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Mémoire, identité personnelle : La notion de sujet dans l'histoire de la philosophie

Publié le 11/04/2013

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AVANT-PROPOS Cette présente étude est une très modeste contribution à la vielle et assez problématique discussion philosophique sur le sujet et son identité. La prise en charge de cette question par diverses traditions philosophiques, offre aujourd'hui un large échantillon théorique où chacun des néophytes que nous sommes peut trouver son compte. On la verra ainsi articulée chez nous au milieu de trois grandes traditions : les rationalistes avec Descartes, les empiristes avec Hume et Locke et la tradition phénoménologique husserlienne avec Paul Ricoeur, l'un de ses derniers représentants. Comment la théorie de l'identité s'est-elle déplacée des conceptions substantialistes du sujet, généralement fondées sur l'âme ou la conscience de soi, aux théories phénoménologiques ou narratives, où l'identité est liée à l'histoire et au vécu du sujet ? Telle est, en résumé, la préoccupation centrale de cette investigation sur l'identité personnelle de David Hume à Paul Ricoeur. DEDICASSE Pour une première expérience, nous dédions ce modeste travail à tous nos camarades néophytes et apprentis philosophes, pour leurs rappeler, à travers l'ensemble des limites et tâtonnements inhérents à ce mémoire, que la philosophie n'est qu'une pensée qui se cherche encore ; leur rappeler que nous ne sommes encore qu'au seuil d'un monument qui, pour avoir été formés et initiés à le contempler, ne fait pas de nous ses ultimes dépositaires. REMERCIEMENTS Nous remercions Monsieur M. Bado NDOYE, Maître assistant, d'avoir accepté de diriger ce travail. Ses suggestions et critiques, son exigence et sa disponibilité nous ont guidés et permis de terminer ce mémoire. Nous profitons de cette occasion pour adresser nos remerciements à l'ensemble du corps professoral du département de Philosophie, mais aussi à nos formateurs du primaire et du secondaire. A toutes et à tous, nous exprimons notre profonde gratitude ! SOMMAIRE INTRODUCTION ..............................................................................................p.3 I / POSITION DUPROBLEME .......................... ...................................................p.7 II / LE PROCES DE LA SUJECTIVITE : DE J. LOCKE A D. HUME ...............................p.11 II 1 / Le programme de l'empirisme anglais ............................................................p.12 II 2 / La thématique de l'identité personnelle dans la pensée empiriste anglaise................p.38 II 3 / L'identité selon John Locke......................................................................p.40 II 4 / Hume et sa critique anticartésienne de l'identité................................. ;..........p.47 III / LA PORTEE PHILOSOPHIQUE DE LA CRITIQUE HUMIENNE..............................p.63 IV / L'IDENTITE SELON RICOEUR ......................................................................p.68 IV 1 / L'identité personnelle comme identité narrative...........................................p.78 CONCLUSION................................................................................................p.97 TABLE DES MATIERES....................................................................................p.105 BIBLIOGRAPHIE............................................................................................p.106 INTRODUCTION Parmi les questions qui ont dés l'aube grecque configuré l'espace théorique de la philosophie, la question de l'identité figure en bonne place. Il semble que ce qui fait l'originalité de cette question, c'est avant tout sa complexité. En effet même si chacun croit à priori savoir qui il est, la connaissance qu'il a de lui-même se réduit le plus souvent à son nom, son prénom, ses caractéristiques physiques, son statut social ou sa profession. Or si ces informations peuvent suffire à un agent de la police ou de l'état civil, elles ne disent pourtant pas suffisamment l'identité du sujet. En réalité la question « qui suis-je ? « ou « qu'est-ce que le sujet ? « attend plus qu'une simple description empirique du sujet. C'est un détour par l'ontologie qui nous révèle toute sa dimension philosophique. L'étymologie latine du terme « sujet «, subjectum, qui renvoie au substrat, à l'être qui supporte les prédicats, montre que cette question vise fondamentalement l'essence ou l'être du sujet. En d'autres termes, ce qui, dans le sujet, est permanent. C'est ainsi que pour Platon, l'essence dernière de l'homme c'est son âme car celle-ci est d'une certaine manière, contrairement au corps, en dehors du temps. La question de l'identité est donc avant tout une question de l'essence du sujet. Dans sa formulation moderne qui demeure encore tributaire de l'étymologie du terme « sujet «, cette question procède de l'expérience que nous faisons d'être le même individu, malgré les changements qui nous affectent au cours de notre vie, du fait du temps. En d'autres termes, à cause du temps, tout en moi est