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Marx et le problème de l'art

Publié le 24/01/2013

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marx

 

 

            « En ce qui concerne l'art on sait que certaines époques de floraison artistique ne sont nullement en rapport avec l'évolution générale de la société, ni donc avec le développement de la base matérielle qui est comme l'ossature de son organisation. Par exemple les Grecs comparés aux modernes, ou encore Shakespeare. Pour certaines formes de l'art, l'épopée par exemple, on va jusqu'à reconnaître qu'elles ne peuvent jamais être produites dans la forme classique où elles font époque. Dès que la production de l'art fait son apparition en tant que telle; on admet par là, que dans la propre sphère de l'art, telles de ses créations insignes ne sont possibles qu'à un stade peu développé de l'évolution de l'art. Si cela est vrai du rapport des divers genres d'art à l'intérieur du domaine de l'art lui-même, on s'étonnera déjà moins que cela soit également vrai du rapport de la sphère artistique dans son ensemble à l'évolution générale de la société. La seule difficulté c'est de formuler une conception générale de ces contradictions. Prenons par exemple l'art grec... dans son rapport à notre temps. Il est bien connu que la mythologie grecque fut non seulement l'arsenal de l'art grec mais aussi sa terre nourricière. L'idée de la nature et des rapports sociaux qui alimente l'imagination grecque... est-elle compatible avec les métiers à filer automatiques, les locomotives et le télégraphe électrique? Qu'est-ce que Vulcain auprès de Roberts et Cie, Jupiter auprès du paratonnerre?... Toute mythologie dompte, domine, façonne les forces de la nature, dans l'imagination et par l'imagination; elle disparaît donc au moment où ces forces sont dominées réellement... D'autre part, Achille est-il possible à l'âge de la poudre et du plomb?... Les conditions nécessaires de la poésie épique ne s'évanouissent-elles pas? Mais la difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée sont liées à certaines formes du développement social, la difficulté, la voici : ils nous procurent encore une jouissance artistique et à certains égards ils servent de norme, ils nous sont un modèle inaccessible... ... Un homme ne peut redevenir enfant sans être puéril. Mais ne se réjouit-il pas de la naïveté de l'enfant et ne doit-il pas lui-même s'efforcer à un niveau plus élevé de reproduire sa vérité? Est-ce que, dans la nature enfantine, ne revit pas le caractère de chaque époque, dans sa vérité naturelle? Pourquoi l'enfance historique de l'humanité au plus beau de son épanouissement n'exercerait-elle pas l'attrait éternel du moment qui ne reviendra plus ? «

 

Marx, Introduction générale à la critique de l'économie politique

 

 

               Dans un fragment de 1857 de l’introduction générale à la critique de l’économie politique resté inédit, Marx aborde le problème de l’art. Il écrira deux ans plus tard dans l’avant-propos de la critique de l’économie politique : « J’avais ébauché une introduction générale, mais je la supprime réflexion faite, il serait gênant d’anticiper sur des résultats non encore établis «. Le problème de l’art est sans conteste le plus épineux qui puisse se poser à Marx. Même les marxistes qui si sont attaqués tels que G. Lukacs et H. Lefebvre s’y sont cassés les dents. Si nous voulons cerner en quoi Marx se trouve dans l’impasse, il est souhaitable de rappeler le principe de sa philosophie, à savoir le matérialisme historique et dialectique. Les forces de production (l’état technologique, les moyens de productions historiquement donnés) et les rapports de production, c’est-à-dire les relations conflictuelles des classes sociales qui en découlent, constituent l’infrastructure de la société. L’évolution de cette dernière détermine l’état de l’infrastructure idéologique : les institutions politiques, juridiques, les systèmes philosophiques et religieux, et les créations artistiques par lesquelles une société prend conscience d’elle-même, ne constituent pas des domaines autonomes, mais traduisent l’évolution de l’infrastructure économique et sociale. Marx souligne que l’un des points délicats à examiner est celui du « rapport intégral entre le développement de la production et celui de l’art «.

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« mais traduisent l’évolution de l’infrastructure économique et sociale.

Marx souligne que l’un des points délicats à examiner est celui du « rapport intégral entre le développement de la production et celui de l’art ».

