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Liberté et obligation

Publié le 25/01/2020

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UNE TRANSCENDANCE VIVANTE

Ainsi toutes les valeurs sont relatives, toutes sans exception, même la liberté, même la justice. Elles ne peuvent échapper aux limites de l’homme puisqu’elles naissent de l’homme. Pour les assoiffés d’absolu*, aucune ne sera jamais assez grande puisqu’elle ne sera pas infinie, jamais assez solide puisqu’elle ne sera pas éternelle. «Qui a le goût de l’absolu renonce par là même à tout bonheur, dit Aragon. Quel bonheur résisterait à ce vertige, à cette exigence toujours renouvelée ? »

Mais le refus délibéré de l’absolu* n’implique aucunement la résignation à tout ce qui est;-le mépris des transcendances imaginaires n’implique pas la négation de ce qu’on peut appeler avec Camus une «transcendance vivante», concrète, c’est-à-dire le dépassement de nous-mêmes dans ce monde qui est le nôtre. La vie, il n’est que d’ouvrir les yeux pour le constater avec Spinoza, peut se définir essentiellement par la tendance de l’être à persévérer dans l’être, et à progresser dans l’être\"1... Dans l’être, non dans l’avoir! «Votre bonheur, répètent les prêches des magazines, dépend de ceci, exige cela, et ceci ou cela c’est toujours quelque chose qu’il faut acquérir, par de l’argent le plus souvent2». Si la société actuelle de consommation présente des germes de décadence, ils sont dans cette propagande incessante qui ne nous invite à des efforts que pour «posséder», non pour «vivre». Qu’est-ce qu’un bonheur qui n’est pas vécu ?

Il est nécessaire, ici, d’arrêter l’exposé. Aucune instruction n’est valable pour tous, dit Freud, aucune leçon ne remplace l’expérience. C’est à la vôtre que vous devez faire appel, sans peur3, pour les dissertations données fréquemment sur ce sujet. Votre témoignage, et vos réflexions, seront toujours plus intéressants et plus vrais que de longs développements théoriques nécessairement superficiels... Mais vous avez intérêt à relire souvent, bien entendu, les conseils des sages et de

1. Rappelez-vous ce que disait Zarathoustra : « L’homme n’existe que pour être surmonté. » (Voir plus haut p. 47.)

2. Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, 1938, Gallimard.

3. Vous ne pouvez pas traiter certains sujets sans faire appel à votre expérience personnelle — par exemple, celui-ci : « Y a-t-il bonheur sans conscience du bonheur?» (Séries C et D). N’hésitez pas, pour ces sujets, à parler de vous, à dire je.

Rousseau (1712-1778) «La conscience ne se développe qu’avec les lumières de l’homme ; ce n’est que par ces lumières qu’il parvient à connaître l’ordre, et ce n’est que lorsqu’il le connaît que sa conscience le porte à l’aimer. La vérité est la science du bien, il est impossible de posséder cette science sans l’appliquer. » (Séries C et D)

Hugo (1802-1885) «Bien raisonner mène à bien agir, la justesse dans l’esprit devient la justice dans le cœur... Comprendre c’est aimer... Aimer c’est agir. »

L’HOMME DÉCHIRÉ

Et pourtant il est beaucoup d’hommes déchirés. Non pas seulement entre deux devoirs (les cas de conscience ne peuvent être résolus, eux aussi, que par la raison s’appuyant sur des exemples le plus nombreux et le plus précis possible), mais des hommes déchirés entre le bien qu’ils voient, qu’ils aiment, et qu’ils ne font pas, — et le mal qu’ils voient avec la même force, qu’ils haïssent, et qu’ils font quand même. Là aussi les témoignages sont formels. Ovide, saint Paul, Racine confessent presque dans les mêmes termes :

Ovide (43 av. J.-C.-17 apr. J.-C.) «Video meliora proboque, détériora sequor1.»

Saint Paul (mort en 67 après J.-C.) « Je ne fais pas le bien que je voudrais faire, je fais le mal que je ne voudrais pas faire. »

Racine (1639-1699)

« Mon Dieu ! Quelle guerre cruelle : Je trouve deux hommes en moi... Hélas, en guerre avec moi-même, Où pourrais-je trouver la paix ? Je veux... et n’accomplis jamais ! Je veux mais, ô misère extrême, Je ne fais pas le bien que j’aime Et je fais le mal, que je hais ! »

1. «Je vois bien ce qui est le meilleur, je l’approuve, et c’est le pire qui m’entraîne. » Ovide met ce vers dans la bouche de Médée, mais il pense aussi à lui-même.

« Précisément parce qu'elle veut être réelle, efficace, s'inscrire dans les faits, la liberté impose des obligations, des devoirs.

Bien sûr, vous entendrez de nombreuses gens vous dire : Je fais ce qui me plaît, je bois comme je veux, quand je veux et' autant que je veux, avant de conduire ou non! je fais l'amour avec qui j'ai envie, je me drogue si ça me chante, je ne travaille pas quand ça m'ennuie, ...

je suis libre ...

Voire! Le bouchon sur la mer aussi paraît libre ; il danse sur le flot, il semble jouer avec les vagues.

En réalité, il est totalement soumis à elles, il ira où elles l'entraînent.

L'homme qui agit au gré de ses impulsions deviendra ce qu'elles feront de lui, même si elles le conduisent aux pires catastrophes.

Il est esclave de son destin.

L'homme libre, lui, se sent obligé d'obéir aux ordres que sa raison lui donne d'après l'expérience, c'est-à-dire de ne pas boire plus que de raison justement, de rester fidèle à son amour pour que cet amour continue d'être heureux, de militer au service des causes qu'il croit justes pour que les forces oppressives ne l'emportent pas, etc.

La liberté est fille de l'intelligence et du courage, telle est la loi de l'homme, que cela plaise ou non.

Choisir librement, c'est choisir à la fois son action et les résultats prévisibles de son action, en connaissance de cause.

Il y a toujours des risques mais ils sont assumés.

C'est de cette façon, et seulement de cette façon, que l'on peut régler son art de vivre.

L'HOMME LUCIDE De là tant de déclarations apparemment étonnantes, non seulement de philosophes, mais d'hommes de toutes disci­ plines qui ont réfléchi sur eux-mêmes.

Ils ne peuvent pas, à la lettre, vouloir autre chose que ce qu'ils veulent et ils vous disent que c'est cela la vertu, le bonheur.

Dès lors qu'on voit nettement le bien, son bien, on veut le faire et la plupart du temps on le fait, obligatoirement.

L'homme mauvais est un faible peut-être, mais c'est surtout un aveugle, un homme qui va à l'aventure.

55. »

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