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Les hommes sont-ils frères ?

Publié le 25/07/2005

Extrait du document

Ces autres qui nous font ainsi encontre dans le contexte d'outils à-portée-de-la-main, intérieur au monde ambiant ne sont point par exemple ajoutés par la pensée à une chose de prime abord sans plus sous-la-main, mais ces choses font encontre à partir du monde où elles sont à-portée-de-la-main pour les autres, lequel monde, d'emblée, est toujours aussi déjà le mien. « Cependant, la caractérisation du faire-encontre des autres s'oriente à nouveau à chaque fois sur le Dasein propre. Est-ce à dire qu'elle parte elle aussi d'un « Moi » privilégié et isolé, de telle manière qu'il faille ensuite chercher un passage conduisant de ce sujet isolé vers autrui ? Pour éviter ce contresens, il convient de préciser en quel sens nous parlons ici des « autres ». « Les autres », cela ne veut pas dire : tout le reste des hommes en-dehors de moi, dont le Moi se dissocierait - les autres sont bien plutôt ceux dont le plus souvent l'on ne se distingue pas soi-même, parmi lesquels l'on est soi-même aussi. Cet être-Là-aussi avec eux n'a pas le caractère ontologique d'un être-sous-la-main « ensemble » à l'intérieur d'un monde. L'« avec » est ici à la mesure du Dasein, le « aussi » désigne une mêmeté d'être comme être-au-monde préoccupé de manière circon-specte. L'« avec » et le « aussi » doivent être compris existentialement, non pas catégorialement. Sur la base de ce caractère d'avec propre à l'être-au-monde, le monde est à chaque fois toujours déjà celui que je partage avec les autres. Le monde du Dasein est monde commun.

         Notre première tâche consiste à déployer les différents sens possibles du terme de frère dans la formule du sujet. Au sens littéral, son frère deux hommes générés par les mêmes parents, éventuellement par un même père ou mère. Par extension, on peut donc voir en deux frères deux hommes unis par une même origine constituante. En ce sens, la tradition chrétienne affirme que tous les hommes sont frères comme fils de Dieu, et, dans un sens plus réduit, la tradition biblique que nous sommes tous frères en Adam. (Remarquons que Michel Serres fait de la fraternité scientifique des hommes, dont témoigne l'évolution, la base de sa philosophie.)

Dans le même sens, nous pouvons interpréter la fraternité comme une appartenance commune, au sens le plus large. On trouvera ainsi des frères dans une cause, dans une identité, dans une passion, dans une culture, etc. Ici s'ouvre déjà la question du fait et du droit, de l'effectivité et la puissance. En effet, au sens de la culture, de la langue, de la vision du monde, des pratiques, etc. les hommes ont tous des frères mais ne le sont pas tous entre eux. Une question serait de savoir s'ils le pourraient de par leur nature; non pas, évidemment, au sens où la culture serait inscrite dans les gènes, mais dans le sens d'un possible changement après coup.

La fraternité nomme enfin tout ce qui est de l'ordre de la proximité, affective par exemple, de la similitude, de caractère, de statut, de position dans la hiérarchie, etc.

         Il nous faut à présent trier et ordonner ces sens afin de les articuler à un problème. L'autre pôle de l'articulation sera la notion d'homme. Les différents sens possibles de la fraternité que nous avons exposés ne considèrent en effet pas l'homme sous le même angle : l'homme en tant qu'il est généré, en tant qu'il est historique et culturel, en tant qu'il a des appartenances, des affections, des caractères, des propriétés, etc.

Parmi les différents sens de la fraternité, nous pouvons les regrouper en deux catégories : d'une part la nature, d'autre part la valeur. En effet, les sens les plus évidents de la fraternité trouvent tous, en l'homme, une fondation dans l'idée de nature : celle de créature, celle d'homo sapiens sapiens, etc. Les sens les plus métaphoriques, en revanche, renvoient tous à une valeur sous-jacente, engagent à prendre en compte des impératifs dans nos actions touchant les autres hommes. Et nous touchons ici l'enjeu du sujet : il est évident qu'en un sens, qu'en plusieurs sens même, on peut affirmer avec certitude que les hommes sont frères; mais que gagne-t-on le dire? A quoi cette affirmation nous engage-t-elle? Le problème est donc celui d'une articulation entre les notions de nature et de valeur. Y a-t-il une nature qui, par elle-même, vaille? Où se fonderait alors cette valeur? Et, plus précisément encore : une communauté de nature peut-elle être une valeur? En d'autres termes, un simple fait de nature (tel homme et moi-même partageons l'humanité) peut-il être le fondement légitime d'une quelconque valeur?