soumis au devenir : mon corps, mes pensées, mes croyances, mes gouts... Mais malgré cela, je me regarde comme la même personne, identique à elle-même et différente des autres. Qu'est-ce qui fonde chez moi une telle assurance à l'égard de celui que je suis ? Pourquoi l'identité ne pose jamais de problème majeur à la conscience naturelle et n'attire pas l'attention du sujet, quant à sa légitimité ? Que la conviction à l'égard de celui que nous sommes soit dans notre expérience individuelle un passage très facile, cela ne doit pas occulter le caractère proprement énigmatique et problématique d'une telle expérience. Tout se passe en réalité comme si, au milieu des diverses métamorphoses que nous subissons, il y avait un principe inchangé et invariable par lequel nous nous identifions ; « quelque chose « qui, résistant aux effets du temps, constitue en nous le principe de l'identité et explique le sentiment que nous avons d'être le même individu malgré les changements qui nous affectent dans notre vie. Mais alors tout en moi ne serait pas soumis au devenir. La question que l'on se poserait dés lors, c'est en quoi consiste ce principe de l'identité du sujet ? Et plus radicalement, que signifie pour un homme être semblable à soi-même ? Ou qu'est-ce qui est proprement le même ? Une longue tradition a depuis Platon situé ce principe au coeur de la subjectivité humaine (à travers l'âme ou la conscience). Est-ce ainsi parce que j'ai conscience d'avoir une identité personnelle que j'en attribue une aux autres, ou suivant la voie contraire, parce que j'ai conscience de leur existence individuelle que je m'attribue à moi-même une identité ? Bref d'où nous vient l'idée d'être un MOI individuel, possédant une identité personnelle dans le temps ? Dans notre investigation nous nous proposons de revisiter cette problématique telle qu'elle s'est posée de David Hume à Paul Ricoeur. Il s'agira de montrer que si la critique humienne du sujet a, par sa radicalité, mis en mal les philosophies du cogito dans leur tentative de définir l'identité du sujet, la perspective phénoménologique de Ricoeur repose et assume à sa manière la question du sujet. La critique Humienne avait en effet arraché toute légitimité à la métaphysique cartésienne du cogito, en tant que celle-ci supposait l'existence distincte et continue d'un Moi définissant l'identité du sujet. Or si Hume en appelle ici, comme son prédécesseur Locke, à l'expérience ou au vécu pour invalider totalement les théories du MOI, on peut se demander avec sa postérité et Ricoeur principalement, à quel point son scepticisme à l'égard de l'identité personnelle échappe-t-il lui-même à l'emprise de la critique philosophique. L'idée de Ricoeur c'est, dans ce débat pluriséculaire sur l'identité du sujet, de transférer cette problématique du terrain de la métaphysique, où elle semblait prisonnière des célèbres paradoxes de l'identité exposés par Locke dans son Essai philosophique sur l'entendement Humain à celui de la phénoménologie et de l'herméneutique philosophique. En fait l'une des données fondamentales jusque-là omise par les traditions antérieures -idéalistes et empiristes -, c'est que le sujet dont l'identité est ici recherchée, n'est pas un substrat intemporel, mais un être purement temporel, évoluant au milieu de ses semblables et ayant donc une histoire. C'est en l'occurrence dans son histoire qu'il faudrait d'après Ricoeur chercher l'identité du sujet ou plus précisément de la personne, en tant qu'identité qui se construit dans le temps. La théorie ricoeurienne de l'identité, qu'il appellera identité narrative, nous apparaitra alors très redevable des apories auxquelles se sont heurtés ses prédécesseurs dont Hume principalement. Jusque-là, dira-t-il, on a cherché une identité du type de la substance (idem), alors que ce n'est pas la seule modalité d'identité qui soit. La principale leçon qu'il aura dans ce sens reçu de Hume, critiquant pour sa part les philosophies du MOI, c'est que la subjectivité humaine n'est qu'une pure donnée d'ipséité, plutôt caractérisée par sa variabilité et son inconsistance. Mais loin d'en conclure comme ce dernier à l'inexistence d'une identité personnelle, Ricoeur y cherche une modalité d'identité qui n'est plus celle de la substance, mais celle du soi (ipse). Nous tenterons ainsi de renouer avec les philosophies du cogito par le recours à la perspective de Ricoeur qui pose l'identité d'une manière assez originale : comme identité idem d'une part et ipse de l'autre. Si la première catégorie dit l'identité au sens de « mêmeté « et renvoie à l'identité numérique : empreintes digitales, code génétique ; la seconde catégorie dit l'identité au sens d' «ipséité « et fait référence à la constance à soi dans la parole tenue. L'abime entre les deux modèles de permanence du soi dans le temps étant réduit par le concept d'identité narrative « qui lie, comme son nom l'indique, notre capacité d'être nous-mêmes et celle de raconter une histoire dans laquelle nous puissions nous reconnaitre «. Mais avant d'en venir à Hume et à Ricoeur, il conviendrait de définir tout d'abord