qui n'est pas encore et de l'instant présent qui n'est qu'une limite ou une durée nulle entre deux tempsirréels, le temps reste paradoxalement insaisissable, alors que nous y sommes plongés sans pouvoir jamais en faireabstraction.

Si l'analyse ne peut appréhender la réalité du temps, c'est sans doute que ce dernier n'a pas de vraieréalité.

Mais le fait que nous ne puissions rien concevoir en dehors de lui ne nous montre-t-il pas qu'il fait partie denous-mêmes ? Au lieu de dire que le temps est, ne faudrait-il pas dire qu'il n'y a de temps que par et pour notreesprit ? N'est-ce pas la mémoire qui nous permet de retenir ce qui n'est plus et l'imagination qui nous permetd'anticiper sur ce qui n'est pas encore ?« Que l'avenir ne soit pas encore, qui le nierait ? Pourtant l'attente de l'avenir est déjà dans l'esprit.

Que le passé nesoit plus, qui en doute ? Mais le souvenir du passé est encore dans l'esprit.

Que le présent soit sans étendue,n'étant qu'un point fugitif, qui le contesterait ? Mais ce qui dure, c'est l'attention par laquelle s'achemine vers len'être plus ce qui va y passer.

»Cela signifie que quand nous nous souvenons du passé, ce ne sont pas les réalités elles-mêmes, tombées dans lenon-être, qui nous reviennent, mais les images que nous nous formons de ces réalités.

De même, la conscience peutpercevoir par anticipation les images déjà existantes de choses qui ne sont pas encore, qui sont à venir.

Oncomprend dès lors ce que signifie un temps long :« Ce n'est donc pas l'avenir qui est long, puisqu'il n'existe pas; un long avenir, c'est une attente de l'avenir, qui leconçoit comme long; ce n'est pas le passé qui est long, puisqu'il n'existe pas; un long passé, c'est un souvenir dupassé qui se le représente comme long.

»On comprend aussi que la tripartition communément admise du temps en présent, passé, avenir, est une manièrevulgaire de parler.

Il n'existe, au fond, qu'un seul temps : le présent.

Le passé et le futur, n'étant nulle part ailleursque dans notre esprit, n'existent qu'au présent.

C'est donc improprement qu'on dit qu'il y a un passé et un futur, ilfaudrait dire qu'il y a trois modes du présent : le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur.Autrement dit :« Le présent des choses passées, c'est la mémoire; le présent des choses présentes, c'est la vision directe ; leprésent des choses futures, c'est l'attente.

»C'est bien parce que la conscience (ou l'esprit) est souvenir, attention à la vie, attente, qu'on peut parler du temps.Et c'est seulement parce qu'elle est présence que la conscience peut retenir ce qui n'est plus et anticiper sur ce quin'est pas encore.En affirmant que le temps est un rien qui nous échappe, saint Augustin nous fait appréhender notre propreprécarité, ce qu'en langage moderne nous pourrions appeler notre « être-pour-la-mort ».

Le temps est la marque denotre corruption temporelle.

Cet avenir qui devient sans cesse présent, ce présent qui sans cesse se néantise merévèlent que moi aussi, en un temps x, je disparaîtrai.

Comme le dira Jean-Paul Sartre, le vivant que nous sommesest « en sursis ».

Autrement dit, à travers la vie qui coule en lui, il se sent encore vivant, mais il éprouve avecangoisse la certitude que le cours de cette vie sera, un jour, tranché.

D'où le ressentiment de l'homme contre letemps.

Cependant saint Augustin nous invite à ne pas nous abandonner mollement au quiétisme du désespoir mais àassumer notre temporalité et à nous tourner vers l'éternité et donc la vérité de Dieu, « Créateur éternel de tous lestemps », « qui fut avant tous les temps ».Au-delà de cet appel à une conversion, les propos de saint Augustin restent actuels car, si l'homme a remporté degrandes victoires dans la conquête de l'espace, le temps reste bien la marque de son impuissance.. »

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