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MARX: Atome et liberté

Publié le 22/02/2012

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En vérité : la singularité immédiate n'est réalisée selon son concept qu'autant qu'elle se rapporte à autre chose qu'elle est elle-même, lors même que cette chose se présenterait à elle sous la forme d'une existence immédiate. C'est ainsi que l'homme ne cesse d'être un produit de la nature qu'au moment où l'autre chose à laquelle il se rapporte n'est pas une existence différente, mais est elle-même un homme singulier, bien qu'il ne soit pas encore l'esprit. Mais pour que l'homme en tant qu'homme devienne pour soi son unique objet réel, il doit avoir brisé en soi-même son existence relative, la puissance du désir et de la pure nature. La répulsion est la première forme de la conscience-de-soi; elle correspond donc à la conscience de soi qui s'éprouve comme un existant-immédiat, comme une singularité abstraite. Dans la répulsion se réalise, par conséquent, le concept de l'atome, selon lequel celui-ci est la forme abstraite, tout en étant le contraire, la matière abstraite; car ce à quoi il se rapporte, ce sont bien des atomes, mais des atomes différents. Or, si je me comporte envers moi-même comme envers un immédiatement-autre, mon comportement a un caractère matériel. C'est l'extériorité la plus haute qu'on puisse concevoir. Dans la répulsion des atomes s'accomplit donc la synthèse de leur matérialité, qui était posée dans la chute verticale, et de leur détermination formelle, qui était posée dans la déclinaison. A l'opposé d'Épicure, Démocrite transforme en mouvement forcé, en acte de l'aveugle nécessité, ce qui, pour le premier, est réalisation du concept d'atome. Nous avons déjà vu qu'il explique la substance de la nécessité par le tourbillon qu'engendrent la répulsion et l'entrechoquement des atomes. Il ne conçoit donc que le côté matériel de la répulsion, la fragmentation, l'altération, et non le côté idéal d'après lequel toute relation à un objet autre est niée dans cela, le mouvement étant posé comme détermination de soi-même. Cela ressort clairement de ce qu'il se représente tout à fait concrètement un seul et même corps divisé en de nombreux corps par l'espace vide, comme de l'or brisé en morceaux. Il ne saisit donc guère l'Un comme concept de l'atome. « Sur la différence de la philosophie naturelle chez Démocrite et Épicure » (1841), in Œuvres, Paris, La Pléiade, Gallimard, 1982, T. II, p. 40.
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« immédiatement.

L'exemple apporte une précision importante sur ce qu'il faut entendre par se rapporter.

Unhomme singulier se rapporte à un autre homme singulier, non à une existence différente, par exemple un animalou un végétal.

Dès lors son existence n'est pas relative (exister par autre chose), mais déjà conforme à son concept d'homme (exister par le même).

Cependant, la réalisation de son humanité comme telle seraitimpossible s'il en venait à se rapporter à l'autre comme à un être naturel quelconque, par exemple par le désir :car dans le désir, l'un se pose par relation à l'autre, et pose également l'autre par relation.

Briser en soi larelation, c'est la définition que Marx donne de la répulsion : non une aversion, mais la position séparée de l'unet de l'autre en tant que singularités, même si les deux ont une commune nature (l'humanité).

Dans la répulsion, l'homme ne pose pas l'humanité, mais il pose sa propre singularité au lieu de poser unerelation : la répulsion est alors le préalable pour la position de l'homme en tant qu'homme. A l'exemple de l'homme se substitue celui de l'atome, et à la répulsion s'associe la déclinaison.

Ons'approche donc d'une évaluation philosophique de l'apport d'Épicure, qui achève le texte.

Ici, on examinele concept même de l'atome, tandis qu'on envisageait l'homme seulement comme singularité concrète.

Laforme abstraite de l'atome, c'est la séparation : il est à part des autres atomes; mais Marx ajoute que samatière abstraite tient à la répulsion il « se tient » à l'écart des autres, « se comportant » envers lui-même comme envers un immédiatement autre.

Par l'atome, la matière est différenciée non seulementformellement (il y a plusieurs atomes identiques) mais matériellement (un atome « se pose » commeautre).

A ce point, la répulsion, comme acte matériel, c'est la déclinaison.

Aussi, on ne peut dire qu'ilstombent parce qu'ils sont matériels, mais divergent de la verticale parce qu'ils sont des formes singulières: la déclinaison a un caractère matériel qui tient à la répulsion, conscience de soi de l'atome.

Elleaccomplit la synthèse de la chute et de la déclinaison, de la matière pesante et de la forme séparée.

3. Marx n'a fait que préciser sans le dire, dans ce qui précède, la fonction de la répulsion dans la conceptionépicurienne de l'atome.

Le parallèle avec Démocrite souligne une différence philosophique essentielle quirejaillira sur le problème anthropologique et politique. 4. Plutarque est l'auteur d'un commentaire sur Démocrite que Marx, au début du texte, présente ainsi : «Démocrite ferait de la nécessité le destin et le droit, la providence et le démiurge.

Mais la substance decette nécessité serait l'antitypie, et le mouvement et le choc de la matière .

» La répulsion serait alors substance de la nécessité, le contenu de son idée.

Tout ce qui arrive arrivenécessairement, parce que, au lieu de tomber éternellement dans le vide à la verticale, les atomes seheurtent et s'entrechoquent à l'aveuglette, déterminant des tourbillons dont procèdent toutes les chosesparticulières.

Pour Démocrite, la répulsion n'est que le nom de ce mystérieux écart qui éloigne les atomesde la ligne verticale, engendrant des désordres à l'infini.

C'est de ce fait une « dispersion » des corpsdans l'espace vide, une pure multiplicité du même, la substance matérielle divisée en fragments quis'entrechoquent. Marx veut montrer qu'Épicure interroge le concept de l'atome en lui-même, plutôt que de forger unmythe de l'origine matérielle de la nécessité où l'atome entrerait à titre d'agent indifférent etindéterminé. Épicure, à l'opposé, pose le mouvement (des atomes) comme détermination de soi-même, et de cefait l'atome n'est plus fragment de matière, identique à tout autre (comme de l'or brisé en morceaux)mais Un, comme son concept (l'indivisibilité) l'indique : à la division accidentelle s'oppose la divisionessentielle de la matière en multiples « Uns » . Il faut anticiper un peu pour saisir la fonction politique de ces précisions concernant l'atome.

Marx veutmettre en évidence un lien rattachant ensemble toutes les questions dont traite Épicure.

Si lesrapprochements étaient livrés à la pure nécessité, les contrats et même l'amitié, qui supposent un librechoix et une libre détermination par chacun de sa conduite, seraient impossibles.

La conceptionépicurienne de la répulsion est ainsi, paradoxalement, la clé de sa conception du lien social.. »

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