la manière dont cette problématique de l'identité s'est articulée au seuil de la modernité avec la philosophie cartésienne du sujet. POSITION DU PROBLEME Le Cogito cartésien : statut anthropologique Peut-on assumer pleinement la problématique de l'identité personnelle, telle qu'elle s'est posée de Hume à Ricoeur, sans un détour par Descartes ? Même si la philosophie cartésienne est plus connue pour sa théorie de la connaissance, fondée sur la prééminence épistémologique du cogito et les principes innés de la raison, elle a pourtant initié au coeur des Méditations métaphysiques un type de questionnement sur le sujet assez symptomatique d'une anthropologie. En effet dans la seconde méditation, Descartes, après avoir affirmé l'existence du sujet, pose la question : « Mais qu'est-ce donc que je suis ? « Cette question qui, s'il est besoin de le rappeler, est par excellence la question de l'identité, et la réponse qu'en a donnée Descartes, sont le point de départ de la confrontation entre les théories analytiques de l'identité et les perspectives phénoménologiques. Du cogito cartésien aux théories narratives de l'identité chez Ricoeur, en passant par la tradition empiriste, représentée ici par John Locke et David Hume, il y a un certain souci de penser l'expérience de l'identité, c'est-à-dire le sentiment éprouvé par chacun d'avoir une identité personnelle malgré les changements qui l'affectent au cours de sa vie. La difficulté de la question fait que les réponses philosophiques qui lui sont données vont des plus radicales comme l'identité substantielle chez Descartes ou la pure fiction de l'imagination chez Hume, aux plus modérées comme l'identité de la conscience chez Locke, mais surtout l'identité comme narrativité chez Ricoeur. On semble en effet être passé de la question « que suis-je ? « à la question «qui suis-je ?«, avec une nette distinction chez Locke entre : « qu'est-ce que l'identité humaine ? « et « qu'est-ce que l'identité personnelle ? «. Descartes par exemple, et comme on le verra tout à l'heure, se souci plus de savoir « qu'est-ce qu'il est ? « que « qui il est ? «. Il faut ici souligner que si la première question vise l'identité du substrat ou l'essence dernière de l'homme, la seconde cherche l'identité singulière d'un sujet pris individuellement. Avec Ricoeur la question de l'identité se dédouble en identité numérique ou identité mêmeté d'une part et identité du soi d'autre part. Du « que suis-je ? « cartésien au « qui suis-je ? « ricoeurien, la personne et le soi semblent de plus en plus trouver leur place légitime. Toutefois il ne s'agit pas de dire que Descartes ne saisissait pas la différence entre ces deux manières de poser la question. Il avait bien conscience qu'il cherchait à définir l'essence du sujet méditant, qui peut être n'importe qui, plutôt que son identité singulière. D'ailleurs son intérêt pour la question « que suis-je ?« semble pouvoir se justifier par le fait que le doute ayant détruit toute forme d'existence, matérielle comme intelligible, Descartes cherche à définir avant tout l'essence de sa première certitude. C'est ainsi qu'après avoir établi dans la seconde Méditation la certitude de son existence, Descartes pose la question de son essence : « Mais qu'est-ce donc que je suis ? «, et il répond aussitôt « une chose qui pense. Qu'est-ce qu'une chose qui pense ? C'est une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, qui sent. « Toute l'essence du sujet c'est d'être donc, selon Descartes, un être pensant, c'est-à-dire une âme, un entendement ou un esprit. C'est cette entité qui définit fondamentalement l'identité humaine. Pour comprendre ce dont il s'agit ici, il est nécessaire de saisir toute la signification du verbe être dans la question « que suis-je ? «. Contrairement à certains usages où il fait office de simple copule, il a ici la signification forte d'essence ou de nature dernière. C'est pourquoi le fait d'être une chose qui pense ne saurait être pour le sujet un attribut comme un autre, mais plutôt sa nature véritable,  ce par quoi il est différent de tout autre être de la nature. Mais également ce par quoi il est semblable aux autres membres de son espèce. En effet la question « que suis-je ?« a ceci de particulier qu'elle exhume comme une identité générique, une identité commune. Etre un sujet pensant est partagé par tous les différents « je «. C'est tout le sens de l'invitation faite par Descartes à chacun de répéter la démarche des Méditations. Tout individu ayant fait le même cheminement que Descartes se rendrait compte que son essence se ramène à la pensée. A partir de ce moment, tous les autres attributs du sujet relèveraient non plus de son essence, mais de son avoir. Le sujet dira par exemple : mes croyances, mes désirs, mes craintes, mes qualités, et même, mon corps. Or, établir ainsi la différence entre l'être et l'avoir, et dire que c'est la pensée ou l'âme qui constitue l'être ou l'essence de l'Homme, cela suppose que cette âme, ce « cogito « ou cette conscience soit une réalité permanente et consistante, « une réalité qui subsiste d'elle-même