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Malebranche : Sapientis oculi in capite ejus, stultus in tenebris ambulat .

Publié le 18/04/2009

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malebranche
Il est assez difficile de comprendre, comment il se peut faire que des gens qui ont de l'esprit, aiment mieux se servir de l'esprit des autres dans la recherche de la vérité, que de celui que Dieu leur a donné. Il y a sans doute infiniment plus de plaisir et plus d'honneur à se conduire par ses propres yeux, que par ceux des autres ; et un homme qui a de bons yeux ne s'avisa jamais de se les fermer, ou de se les arracher, dans l'espérance d'avoir un conducteur. Sapientis oculi in capite ejus, stultus in tenebris ambulat (1). Pourquoi le fou marche-t-il dans les ténèbres ? C'est qu'il ne voit que par les yeux d'autrui, et que ne voir que de cette manière, à proprement parler, c'est ne rien voir. L'usage de l'esprit est à l'usage des yeux, ce que l'esprit est aux yeux ; et de même que l'esprit est infiniment au-dessus des yeux, l'usage de l'esprit est accompagné de satisfactions bien plus solides, et qui le contentent bien autrement, que la lumière et les couleurs ne contentent la vue. Les hommes toutefois se servent toujours de leurs yeux pour se conduire, et ils ne se servent presque jamais de leur esprit pour découvrir la vérité. Malebranche, De la Recherche de la vérité

Cette première oeuvre de Malebranche (1638-1715), imposante, et qu'il ne cessera de compléter et de parfaire au point qu'on ne puisse la lire sans ses nombreux Éclaircissements, est de dix années postérieure à son ordination et à sa découverte simultanée et enflammée de la philosophie de Descartes. Sa vocation uniment religieuse et philosophique va consister à compléter et à corriger l'un par l'autre Saint Augustin et l'auteur des Méditations métaphysiques pour forger un système philosophique original. Alors que Descartes restait plutôt discret et prudent sur les rapports de la raison et de la foi, et tendait à cloisonner ces deux domaines, Malebranche va les unir au point de parfois les confondre.  Comment conjoindre l'idée cartésienne d'une lumière naturelle garante de la vérité par la certitude, et donc d'une responsabilité face au vrai, avec celle augustinienne ou même platonicienne d'un ordre divin des vérités et des perfections, indépendant des hommes, objet d'une foi consistante ? Comment permettre ainsi à l'homme de se régler méthodiquement sur cet ordre pour être à la fois dans le vrai et dans le juste ? Le projet d'une recherche de la vérité est à la fois scientifique puisqu'il s'agit d'étudier l'âme et apologétique puisqu'il s'agit de la sauver.

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« Si les hommes se servent encore de leurs propres yeux pour se conduire et ont ainsi l'impression de voir clairement,ils « aiment mieux se servir de l'esprit des autres dans la recherche de la vérité » et ne croient pouvoir comprendreque lorsqu'un professeur est là pour leur expliquer.

Ce qui vaut pour les yeux ne vaut donc plus pour l'esprit.

Il existetoujours un rapport entre ces notions, mais il a changé de sens d'une ligne à l'autre du texte.

Il s'est inversé etc'est ce qui amène Malebranche à dire que les hommes qui se conduisent ainsi sont en réalité aveugles.

« L'insensémarche dans les ténèbres », nous dit-il.

C'est la contrepartie logique de l'inversion du rapport que l'on a effectué.

Lefait est que l'on ne peut pas plus voir par les yeux d'autrui que l'on ne peut penser par l'esprit d'un autre, fût-ilprofesseur.

Seuls les aveugles, qui marchent dans les ténèbres, ont des guides.

Il s'en suit que l'insensé, c'est-à-dire celui qui a inversé le rapport que le bon sens établit naturellement entre les choses, est comme un aveugle.

Il acomme lui besoin d'un guide spirituel, d'un précepteur, ou d'un directeur de conscience, parce qu'il se croit incapablede conduire seul sa propre pensée.

