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L'homme s'accomplit-il dans le travail ?

Publié le 05/02/2004

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Le travail est très souvent perçu comme un temps douloureux, au cours duquel l'être humain est soumis à des contraintes extérieures, et qu'il lui tarde de voir finir. La société contemporaine a d'ailleurs fait des loisirs — qui par définition désignent l'absence de travail imposé — une sorte de domaine privilégié, par principe positif et désirable : temps de repos et de reconstitution de soi-même, qui, par chance, vient périodiquement équilibrer la douleur et la fatigue du travail. Au point d'aboutir  à un paradoxe : on travaille désormais pour bénéficier de loisirs, mais la consommation qu'occasionnent ces derniers, soigneusement entretenue par le système économique, peut aussi obliger à travailler davantage... Faut-il s'en tenir à ce que véhicule l'opinion, ou peut-on analyser autrement le travail, pour constater par exemple qu'en son absence, l'homme ne peut s'accomplir en tant que tel ?

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« Pour les principaux philosophes de l'Antiquité, la question est rapidement réglée : Platon et Aristote réservent letravail aux esclaves, qui ne sont rien de plus qu'une sous-humanité (« outils animés », selon la définition d'Aristote).Il est donc clair que l'humanité ne peut se réaliser véritablement qu'en dehors des activités laborieuses, c'est-à-diredans les loisirs.

A condition toutefois que ces derniers ne soient pas synonymes d'inactivité complète : les loisirspermettent à l'homme de se réaliser pleinement, dans la mesure où ils sont propices aux activités intellectuelles (àce qu'Aristote nomme notamment la « théorie »).Ce jugement négatif sur le travail s'explique par les conditions sociales dans lesquelles vivent les philosophesantiques : en Grèce (puis à Rome), l'esclavage paraît nécessaire pour assurer la production, et il ne disparaîtra, ditAristote, que « le jour où les navettes tisseront toutes seules », autrement dit jamais.

Il en résulte que, même dansla cité idéalement juste de Platon, le travail est réservé aux artisans, catégorie inférieure et impure (puisquecorrespondant à l'ancienne race d'airain — un alliage —, alors que l'or et l'argent sont des métaux purs), et plusencore à la masse des esclaves, dont il est simplement précisé qu'ils doivent être d'origine non grecque ou « barbare» (ce qui signale bien leur quasi-animalité).

Aristote fait de surcroît remarquer que l'esclave, ainsi mis en contactavec les Grecs grâce à son travail, y gagnera davantage d'humanité ; mais ce qui l'humanise n'est pas à strictementparler son travail, c'est bien plutôt son accès à la langue grecque, seule rationnelle. [B.

Le travail comme sanction]Bien qu'orientée très différemment, la mentalité chrétienne confirme l'aspect douloureux du travail, en même tempsque sa bassesse.

En effet, à en croire le texte biblique, c'est au moment où il est chassé du paradis après le péchéoriginel, qu'Adam est condamné par Dieu à « gagner son pain à la sueur de son front », tandis qu'Eve estcondamnée pour sa part à « enfanter dans la douleur » (et l'on parle encore du « travail de l'accouchement »).

Letravail est donc la conséquence de la faute, même s'il devient aussi le moyen, pour l'homme, de soumettre lanature.Cette conception s'inscrit durablement dans la mentalité occidentale, évidemment marquée par le christianisme, etelle apparaît confirmée par la stratification sociale : la noblesse, en laquelle se réalisent au mieux les qualités del'homme, ne travaille pas, tandis que la paysannerie, qui apparaît comme à peine humaine, remplace les esclavespour garantir la production. [II - La transformation de l'homme dans l'histoire] [A.

Vers un repérage existentiel]Parmi les points communs à la mentalité antique et à la mentalité chrétienne, il en est un qui justifie le mépris danslequel on tient le travail : c'est le fait de croire que l'homme est défini une fois pour toutes, que ce soit comme «animal raisonnable » (Aristote) ou comme créature divine.

Une telle négligence va nécessairement de pair avec laméconnaissance de ce que peut apporter l'histoire elle-même au repérage de l'humanité.Lorsqu'au contraire, on commence à penser que c'est dans sa propre histoire que l'homme se manifeste ets'accomplit progressivement, le travail peut apparaître comme l'élément majeur qui, dans cette histoire, concourt àla réalisation d'une existence proprement humaine.

Ainsi c'est en passant d'une conception essentialiste de l'êtrehumain à une conception que l'on peut qualifier d'existentialiste – dans la mesure où l'on y admet que l'homme existesans essence préétablie – que la réflexion peut réestimer le travail et ses apports.

Ainsi, Rousseau, précisémentlorsqu'il essaie de reconstituer la façon dont l'homme a changé au cours de son histoire, accorde au fait de travaillerun rôle tout à fait déterminant dans l'apparition des qualités distinguant l'homme de l'animal : il apparaît alors que,d'un point de vue philosophique, on ne peut se contenter de définir le travail par la modification de la nature ou dumilieu extérieur ; il faut considérer, en même temps, que le travail importe des modifications dans le travailleur lui-même. [B.

Le travail comme accès à la liberté]C'est notamment ce que montre pleinement Hegel dans sa « dialectique du maître et de l'esclave ».

Si l'on postuleavec lui que l'histoire de la conscience se confond avec celle de la liberté, et que toute histoire s'effectue par unesuite de négations partielles, on peut comprendre que seul le travailleur (ou l'« esclave », tel qu'il résulte d'une lutteà mort entre deux consciences dont chacune, voulant faire reconnaître par l'autre sa totale indépendance, estamenée à la nier) se trouve en position d'atteindre à la fois une conscience et une liberté totales, c'est-à-dire « en-soi-pour-soi ».

En effet, cette liberté, pour être réelle et s'inscrire dans la réalité, doit agir sur le monde extérieur etle transformer.

Une telle transformation a pour objet de satisfaire des besoins : dans un premier temps, ceux du «maître » imposant sa volonté au serviteur ; dans un second temps – lorsque le serviteur apparaît précisémentcomme le seul capable d'action et en prend conscience –, ceux du « serviteur » les intériorisant et se lesappropriant.

Le serviteur, transformant le réel, transforme ainsi, du même mouvement, sa propre conscience : il ladéveloppe, en découvre les capacités, et finit par la retrouver dans le réel qui porte les marques de son action.

Ainsise libère-t-il du maître, trouvant sa propre définition dans le monde extérieur, alors que le maître ne peut se définirque relativement à la présence de son esclave.Le travail réalise ainsi, non seulement une subjectivation du monde objectif, mais aussi une objectivation de ce quiest initialement subjectif, la conscience.

Comme il mène cette conscience jusqu'à la version ultime de ce que peutêtre la liberté, force est d'admettre que, dans une telle optique, l'homme s'accomplit bien dans le travail : c'est entravaillant qu'il découvre ce que peuvent être sa nature et son action. [C.

Spécificité du travail humain]Alors même qu'il prétend en général remettre Hegel « sur les pieds » et en remplacer l'« idéalisme » par son propre «matérialisme », Marx confirme d'abord la relation profonde existant entre le travail et l'existence de l'humain.

Lorsqu'ilaffirme que l'« on peut définir l'homme par la conscience, par les sentiments, et par tout ce que l'on voudra, lui-. »

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