Les conditions d'exercice de la liberté ?

On ne peut en effet agir qu'à partir d'une situation de fait et avec des moyens limités. Néanmoins, ce donné appartient au domaine du passé, du révolu, de l'accompli, alors que l'acte libre s'exerce dans le domaine de ce qui est à faire, à créer, à susciter. Il n'?uvre pas au sein de l'être, mais au sein du devenir ; il ne constate pas une existence, mais il appelle à l'existence. Le cadre dans lequel toute action libre se déroule nécessairement est comme un sol à partir duquel on construit un édifice : s'il en limite impérativement certains aspects, il n'en conditionne ni le style ni la valeur. L'acte libre doit d'autre part tenir compte des hasards qui tantôt le favorisent, tantôt le plus souvent lui font obstacle. Rien, en effet, ne peut empêcher que notre vie se déroule au milieu d'événements statistiquement improbables, qu'aucune science ne peut ? et probablement ne pourra jamais ? prévoir avec certitude. Nos plus grandes réussites et nos plus cuisants échecs sont presque toujours affaire de rencontres, d'occasions, de coïncidences dont la contingence radicale inclinerait facilement à des réflexions pessimistes sur l'absurdité de l'existence.   Toutefois, ce point de vue est bien théorique car, en fait, personne ne renonce jamais complètement à introduire un certain ordre dans cet apparent chaos. Tel est bien d'ailleurs le sens profond de toute activité humaine : un projet, un calcul, un plan, ont pour but essentiel de triompher du hasard en délimitant une sorte d'îlot spatio-temporel à l'intérieur duquel un ordre humain prédomine en tenant à l'écart l'action perturbatrice des forces naturelles. Une machine, un grand ensemble technique constitue l'un de ces îlots, sous une forme presque parfaite.