         La tâche que nous donne le sujet est donc double. Tout d'abord, déterminer en quels sens les hommes sont frères. Pour cela, il faudra utiliser l'idée de nature : la fraternité des hommes se réduit-elle à leur nature? Y a-t-il, au-delà de la simple nature, une similitude, une proximité, ou une communauté de condition, qui mériteraient que l'on parle de fraternité. En second lieu, il nous faudra déterminer, parmi ces sens, et en fonction de leur hiérarchie, lesquels peuvent être le lieu de la fondation de valeurs et, dans ce cas, de quelles valeurs.

 

« Proposition de plan I La question de la nature humaine Jean-Jacques ROUSSEAU Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes « La plus utile et la moins avancée de toutes les connaissances humaines meparaît être celle de l'homme et j'ose dire que la seule inscription du temple deDelphes contenait un précepte plus important et plus difficile que tous lesgros livres des moralistes.

Aussi je regarde le sujet de ce Discours comme unedes questions les plus intéressantes que la philosophie puisse proposer, etmalheureusement pour nous comme une des plus épineuses que lesphilosophes puissent résoudre.

Car comment connaître la source de l'inégalitéparmi les hommes, si l'on ne commence par les connaître eux-mêmes? etcomment l'homme viendra-t-il à bout de se voir tel que l'a formé la nature, àtravers tous les changements que la succession des temps et des choses adû produire dans sa constitution originelle, et de démêler ce qu'il tient de sonpropre fonds d'avec ce que les circonstances et ses progrès ont ajouté ouchangé à son état primitif.

Semblable à la statue de Glaucus que le temps, lamer et les orages avaient tellement défigurée qu'elle ressemblait moins à undieu qu'à une bête féroce, l'âme humaine altérée au sein de la société parmille causes sans cesse renaissantes, par l'acquisition d'une multitude deconnaissances et d'erreurs, par les changements arrivés à la constitution des corps, et par le choc continuel des passions, a, pour ainsi dire, changé d'apparence au point d'être presqueméconnaissable; et l'on n'y retrouve plus, au lieu d'un être agissant toujours par des principes certains etinvariables, au lieu de cette céleste et majestueuse simplicité dont son auteur l'avait empreinte, que le difformecontraste de la passion qui croit raisonner et de l'entendement en délire.

» Chercher la nature humaine, pour Rousseau, signifie chercher un état « primitif », « originel » de l'homme, présentécomme son « propre fonds ».

Bien faire attention au contresens facile selon lequel la nature primitive serait un étatde nature historique.

Rousseau ne cherche pas l'homme tel qu'il a ou aurait été à son commencement dans le temps.Il faut comprendre la primauté et l'antériorité d'un point de vue logique.

L'image de la statue de Glaucus, à cette fin,nous présente le rapport entre la nature humaine et ce que le progrès lui a ajouté comme un recouvrement, unajout.

Mais encore une fois, cet ajout ne s'est pas peu à peu ajouté à l'homme au fil des siècles : il est l'ajouttoujours déjà ajouté à notre nature par notre insertion dans le monde et la société. Le point de vue spécifiquement rousseauiste, ici, consiste à nommer nature tout ce que l'homme recèle de bon et degrand, et à penser le recouvrement social comme un abêtissement, au sens étymologique. Transition En cherchant une nature humaine, nous obtenons, de fait, une fraternité entre les hommes : le partage d'une même nature.

Ce que l'homme a de particulier et de mauvais est ce qui le distingue de tout autre, mais ne sepense que sur fonds de cette fraternité.

Mais à ce stade, il ne s'agit que d'une simple similitude.

Soit, je suis frèrede tout homme en ce qu'il est homme comme moi, et que nous partageons une même nature.

Je suis frère d'autantplus que cette nature peut être pensée comme une origine, une antériorité logique de moi sur moi-même.

Et de fait,dans une famille, je suis frère avant d'être moi-même différent de mes frères. Mais ne risquons-nous pas, sur ce principe, de devoir étendre la fraternité sans fin, de le diluer ainsi, de lui ôter sonsens? Si je suis frère de tout homme, ne suis-je pas aussi frère de tout animal dans l'animalité, de tout vivant dansla vie, de tout étant dans l'être? Il se trouvera toujours entre moi et un quelconque étant du monde cette similitudebasique de l'être.

De plus, nous pouvons, dans le même geste, dire qu'un chien, par exemple, est frère de toutchien. Ainsi, si le concept de nature nous garantit une fraternité première et fondatrice entre l'homme, ne repose-t-ellepas sur une simple proposition logique? Dans ce cas, il faut dire que les hommes sont frères dans le même sens quenous pourrions voir en tous les chiens des frères.

Il nous faut donc interroger la spécificité de la fraternité humainepour voir s'il y a lieu de la dissocier de la simple communauté de nature, et éventuellement réserver l'image defraternité aux hommes.. »

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