« Il ne voit que par les yeux d'autrui, et ne voir que de cette manière, c'est nerien voir » conclut Malebranche.Qui faut-il donc écouter lorsqu'il s'agit de chercher la vérité ? Qui reconnaître comme son maître ? Vers qui setourner : vers les autres, ou vers soi-même ? III.

Il faut penser par soi-même pour chercher librement la vérité Il faut réfléchir pour connaître la vérité répond Malebranche.

Cela équivaut ici à revenir à soi et au bon sens enétablissant un rapport directement proportionnel entre l'œil et l'esprit.

Il s'agit d'effectuer une véritable conversionphilosophique.

De même que l'on ne voit jamais mieux que lorsque l'on voit par soi-même, on ne pense jamais mieuxque lorsque l'on pensera par soi-même.

Il faut donc commencer par se retrouver et rentrer en soi, c'est-à-direréfléchir, au lieu de se mettre immédiatement et passivement à l'écoute des autres.

La réflexion désigne ce retour àsoi : ce mouvement qui consiste dans un premier temps à se détourner des autres pour faire face à soi-même.

C'estune conversion, qui inverse radicalement le rapport que nous entretenons généralement avec les autres et nous-mêmes.

Le propos de Malebranche est de nous faire comprendre, en raisonnant par analogie, que l'on ne peutprétendre chercher la vérité sans opérer cette conversion.

Il faut réfléchir pour la connaître, parce qu'elle n'existequ'en nous, non en dehors de nous, c'est-à-dire dans notre esprit, non dans celui des professeurs.

« Les yeux dusage sont dans sa tête » et la vérité est donc naturellement sans maître : elle n'appartient à personne enparticulier, mais à tous par nature et il appartient à chacun, en science comme en morale, d'être son propre maître.C'est ce qui distingue la pensée ou la connaissance proprement dite, de l'opinion et du préjugé : tenir uneproposition pour vraie parce qu'un autre nous dit qu'elle est telle, sans chercher à la démontrer soi-même, c'estavoir une opinion, non une connaissance.

On admet une proposition sans savoir si elle est vraie en soi, en suivant lejugement de ceux qui l'on déjà jugée avant nous, ce qui est la définition du préjugé.

Mais la vérité est que pensersignifie toujours penser par soi-même, c'est-à-dire réfléchir.

La connaissance n'est qu'à celui qui peut démontrer lui-même la vérité de ses dires, sans se référer à autrui.

C'est le principe général de l'autorité et de la liberté.

C'esttoujours « je » qui pense, c'est-à-dire le sujet en première personne.

C'est le principe des Lumières : celui d'unepensée qui sort de la minorité pour accéder à la majorité.

C'est la fin de l'obscurantisme.

Tout le reste n'est quepréjugé : opinion aveugle et servile. Conclusion La pensée éclairée est celle qui trouve en elle-même les lois de son propre exercice nous dit Malebranche.

Elles'émancipe de ses autorités de tutelle pour devenir autonome.

Elle n'a plus besoin de guide pour se conduire, à ladifférence des aveugles qui n'avancent et ne voient que par les yeux des autres.

L'analogie de l'œil et de l'espritpermet ainsi à notre auteur de montrer que les notions de conscience, de vérité, et de liberté sont liées.

C'est parceque la vérité est en nous, inscrite dès l'origine en notre conscience, que notre pensée peut être libre, indépendanteet autonome.

La réflexion, c'est-à-dire la méditation ou le dialogue intérieur, est alors la seule méthode permettantde connaître la vérité, par une inspection de l'esprit.

L'innéité garantie ainsi la liberté de la pensée : la vérité est parelle-même sans maître et ne dépend que de la conscience, c'est-à-dire d'une autorité interne et non externe.

Il fautpenser par soi-même pour la trouver.

On trouvera du même coup la liberté.

C'est le principe des Lumières, quedéfinit ici Malebranche.. »

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