comme pôle invariable, au delà de tous les changements qui peuvent affecter un homme au cours de sa vie. « Car l'être ou l'essence d'une chose c'est précisément ce qui, en elle, ne peut pas changer d'un jour à l'autre ; ce qui, malgré le temps, reste inchangé et persiste dans sa nature. En d'autres termes, cela suppose que le cogito soit une substance. Au-delà de la manière même dont Descartes a précédemment posé la question de l'essence du sujet, c'est-à-dire « qu'est-ce donc que je suis ? «, on retrouvera chez lui cette volonté de rendre compte du cogito comme d'une substance, lorsqu'il démultiplie le « je pense « en je doute, je conçois, j'affirme, je nie, je veux, je ne veux pas, j'imagine, je sens. En vertu de la conception aristotélicienne de la substance comme substrat permanent des accidents, on pourrait dire avec Descartes que le « je « qui préside à toutes ces opérations, et qui n'est personne d'autre que le sujet pensant, persiste d'une certaine manière dans la diversité de ses modes ou de ses cogitationes, et qu'il est par conséquent leur substance ou leur substrat commun. Mais aussi logique que puisse paraitre à nos yeux cette volonté cartésienne de poser le cogito ou l'âme comme une substance, c'est-à-dire comme substrat permanent et consistant, c'est pourtant à elle que s'en prend David Hume. La philosophie humienne, dont les prémisses remontent à John Locke et Berkeley est la forme la plus achevée de l'empirisme anglais. Sa radicalité est telle qu'elle verse dans un scepticisme total quant à la possibilité d'existence d'un « MOI « ou d'un « je « qui définirait, comme vient de l'établir Descartes, l'essence ou l'identité du sujet, remettant ainsi profondément en cause les bases mêmes de la philosophie cartésienne. C'est cet épisode majeur de l'histoire du sujet qu'il nous faut maintenant tenter de caractériser dans ses grandes lignes, après avoir grossièrement replacé le cogito cartésien dans cette thématique de l'identité, en mettant en évidence sa fonction anthropologique d'essence du sujet humain. Or si cette caractérisation est l'un des principaux objectifs de ce présent travail, le recours à Locke, non en vue d'une simple comparaison, mais pour faire apparaitre toute l'originalité et la radicalité de la position humienne, nous a semblé intéressant. LE PROCES DE LA SUBJECTIVITE : DE J. LOCKE A D. HUME Si jusque-là il s'agissait d'expliquer un peu la manière dont la problématique de l'identité personnelle s'est posée à l'époque moderne, à travers la philosophie cartésienne du sujet, il s'agit maintenant de voir, avec John Locke et David Hume, comment le principe du cogito, avancé par Descartes, va être dépris de sa prétention à constituer l'essence, ou l'identité de l'homme. Comme on le sait, Descartes, après avoir posé le cogito comme principe épistémologique du savoir rationnel, s'est aperçu que la pensée ou la conscience, à laquelle renvoie ce cogito, était la seule chose à même de définir l'essence du sujet existant. C'est ce qu'il laisse entendre lorsqu'il affirme dans ses Méditations : « (...) je ne suis donc, précisément parlant, qu'une chose qui pense, c'est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison «, excluant ainsi, comme pouvant faire partie de son essence, d'abord son corps, ensuite les autres parties de l'âme qu'Aristote avait intégrées dans sa définition de l'homme, à savoir : le principe vital, l'âme motrice, et l'âme sensitive. La définition cartésienne de l'homme, axée sur l'âme pensante, malgré le fait qu'elle soit issue de la pratique rigoureuse des méditations, ne pouvait, dés le départ, pas s'accorder aux exigences de l'empirisme. En effet l'empirisme étant la doctrine philosophique selon laquelle toutes nos connaissances proviennent des sens, l'idée d'une âme pensante complètement immatérielle et insensible ne pouvait vraiment pas y trouver sa place. Issu du grec empeiria, qui signifie expérience, l'empirisme se déploie dans un cadre théorique marqué par la primauté de l'expérience sensible sur les principes de la raison. Une telle orientation n'est évidemment pas sans conséquences sur toute la conception qu'on se faisait jusque-là du monde et de l'homme en particulier. En effet si jusque-là on se servait de la raison ou de l'âme pour définir l'homme et le distinguer des autres êtres de la nature, celle-ci devient désormais une chose mystérieuse. Car personne n'a jamais fait l'expérience d'une telle réalité. Autrement dit, et selon le langage empiriste, elle ne renvoie à aucune impression sensible qui lui correspondrait. Alors d'où peut-elle bien provenir ? Et d'où vient que c'est elle qui définit et distingue l'homme des autres créatures ? John Locke et David Hume ne sont pas des métaphysiciens. Leur compréhension du monde ne cherche pas ses fondements au-delà de l'observation naturelle et de l'expérience vécue. C'est sans doute la raison pour laquelle Hume, pour créditer ses thèses, invoque souvent cette expérience et invite ses lecteurs à consulter leur propre vécu des choses. Or en procédant de cette manière, les empiristes qu'ils sont n'ont pu éviter de