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L'oeuvre d'art est-elle un moyen de communiquer ?

Publié le 19/05/2011

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Devant une œuvre d'art qui nous touche, nous ressentons des émotions fortes qui semblent nous être communiquées par l'œuvre : tout se passe comme si la tristesse du compositeur se transmettait à nous par l'intermédiaire du morceau de musique mélancolique. Sans doute même faut-il aller plus loin : les œuvres d'art ne manquent pas, qui semblent véhiculer un message, défendre une thèse sur le monde, exprimer une indignation, en sorte qu'elles sont d'emblée par nous interprétées comme étant autant de moyens de communiquer. Mais que s'agirait-il de communiquer ? Une émotion, un sentiment, une opinion ? Car, si Goya avait eu pour seul but de dénoncer les violences faites par les armées napoléoniennes en Espagne, n'aurait-il pas été plus efficace et plus clair d'écrire sur le sujet un livre ou un article de journal, plutôt que de peindre un tableau dont le sens n'est jamais univoque et évident ?   

« sens communiqué réduit-il l'œuvre au rang de medium ? Autrement dit, n'est-elle alors qu'un moyen de communication ? Le problème, c'est qu'il aurait été tout à la fois plus rapide et plus clair d'écrire un texte, qui, à ladifférence d'un tableau, a le mérite d'avoir un sens explicite, alors qu'on peut toujours passer à côté de lasignification d'une œuvre.

En d'autres termes, une œuvre communique peut-être un sens, mais elle n'est jamaisseulement un moyen de communication de ce sens : elle a aussi une dimension proprement esthétique. 2.

L'œuvre d'art communique-t-elle une émotion ? Si une œuvre d'art peut véhiculer un sens, elle n'en a pas forcément un (un poème n'a pas nécessairement unmessage à transmettre à son lecteur) ; mais elle nous donne en partage peut-être autre chose qu'une thèse sur lemonde, à savoir une émotion.

Les sentiments que j'éprouve sont absolument singuliers (ma façon d'être triste n'estcelle de personne d'autre, et ma tristesse d'aujourd'hui n'est jamais exactement celle d'hier) et ils sont inexprimablespar le langage commun.

Comme le soutenait Bergson, les mots du langage retiennent d'une émotion ses traits lesplus grossiers, ceux-là justement qui demeurent les mêmes en tous et à tout moment : le langage perdirrémédiablement toutes les nuances singulières qui caractérisent à chaque fois un sentiment.

Ce que je ressens, lelangage est impuissant à le communiquer, parce qu'il a pour fonction de tout transformer en généralités abstraites,donc partageables, lors même que le sentiment est par définition singulier.

Il y a donc une part de notre individualitéqui est incommunicable, à savoir nos affects.

Mais justement, l'art réussit ce miracle de rendre communicable unaffect sans pour autant le rendre commun : regarder un tableau de Vermeer, c'est voir le temps d'un instant lemonde comme Vermeer lui-même le voyait ; écouter la petite sonate de Vinteuil (ce personnage du roman deProust À la recherche du temps perdu ), c'est grâce à l'œuvre devenir Vinteuil lui-même, ressentir exactement ce qu'il ressent.

Les œuvres d'art seraient donc le moyen de communiquer ce que le langage perd dans sacommunication : la nuance singulière d'un sentiment ou d'un état d'âme. II.

L'insuffisance du schème de la communication 1.

Toute œuvre d'art n'a pas pour but de communiquer une émotion On peut admettre, avec un certain droit, que l'œuvre sert à communiquer un sentiment, mais deux objections sefont rapidement jour.

D'une part, l'idée que l'artiste s'exprime dans l'œuvre est une conception récente, sans nuldoute inadéquate à la plupart des objets d'art : un vitrail gothique n'exprime pas le sentiment de celui qui l'a fait, aureste il n'est même pas signé et son créateur est demeuré anonyme ; de même pour la plupart des statuesgrecques, ou pour un masque africain, une mosaïque byzantine, etc.

Ce n'est qu'à partir de la Renaissance que lesartistes ont systématiquement apposé leur signature sur leurs œuvres, et ce n'est qu'au cours du XVIII e siècle qu'on a commencé à penser qu'elles exprimaient l'intériorité de leur créateur.

Dire qu'une œuvre d'art est faite pourexprimer les sentiments de l'artiste, c'est par conséquent plaquer un critère moderne sur des objets qui ne s'yprêtent pas forcément : cela a peut-être un sens pour des œuvres assez récentes (en fait, postérieures aumouvement romantique), mais sans doute aucun lorsqu'il s'agit d'objets plus anciens.

Peut-être qu'une symphonie deBeethoven exprime l'état d'âme du compositeur au moment où il l'a écrite ; mais ce n'est pas le cas d'une cantatede Bach, sauf à faire un grossier anachronisme. 2.

La fonction spirituelle de l'art Sans doute faut-il aller plus loin : comme l'a montré Hegel, toute création humaine est œuvre de l'esprit.

Mais alorsque les objets pragmatiques sont produits pour satisfaire des besoins en dernière instance corporels (il n'y aurait nimaisons ni marteaux pour en construire, si l'homme n'avait pas un corps à protéger du froid et de la pluie), lesœuvres d'art quant à elles n'ont aucune utilité pragmatique.

Cela ne signifie pourtant pas qu'elles ne « servent àrien » : en créant des œuvres d'art, l'homme pose qu'il est esprit, et la fonction d'une œuvre, c'est justementd'affirmer la spiritualité humaine.

Il y a donc des besoins de l'esprit qui ne sont pas réductibles aux besoins ducorps : l'esprit a besoin de s'affirmer, c'est-à-dire de s'extérioriser dans la matière en s'incarnant dans une œuvre.Un marteau est une production de l'esprit, mais au service du corps ; un poème ne sert à rien pour le corps, il estune affirmation de l'esprit en et pour lui-même. 3.

L'expression des vécus et la mort de l'art De même que j'ai besoin d'un miroir pour contempler mon propre visage, de même mon esprit a besoin de lamédiation de l'œuvre pour se contempler lui-même : parce que toute conscience est conscience de quelque chose,je ne peux pas avoir directement conscience de moi-même.

En d'autres termes, l'homme prend conscience de sanature spirituelle en créant des œuvres qui reflètent cette nature : les œuvres d'art.

L'art ne sert donc absolumentpas à exprimer les vécus subjectifs de l'artiste ; au reste, qui s'en soucierait, s'il ne s'agissait que de cela ? Ce n'estque dans l'art finissant ou « art romantique », comme le nomme Hegel, que l'on finit par croire que l'œuvre a pourbut de nous communiquer les sentiments de l'artiste : pour Hegel cette croyance, pour commune qu'elle soitdevenue, signifie seulement que « l'art est mort ».

Il ne s'agit pas de dire qu'il n'y a plus d'œuvres d'art (sans doutemême n'y a-t-il jamais eu autant d'artistes !), mais que l'art a été peu à peu vidé de tout son sérieux : l'homme nefait plus de l'art pour affirmer sa nature spirituelle, mais pour exposer au monde sa petite subjectivité, en espérantque le monde se pâmera d'enthousiasme (occupation où le dérisoire rivalise avec le risible et le piteux).. »

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