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L'oubli n'est-il qu'une défaillance de la mémoire ?

Publié le 24/03/2004

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Celle-ci s'organise autour d'une somme de données que la machine va récupérer ; toujours la mémoire comme bienfait qui implique que l'oubli  soit une faiblesse.  Et dans un autre registre, que dire du devoir de mémoire qui plane au-dessus de nos consciences afin de ne pas répéter les mêmes erreurs que par le passé ?   Transition : Cependant, penser l'oubli comme une défaillance de la mémoire n'empêche-t-il pas de comprendre la mémoire elle-même et l'acte de connaître ?   2) Comment se fait-il que, si l'oubli est défaillance de la mémoire, l'on puisse se rappeler d'un oubli ? Ce paradoxe est présenté par saint Augustin dans les Confessions ; l'oubli n'est pas alors l'exact inverse de la mémoire, comme si l'oubli était néant, puisque l'on cherche parfois à se rappeler ce que l'on a oublié : l'oubli est lui aussi mémorisé. Ainsi, se présente inséparablement le couple mémoire/oubli. Cette approche de l'oubli constitutif de la mémoire se trouve clairement dans le Ménon de Platon. En effet, la condition du savoir est un oubli ontologique ; c'est parce que l'âme, en entrant dans un corps, a oublié les Idées que nous nous engageons sur la route de la connaissance. Savoir, selon Platon, c'est se rappeler et l'oubli nous pousse alors vers l'oublié. Le fameux extrait de l'esclave (82e) qui découvre la solution au problème de savoir comment doubler la surface d'un carré, montre que chacun d'entre nous a contemplé les Idées et a donc la connaissance enfouie en son âme ; le problème de la connaissance n'est autre que le problème de la réminiscence.

Nous aimerions pouvoir nous souvenir de tout ce qui nous arrive. Mais hélas, la mémoire nous fait souvent défaut. De la leçon apprise hier, il ne reste aujourd'hui que quelques bribes. Demain il n'en restera probablement plus rien. Il semble bien, au premier abord, que l'oubli est une défaillance, un dysfonctionnement de la mémoire. Sans doute la mémoire ne retient-elle pas tout. Mais pourrait-elle conserver intégralement le passé ? On voit bien que l'oubli - l'oubli de nos échecs, l'oubli des faits insignifiants - peut être bénéfique. Notre passé nous paralyserait, s'il était à tout moment présent à notre esprit.

« SUPPLEMENT: NIETZSCHE : la nécessité de l'oubli Si l'animal jouit d'un bonheur que l'homme jalouse, c'est parce qu'il n'a pas de mémoire supérieure.

Seul l'homme dit « je me souviens» et pour cela il lui est impossible de vivre heureux et pleinement.

En effet :1) C'est par la mémoire, conscience du passé, que l'homme acquiert la conscience du temps et donc celle de la fugitivité et del'inconsistance de toutes choses, y compris de son être propre.

Il sait que ce qui a été n'est plus, et que ce qui est est destiné à avoirété, à n'être plus.

Cette présence du passé l'empêche de goûter l'instant pur, et par conséquent le vrai bonheur.2) Le passé apparaît à l'homme comme l'irréversible et l'irrémédiable.

Il marque la limite de sa volonté de puissance.

L'instant présent,ouvert sur l'avenir, est le lieu du possible où peut s'exercer sa volonté de puissance.

Le passé, au contraire, change et fige lacontingence du présent en la nécessité du « cela a été ».

Dès lors la volonté ne peut que se briser sur cette pétrification du passé quise donne comme le contre-vouloir de cette volonté.

C'est pourquoi « l'homme s'arc-boute contre le poids de plus en plus lourd dupassé qui l'écrase ou le dévie, qui alourdit sa démarche comme un invisible fardeau de ténèbres ».3) Sans l'oubli l'homme ne peut pleinement vouloir ni agir : il est un être malade, il est l'homme du ressentiment.

La « santé »psychique dépend de la faculté de l'oubli, faculté active et positive dont le rôle est d'empêcher l'envahissement de la conscience par lestraces mnésiques (les souvenirs).

C ar alors l'homme réagit à ces traces et cette réaction entrave l'action.

Par elles l'homme re-sent, ettant qu'elles sont présentes à la conscience, l'homme n'en finit pas de ressentir, « il n'en finit avec rien ».

Englué dans sa mémoire,l'homme s'en prend à l'objet de ces traces dont il subit l'effet avec un retard infini et veut en tirer vengeance': « On n'arrive à sedébarrasser de rien, on n'arrive à rien rejeter.

Tout blesse.

Les hommes et les choses s'approchent indiscrètement de trop près, tousles événements laissent des traces; le souvenir est une plaie purulente.

» Mémoire et oubli - La mémoire, c'est aussi l'expérience douloureuse de l'oubli, si l'on entend par oubli le fait que des souvenirs ne puissent être rappelés.

On considère généralement l'oubli comme une défaillance pathologique de la mémoire (amnésie).

Or, oublier est parfoissalutaire, voire réconfortant.