croiser sur leur chemin des concepts métaphysiques comme celui d'âme ou de substance, que l'expérience ne peut ni révéler ni justifier. Dés lors, il s'agira pour eux de montrer toute l'illusion d'objectivité qui habite ces concepts, en dévoilant leur inaptitude à rendre compte de la réalité humaine. C'est cette réponse faite par les empiristes aux rationalistes dont Descartes en particulier que nous nous proposons maintenant de retracer telle qu'elle apparait de Locke à Hume. Il faut juste rappeler que si J. Locke et D. Hume considèrent ensemble que nos connaissances commencent par les sens, leurs critiques des croyances rationalistes n'en sont pas moins différentes. Et rien ne semble prouver mieux cette différence que le fait de dire que Hume aboutit à un scepticisme total quant à l'existence d'un MOI (l'âme) qui définirait la nature humaine, ce qui n'est pas le cas de Locke. En effet si l'apport de Descartes fut de fonder l'identité de l'homme dans son âme, conformément à la tradition idéaliste remontant à Platon, J. Locke substitue le corps ou la forme physique à l'âme, car le critère de l'âme menait, aux yeux de l'empiriste qu'il était, à des paradoxes totalement insoutenables ; il situe ensuite l'identité personnelle dans la conscience et la mémoire. Hume quant à lui s'attaque à la conception substantialiste du sujet que se faisait Descartes ; sa critique déconstruit ainsi complètement la subjectivité humaine que le philosophe français avait mis du temps à construire, et ramène le MOI à une pure illusion de l'imagination. Pour mieux comprendre, cependant, ce procès fait à la subjectivité cartésienne, il serait bien de préciser un peu les cadres qui délimitent la réflexion empiriste. 2-1 LE PROGRAMME DE L'EMPIRISME ANGLAIS Si donc la philosophie empiriste anglaise de Locke et Hume se heurte avant tout aux exigences théoriques de l'âge classique, dont elle se propose de dévoiler les limites, il faut souligner qu'un tel objectif ne serait sans doute pas envisageable si l'empirisme ne s'enracinait pas dans un esprit différent de celui du 17ème siècle. Rappelons que l'un des traits caractéristiques de la philosophie classique, telle qu'on l'a connue chez Descartes et ses disciples, c'est le rôle central joué par la raison. C'est à partir de ses idées claires et innées qu'une connaissance du monde et de soi-même est possible. Les idées de Dieu, d'âme, et d'étendue sont ainsi toutes des idées innées, vraies et éternelles, à partir desquelles on peut connaitre les autres réalités. L'être humain est ainsi défini par Descartes et ses disciples non pas par son corps (substance étendue et périssable), mais par son âme (substance pensante). Mais le problème que posera une telle façon de voir, principalement chez Locke et Hume qui sont des empiristes, c'est celui de l'inaccessibilité, du point de vue de l'expérience, de ces notions d'étendu, d'âme et de substance. L'entendement humain ne connait en effet les choses que quand elles sont d'expérience possible. Or personne ne peut prétendre avoir fait l'expérience d'une âme humaine, pas même Descartes et ses disciples. Comment peut-on dés lors s'assurer de l'existence d'une telle réalité ? Pourquoi les cartésiens la considèrent comme une notion claire et distincte ? Et d'où vient que c'est elle qui définit essentiellement l'être humain et détermine son identité à travers le temps ? Pour lever le voile sur toutes ces questions, l'empirisme de Locke et Hume doit interroger le postulat rationaliste selon lequel la connaissance serait uniquement le fait de la raison et de ses idées innées. Il s'agira pour eux, dans le but de consolider leur thèse de l'origine sensible de nos connaissances, de prendre pour objet la raison humaine et de s'intéresser à la manière dont elle acquiert la connaissance. Leur programme philosophique est donc proprement une CRITIQUE DE L'ENTENDEMENT, dans la mesure où il s'agit de déterminer les possibilités et les limites de celui-ci dans le domaine de la connaissance. La célèbre Critique de la raison pure d'Emmanuel Kant est alors précédée sur ce terrain par l'Essai philosophique sur l'entendement humain de Locke et le Traité de la nature humaine de Hume ; et bien avant E. Kant ce sont les empiristes anglais qui dessinent la première cartographie de la raison. Cette entreprise d'exploration s'étant soldée chez eux, comme nous le verrons, par les découvertes les plus naturelles et les plus éloignées des croyances et des abstractions rationalistes, on peut dire qu'il s'agissait d'une entreprise de démystification des prétendus pouvoirs spéculatifs de la raison. David Hume est à cet égard le plus sévère, dans la mesure où il dévoile le mécanisme passionnel inhérent à l'une des idées les plus chères du rationalisme, à savoir la causalité. L'idée de cause n'est qu'une illusion dont les ressorts se trouvent dans l'esprit humain. Pour la comprendre il faut en expliquer les mécanismes psychologiques. Mais étudier la raison humaine dans le but d'en expliquer le fonctionnement ou les mécanismes, doit sans aucun doute relever d'un grand défi pour les empiristes. Car