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L’originalité de Pascal

Publié le 16/01/2020

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pascal

que contradictoires). En ce sens, Pascal possède pleinement cette « vue synoptique » qui définit, chez Platon, le véritable philosophe (cf. République VII, 537c). Ce modèle permet aussi de mieux comprendre sans doute outre le style de la démarche pascalienne, et pour tout dire sa méthode, la célèbre distinction qu’il établit entre l’esprit de finesse et celui de géométrie. L’un est parfaitement illustré par ces « longues chaînes de raisons » si chères à Descartes : il procède par concaténation à partir de « vérités » élémentaires, selon le modèle offert par la géométrie d’Euclide. L’autre qui tire beaucoup de conséquences de peu de principes, et pour tout dire d’un seul, consiste à se hisser jusqu’à ce point haut, ce site perspectif, d’où l’on découvre, comme une nouveauté, les parentés jusque-là dissimulées au regard. Car, parfois, «... il faut tout d’un coup voir la chose d’un seul regard, et non par progrès du raisonnement, au moins jusqu’à un certain degré... » (Pensées, Lafuma 512 : Différence entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse).

Ajoutons enfin que, plus tard, la géométrie du cône soutiendra, comme nous essaierons de le montrer ci-dessous, et la théologie pascalienne et la vision générale qu’il aura du savoir...

Ainsi espérons-nous montrer à l’œuvre le fonctionnement de l’un de ces modèles que le savant fournit au philosophe ou au théologien et par quoi la philosophie se trouve comme renouvelée.

3/L’infini

Mais la rencontre avec Desargues, ce fut aussi, comme nous le verrons, la première rencontre de Pascal avec l’infini dont la considération est nécessaire à la nouvelle géométrie, ne serait-ce que pour compléter le jeu des correspondances entre chacun des points du cercle et ceux de ses images projectives. Et voilà bien un second thème essentiel de la réflexion pascalienne qui ne cessera de la provoquer tout au long des années à venir.

Certes, le concept d’infinité n’a point, à travers l’ensemble de l’œuvre, un sens univoque. Partout présent, l’infini s’y cache sous de multiples habillages. Depuis les points à l’infini des images du cercle dans les coniques, jusqu’aux substituts du ’ calcul infinitésimal mis en place à l’occasion des recherches sur la cycloïde. Depuis l’infinité de Dieu, jusqu’à celle de la nature en grandeur ou petitesse. Depuis l’infinité inassignable des savoirs à constituer, jusqu’à celle des principes toujours fuyants sur lesquels on voudrait les fonder. Depuis le jeu des distances infinies qui séparent les trois ordres des corps, des esprits et de la charité, jusqu’au nombre infini révélé par la combinatoire des figures dans les jeux de hasard... Mais, par-

Qui aborde aujourd’hui la lecture des œuvres scientifiques de Blaise Pascal, dans l’état où elles nous sont parvenues, doit compter avec deux traditions solidement établies. La première voudrait que notre auteur ne se soit occupé de sciences que par péché de jeunesse ou par distraction forcée, afin d’échapper au désœuvrement ou à quelque mauvaise migraine avant une suprême conversion, ainsi que le redisent les biographies (ou hagiographies) familiales... La seconde tradition livre au public l’image d’un génial amateur ayant les défauts de son personnage, entraîné par une multitude de sollicitations, allant d’une question à l’autre, au fur et à mesure que l’actualité l’entraîne... Bref : une œuvre sans importance, sans unité, sans grande originalité non plus puisque son auteur subit les problèmes du temps plus qu’il ne les suscite.

Celui qui prétend inviter à une lecture de cette œuvre doit donc, on le comprend, commencer par régler leur compte à ces deux vénérables traditions. Nous ne nous arrêterons guère sur la première : elle résiste trop difficilement aux faits eux-mêmes puisque nous savons que Pascal n’a cessé de s’intéresser aux questions scientifiques que lorsque sa santé défaillante lui eut interdit à peu près toute activité quelle qu’elle soit. Plus fondée apparaît la seconde. D’abord parce que Pascal semble toucher à tout, allant d’un sujet à l’autre, de la statique à l’arithmétique, de la géométrie du hasard à l’étude de la cycloïde, de celle des coniques à l’hydrostatique, des carrés magiques aux études sur le vide... Ensuite parce que Pascal n’invente ni la cycloïde, ni le triangle arithmétique, ni l’expérience de Torricelli, parce qu’il n’est pas le premier à s’intéresser au vide, aux indivisibles, à la statique... mais que chacune de ses recherches appelle au contraire la longue liste de ceux qui, prédécesseurs ou contemporains, se sont attaqués aux mêmes problèmes que lui : la légion des Fermât, Stifel, Grégoire de Saint-Vincent, Desargues, Stevin, Galilée et autres...

Certes, Pascal a des dettes. Mais qui peut prétendre vouloir rendre compte de l’originalité d’une oeuvre (et, dans la même mesure, de ce qui fonde son unité) en faisant simplement la part des emprunts et des nouveautés, du neuf et du déjà-vu?

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« L'histoire des sciences n'offre point d'exemple de génération spontanée et l'originalité d'une œuvre s'y définit sans doute moins par l'apport de matières nouvelles que par ce qu'elle fait de ce qui lui a été légué, comme s'il s'agissait moins de penser 1utre chose que de penser autrement.

Pascal n'en avait-il point d'ailleurs une très claire conscience lorsqu'il expliquait, dans les Pensées, que son originalité tenait moins à l'objet traité qu'à la manière ou l'ordre nouveau du traitement: « ••• qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau, la disposition des matières est nouvelle ...

comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente ...

,, (Pensées, Lafuma 696).

2 /La recherche d'un centre De cette originalité qui consiste à réorganiser les données antérieures, nous allons voir qu'elle tient essentiellement à la découverte d'un nouveau et véritable centre autour duquel elles prennent ordre et par lequel elles se comprennent.

En ce sens, la rencontre avec l'œuvre pourtant fort hermé­ tique du géomètre lyonnais Girard Desargues (1593-1662) apparaît décisive.

Aussi nous permettrons-nous d'attirer en tout premier lieu l'attention sur ce point.

C'est que la nouvelle géométrie du cône, ancêtre de notre géométrie projective, présente effectivement le modèle d'un ordre nouveau.

Il ne s'agit plus de l'enchaînement linéaire des propositions euclidiennes, mais de la soudaine et fulgurante découverte des parentés inaperçues entre le cercle générateur du cône et ses projections sur un plan sécant, parentés qui se révèlent à la vue de celui qui idéalement s'installe au sommet du cône.

Depuis ce site, l'œil découvre en effet que l'ellipse ou encore l'hyperbole, l'angle de droites, le point lui-même ...

forment contre toute attente une seule et même« famille»: celle des coniques, ces images ou apparences du cercle ...

Et, en chacune de ces espèces, se retrouvent les propriétés repérées dans le cercle, à quelques variations près, pourrait-on dire.

Mais pour que cette révélation ait lieu, encore faut-il occuper le vrai site.

Tel sera bien, sur le modèle de la géométrie du cône, la difficulté que Pascal ne cessera de rappeler et de préciser.

· Lorsqu'il découvre Desargues, l'ami de son père, le jeune Pascal n'a que seize ans, mais désormais cette recherche d'un centre ne cessera de guider et de hanter la réflexion tant du philosophe que du savant.

C'est pourquoi ce modèle géomé­ trique aide à comprendre Pascal tout entier.

Et d'abord, ce trait de caractère qui lui fait préférer les intuitions fulgurantes (qui sont aussi saisie de parentés cachées et principe d'organisation de données aussi diverses 15. »

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