Car « il ne faut pas concevoir l’idée de progrès dans son abstraction vulgaire ».

« Certaines époques de floraison artistique, précise- t-il, ne sont nullement en rapport avec l’évolution générale de la société, ni donc avec le développement de la base matérielle.

Par exemple les Grecs ou encore Shakespeare ».

Constatation d’un fait.

L’art grec, la poésie homérique par exemple représente une prouesse artistique, et pourtant la société grecque est économiquement faible.

De même le théâtre shakespearien domine la sphère théâtrale pour se déployer dans une économie inférieure à la nôtre.

Si le progrès techno -scientifique est continu, l’histoire de l’art ne peut se lire sur le mode de la progression.

Aussi une société p eu développée peut avoir des créations artistiques d’une profonde richesse.

Écrire après Homère ne veut pas dire mieux écrire.

La question par d’un constat : les superstructures artistiques offrent une apparente autonomie contraire au principe du matérialisme historique : l’histoire de l’art ne reflète pas l’état économique et social d’une société donnée.

Il faut donc deux distorsions dans l’appréhension de la superstructure artistique.

D’abord à l’intérieur du domaine de l’art lui- même, des formes d’art pr imitives donnent naissance à des créations sublimes dont le génie ne sera pas toujours égalé par les formes suivantes.

Par exemple, l’épopée n’apparaît jamais « qu’à un stade peu développé de l’évolution de l’art » et pourtant ce genre a fait surgir des œu vres insignes.

Ensuite, des chefs- d’œuvres artistiques sont produits par des sociétés se trouvant à un degré inférieure de développement économique.

H.

Lefebvre écrit à ce propos : « Lukacs semble avoir interprété ce texte de Marx en un sens contestable.

Une société économiquement supérieure pourrait avoir un art et une culture inférieure.

Marx a seulement voulu dire qu’une société économiquement inférieure peut avoir une supériorité dans certaines formes d’art (l’épopée d’Homère par exemple) qui peuvent co nnaître à un stade inférieur une floraison qu’elles ne connaîtront plus.

» La difficulté dira Marx « est de formuler une conception générale de ces contradictions ».

En effet, le matérialiste dialectique pense que les contradictions sont la trame de l’histoire.

L’autonomie apparente des superstructures, les distorsions, les contradictions constituent une objection décisive à un matérialisme pour lequel la superstructure serait parallèle à l’infrastructure qui la produit.

Mais Marx a toujours affirmé l’inter dépendance complexe entre les deux structures.

Le problème des superstructures artistiques, même s’il n’a pas reçu une solution satisfaisante, peut en tant que problématique être assimilé par la philosophie dialectique.

Il n’en présente pas moins des difficultés propres.

Marx explique bien, en effet, le retard fréquent de certaines idéologies qui se maintiennent souvent en dépit de l’avancée économique : soit parce que leur forme très structurée leur assure une longue survie (c’est le cas du droit romain do nt l’essentiel persiste dans les institutions juridiques des hautes sociétés), soit parce que la classe dominante parvient à maintenir des pouvoirs et des privilèges (à travers des formes culturelles qui les traduisent et les dissimulent) qu’un état ancien des forces de productions, aujourd’hui dépassé, avait jadis suscités.

Mais quant il s’agit de l’art la difficulté est inverse.

C’est le paradoxe d’une superstructure qui, avec des œuvres géniales, paraît en avance sur l’infrastructure matérielle.

Hegel d ans son Esthétique avait déjà insisté sur les rapports que la sculpture grecque avec la religion : « Une religion qui s’adresse aux sens comme la religion grecque doit produire sans cesse de nouvelles images.

» Et d’ajouter : « pour le peuple, la vue de pa reilles œuvres n’était pas un simple spectacle, elle faisait partie de la religion elle -même et de la vie […] L’art grec n’était pas un simple ornement mais le besoin vivant, impérieux.

» Il signale même que l’art romain serait inférieur parce que ce « souffle intérieur » a disparu.

Marx qui se réfère surtout à Homère déclare que « l’art grec suppose la mythologie grecque, c’est -à -dire la nature et les formes sociales, déjà élaborée au travers de l’imagination populaire. »

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