Il s'agit donc de s'interroger sur la fonction et la valeur de l'oubli, et voir ce que l'expérience de l'oublinous révèle sur la mémoire elle-même.

L'oubli, une pathologie ou une vertu ? Peut-on véritablement vivre sans oublier ? - Une mémoire exhaustive n'est pas souhaitable dans la mesure où retenir l'intégralité absolue des informations reçues constitue une forme de folie.

La mémoire ne peut vivre que de sélection .

Exemple de Funes (Borges, in Fictions , « Funes ou la mémoire ») pour qui le passé peut revenir intégralement dans le présent (il souffre " d'hypermnésie ") : il perçoit tout, se souvientde tout ; il se souvient de chaque chose perçue, mais aussi de chacune des fois où il a perçu la chose : « J'ai à moi seul plus desouvenirs que n'en peuvent avoir eu tous les hommes depuis que le monde est monde », déclare Funes. - Une telle mémoire est une mémoire délirante parce que trop concrète, incapable d'abstraire, de négliger, d'abréger, de sélectionner, de penser vraiment : « Il avait appris sans effort l'anglais, le français, le portugais, le latin.

Je soupçonne cependantqu'il n'était pas très capable de penser.

Penser, c'est oublier des différences, c'est généraliser, abstraire .

Dans le monde surchargé de Funes, il n'y avait que des détails, presque immédiats » (Borgès, ibid.).

Une mémoire parfaite est une mémoire morte .

La mémoire vivante est imparfaite et oublie.

D'où la valeur inestimable de l'oubli . - Il y a une vertu de l'oubli qui est nécessaire à la vie mentale (vertu = puissance, excellence, perfection d'un acte), même si certains oublis sont fâcheux (oublier, par exemple, de fermer le gaz et faire sauter l'immeuble) ou pathologiques (ceux qui rendentla vie impossible: exemple de l'obsession).

L'oubli est souvent qualifié de négligence, de frivolité, d'insouciance et avoir une bonnemémoire rend incontestablement service.

L'oubli peut alors être une faiblesse (exemple de l 'Odyssée d'Homère, chant IX) : les lotophages offrent des aliments aux compagnons d'Ulysse ; ces aliments apportent l'oubli du pays natal et du retour ; Ulysse n'enmange pas et apparaît comme l'homme rusé qui se souvient. - Certes, l'oubli nous arrange, sert nos intérêts : « Nous oublions aisément nos fautes lorsqu'elles ne sont sues que de nous » (La rochefoucauld, Maximes ).

Il constitue une force de résistance et de défense : « Je l'ai fait », dit ma mémoire, «Je ne puis l'avoir fait », dit mon amour-propre, et il n'en démord pas.

En fin de compte, c'est ma mémoire qui cède » (Nietzsche, Par-delà le Bien et le Mal, par.

68).

L'oubli permet de vivre, de penser sans avoir constamment sous les yeux l'insupportable . - Pourtant, il y a des devoirs de mémoire : nos origines, les horreurs de la guerre et de l'histoire, notre mortalité.

La mémoire, sur le plan moral, est une condition du jugement moral et de la responsabilité.

La mémoire est de l'ordre de la volonté : c'est l'esprithumain qui décide ce qu'il ne faut pas oublier.

L'oubli, au contraire, est involontaire et, en cela, il semble exclu du champ de lamorale : il est impossible de devenir innocent, spontané si on nous dit de l'être ; impossible d‘oublier si on nous dit de l'être, si ondécide d'oublier (décider, c'est penser, penser à oublier, c'est conserver dans sa pensée ce que l'on doit oublier). - Que peut-on, dès lors, oublier, au sens moral ? Que sommes-nous en droit d'oublier ? Tout ce qui alourdit notre vie, les événements tristes ? Mais le désir d'oubli n'est - il pas suspect ? Comment maintenir un juste équilibre entre le trop de mémoire, qui étouffe, et le trop d'oubli, qui rend idiot, dangereux ? - L'oubli est une puissance de discrimination et d'esprit critique : il est bon de tourner la page, de digérer.

L'oubli, comme le signale Freud, est la condition d'une transformation des valeurs et des modes de fixation de la mémoire affective.

Il permet lesoulagement en évitant de faire sombrer le sujet dans le comportement pathologique de la « conduite de deuil » et de la mélancolie.L'oubli est la condition du travail du deuil (cf.

Cours sur l'existence et la mort). - La véritable liberté ne peut être qu'active et créatrice.

Elle ne peut consister que dans le détachement à l'égard du passé pour rendre possible la nouveauté.

L'oubli devient alors une force morale .

Celui qui est capable de pardonner l'offense est le fort . Nietzsche doit faire la différence entre le pardon chrétien et celui qu'il prône : le chrétien pardonne sans oublier, il pardonne pardevoir.

L'aristocrate (le fort, le meilleur) pardonne parce qu'il a oublié : sa distance est telle à l'égard de l'offense qu'il ne la ressentplus comme telle.

Le pardon n'est pas un effort, mais une légèreté, une force, une poussée vitale .. »

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