ils sont eux-mêmes témoins des fourvoiements et des échappés métaphysiques dont les traditions antérieures ont été victimes quand elles se sont évertuées à discourir sur l'âme ou la raison humaine. C'est pourquoi le fait qu'on ait découvert parallèlement en physique et avec Newton, la gravitation universelle, vient donner un important coup de pousse aux empiristes, en justifiant l'intuition d'une critique de l'entendement. Ils se sont dit que si les hommes étaient capables de révéler les lois de l'univers, ils devraient également être capables de révéler celles de la nature humaine. Pour Hume, qui se réclame d'ailleurs du modèle expérimental newtonien, il est urgent de tirer la métaphysique antérieure, dogmatique, de l'impasse dans laquelle elle se trouvait. Dans son Introduction au Traité, il décrit ses acteurs se tiraillant, et débattant à toutes les occasions, même sur les questions les plus évidentes. Cette situation due à une méconnaissance des pouvoirs réels de la raison, trahit complètement la finalité de la philosophie. Jamais celle-ci n'avait auparavant pris une telle allure. « Principes admis de confiance, conséquences qui en sont maladroitement déduites, manque de cohérence entre les parties et de preuves dans l'ensemble, voilà ce qu'on rencontre partout dans les systèmes des philosophes les plus éminents, voilà ce qui semble avoir jeté le discrédit sur la philosophie elle-même. « Ces remarques négatives du philosophe écossais montrent sa position à l'égard de la métaphysique antérieure, qui consiste à dire que tant que la philosophie appréhende le réel à partir de principes a priori, transcendants complètement l'expérience, elle restera toujours stérile et faillira indéniablement à son objectif qui est non plus de dévoiler les causes ultimes des choses, mais d'expliquer les mécanismes ou les lois générales des phénomènes. L'esprit humain est en effet selon Hume incapable de justifier l'existence de causes au-delà des faits observables. Il ne doit alors pas en supposer l'existence. Tout ce qu'il peut observer ce sont les effets de ces prétendues causes. Son objectif est dés lors beaucoup plus modeste, puisqu'il s'agit de se limiter aux faits et d'en expliquer, comme Newton le suggérait en physique, les lois générales. La science de la nature humaine qui est une métaphysique dans la mesure où son objet, à savoir l'entendement, n'est pas donné à l'observation, se fera chez Hume à la lumière de l'expérience et de l'observation. Mais la question, c'est comment une métaphysique peut-elle être expérimentale ? En effet si l'entendement est une réalité métaphysique, c'est précisément parce qu'il échappe à toute saisie de l'ordre de l'expérience. Dés lors comment Hume peut-il suivre l'exemple de Newton en physique pour étudie, comme il le dit, les sujets moraux ? L'objet est d'autant plus différent - puisqu'il s'agit des corps chez Newton et de l'entendement chez les empiristes - que Hume le perçoit bien, et assume aussi cette différence. Il dit dans l'introduction que : « Dans cette science, nous devons par conséquent glaner nos expérience par une observation prudente de la vie humaine, et les prendre telles que la conduite des hommes en société, dans leurs affaires et leurs plaisirs, les font paraitre dans le cours ordinaire du monde. « Ce qui semble fonder l'optimisme de Hume dans cette étude de l'entendement, c'est sans doute le fait que même si celui-ci est une réalité non empirique, on en perçoit des fois les effets à travers nos jugements et nos actes, etc. Ce sont justement ces effets et ces manifestations qu'on doit glaner, c'est-à-dire les recueillir telles que nous les vivons naturellement. Il s'en suit dés lors que Hume sait parfaitement ce qu'il attend de l'expérience. Il n'est pas question qu'elle nous fournisse les principes ultimes et les causes dernières des opérations de l'âme, mais qu'elle nous montre seulement les mécanismes de ces opérations. Et pour autant qu'il comprend que l'esprit humain est incapable d'atteindre les causes, Hume sait aussi que l'expérience a des limites. Mais il aime mieux être guidé par les leçons simples et superficielles de celle-ci que de s'égarer à coup sûr dans les labyrinthes des raisonnements métaphysiques à la recherche de causes au-delà de l'expérience. En vérité Hume est un philosophe résigné, après avoir constaté l'impuissance de la raison humaine. Il dit à cet effet que : « quand nous voyons que nous avons atteint les limites extrêmes de la raison humaine, nous nous reposons, satisfait, bien que nous soyons surtout parfaitement convaincus de notre ignorance et nous apercevions que nous ne pouvons rendre raison de nos principes les plus généraux et les plus raffinés, si ce n'est par l'expérience que nous avons de leur réalité «. Il faut alors préciser que cette résignation de Hume à suivre les enseignements de l'expérience n'est pas le signe d'un désespoir, puisqu'il est par ailleurs convaincu que même si ces enseignements sont faciles et superficiels, ils suffisent néanmoins à la conduite de la vie humaine. Or c'est dans cet espace de possibilité théorique mitigée, visant uniquement les lois générales de l'esprit et non ses principes et causes ultimes, c'est dans cet espace ouvert par le modèle expérimentale newtonien, que s'établit le Traité humien et son effort constant de comprendre la nature de la connaissance humaine. Le programme de l'empirisme anglais est ainsi, de façon générale, largement tributaire de la philosophie et de la science classiques, et son importance est d'autant plus grande que Hume espère, à partir de l'étude de l'Entendement humain, faire système, dans la mesure où la compréhension et la justesse des autres sciences dépendent de celle-ci. Elle est donc précisément une logique ou un organon, puisqu'elle consiste à recenser ou à définir les matériaux à partir desquels l'entendement humain produit des connaissances, la manière particulière dont il les organise, et enfin la valeur épistémologique d'une telle organisation. On voit bien que le postulat qui sous-tend une telle démarche, quoique n'allant pas de soi chez Hume, c'est la conception de l'esprit comme simple faculté. En tant que telle il a toujours besoin d'une matière première à partir de laquelle il peut s'exercer. C'est donc illusoire de croire que la raison peut fonctionner seule sans le secours d'aucune autre faculté, et c'est encore plus illusoire de croire qu'elle peut compter sur une autorité extérieure et étrangère à elle, comme le présupposait l'innéisme cartésien. Suivant Locke et Hume qui sont des empiristes, les matériaux en question ne sont rien d'autres que l'ensemble de nos perceptions dues à notre contact avec la réalité extérieure et intérieure. Celle-ci affecte notre esprit en y laissant des copies d'objets dont la nature, comme nous verrons, est l'enjeu de la distinction entre Locke et Hume. Dans l'Essai philosophique sur l'entendement humain, Locke explique que « Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. « Le pouvoir spéculatif de la raison, tant vanté par les rationalistes, ne peut en réalité s'exprimer que dans les limites restreintes de notre expérience. Et La seule matière de connaissance dont dispose la raison, c'est l'ensemble des perceptions déposées en elle par cette expérience. La conséquence qui s'en dégage dés lors c'est qu'il n'y a pas d'idées innées. En effet si nos idées proviennent toutes de l'expérience, les idées innées sont justement ce que l'expérience ne produit pas. Car elles sont au-delà et antérieures à celle-ci. Les cartésiens avaient, pour fonder solidement leurs systèmes philosophiques, fait recours à ces idées innées qu'ils considéraient comme des idées vraies en elles-mêmes, puisque déposées en nous par l'auteur de notre existence. Il s'agit par exemple de l'idée d'âme, de l'idée d'un Dieu ou encore de celle d'étendue. Mais poser l'existence de telles idées implique que l'esprit humain puisse avoir des connaissances qu'il n'aurait pas acquises par lui-même, des connaissances qu'il pourrait même ne jamais découvrir, puisque c'est par le détour de la réflexion et du doute que Descartes a découvert leur évidence. Enfouies au fond de la raison, elles sont donc plus la marque de la passivité de l'esprit que de son activité. Même si la thèse de l'origine empiriste de nos connaissances n'échappe pas, dans une certaine mesure, à cette passivité, étant donné que nos idées nous sont données par l'expérience, il y a en réalité une différence remarquable. En effet dans ce dernier cas s'il est vrai que l'esprit reçoit passivement ses idées, il les reçoit au moins d'une autre faculté de l'homme, à savoir les sens, externes comme internes. Alors que dans le cas des idées innées, l'esprit reçoit celles-ci d'un Etre qui le transcende complètement. La théorie empiriste de la connaissance, dans la mesure où elle pose que les idées de l'esprit proviennent toutes de l'expérience, ne laisse aucune place aux idées innées. En vertu de la célèbre maxime d'Aristote selon laquelle « il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait d'abord été dans les sens «, John Locke assimile l'esprit, originairement, à une tabula rasa sur laquelle viennent s'inscrire les idées de l'expérience. En physique c'est Newton qui frappe les esprits quand il affirma qu'il ne feint pas d'hypothèses dans sa démarche, c'est-à-dire qu'il ne commence pas par avancer des hypothèses pour ensuite les vérifier par expérience, mais observe plutôt les faits et dégage des lois générales. Avec ce primat de l'expérience on est vraiment en présence d'un paradigme nouveau, soucieux de reléguer la raison et ses idées a priori en second plan. Et quand on pense au rôle majeur joué par ces idées innées dans les philosophies cartésiennes, on voit combien l'empirisme est proprement un anti-cartésianisme. Mais notre propos c'est de dire que cet anti-cartésianisme est encore plus radical chez Hume que chez Locke et les autres empiristes, car par rapport à ces derniers, le fait que Hume ait introduit les impressions dans la table des données de l'esprit, lui confère une grande originalité tant du point vue épistémologique que du point de vue existentiel. Le choix méthodologique de Locke trouve ici toute sa justification, puisqu'il s'agit de dépasser certaines de ses positions pour mettre plus en évidence les positions humiennes sur les mêmes questions. Par rapport au présent thème, c'est-à-dire l'identité personnelle, Hume ne fait que tirer toutes les conséquences des prémisses de son empirisme. Son scepticisme à l'égard des existences extérieures, c'est-à-dire de la connaissance que nous en avons, est le même que celui relatif à l'unité de la subjectivité ; il est fondé sur le rôle ultime qu'il fait jouer aux impressions. Quel est donc le statut de ces dernières chez Hume et quelles nouveautés apportent-elles dans la conception empiriste de la réalité, principalement par rapport à Locke ? Tout part du fait que selon Locke les matériaux de l'esprit sont essentiellement les idées reçues par l'intermédiaire de l'expérience. Quand nous observons des objets extérieurs ou quand nous réfléchissons sur les opérations ou les états de notre âme, ces objets extérieurs ou ces perceptions internes frappent notre esprit et y laissent leurs traces ou leurs images que Locke appelle des idées. Ainsi les sensations, les souvenir, le nombre 6, la fenêtre, Dieu, l'âme, jusqu'aux réalités les plus abstraites comme les substances et les accidents, quand ils sont perçus ou pensés par l'esprit, sont tous des idées. Tout objet de l'esprit, quand il pense, est, indépendamment de son origine sensible ou abstraite, une idée. Or si Locke réduit ainsi l'identité des objets de l'esprit à des idées, c'est sans doute parce qu'à ces yeux ils sont tous des représentations des choses, c'est-à-dire de pâles copies des existences. L'esprit serait donc essentiellement une faculté de représentation dont les objets sont forgés au contact des réalités extérieures et des opérations de l'âme. La conséquence de cette ontologie représentationniste dans laquelle les sens sont évidemment incontournables, c'est l'existence du corps, et par lui, celle du monde. En effet la représentation d'un objet quelconque par l'esprit suppose qu'il soit d'abord saisi par les sens, or ces derniers semblent inséparables du corps. Pour autant donc qu'on peut être sûr des perceptions de l'esprit du fait qu'on en sent la présence, on doit aussi être sûr de l'existence du corps et de l'objet représenté dont la preuve est d'ailleurs plus sensible. Cela voudrait dire que l'esprit humain, dans son activité, laisse intacte les objets du monde, que ses représentations soient fidèles ou non. Il est possible de voir dans cette position lockéenne une résurgence de la distinction cartésienne entre, d'une part, la chose qui pense et ses objets que sont les idées -qu'elles soient innées, adventices, ou factices - et d'autre part le monde. C'est pourquoi si les idées sont la matière à partir de laquelle l'esprit humain produit la connaissance, les réalités ultimes auxquelles celles-ci se référent sont les objets du monde en général. Pour Locke, derrière ces objets du monde dont les perceptions de l'esprit sont les copies ou les représentations, il n'y a absolument rien, ou plutôt il n'y a rien qui puisse affecter l'esprit. Nous soulignons en passant que c'est là un point sur lequel Locke diffère de Hume. Une différence apparemment radicale, puisqu'elle explique dans une certaine mesure le scepticisme humien. La réduction Lockienne des matériaux de l'esprit à des idées ou représentations n'est cependant pas mécanique ou aveugle au point de ne pas remarquer la différence, non de nature mais de qualité, qu'il y a entre certaines idées. En effet dans leurs diversités, Locke distingue déjà les idées de sensation qui dérivent de l'observation d'objets extérieurs des idées de réflexion qui naissent de l'attitude de l'âme à l'égard de ses perceptions extérieures, attitude de doute, de désir, de crainte, d'ignorance, de surprise, de connaissance, etc. Locke les appelle des idées de réflexion, parce qu'elles font intervenir le sens interne, à savoir la réflexion, qui est un retour de l'esprit sur ses propres objets. L'autre différence entre nos idées, c'est leur qualité simple ou complexe. Si nos idées de sensation et de réflexion sont toutes des idées simples étant donné qu'elles procèdent directement de l'expérience et ne peuvent être connues que par son moyen, les idées complexes résultent de la combinaison que l'esprit fait des idées simples. Elles ne dérivent donc pas nécessairement de l'expérience, mais se ramènent toujours à elle par l'analyse. Locke privilégie particulièrement les relations comme exemples d'idées complexes. Les modes sont par exemple des idées complexes parce qu'ils supposent toujours la relation de deux idées simples. De ce fait la connaissance est peut-être bien, en fin de compte, le fait de ces idées complexes, car l'esprit y est à l'oeuvre, dans l'effort de combinaison des idées simples. On observera que ce qui distingue vraiment Hume de Locke ce ne sont pas ces notions d'idées de sensation et de réflexion, d'idées simples ou d'idées complexes, puisque Hume note aussi ces distinctions entre les perceptions de l'esprit. La principale différence existante entre leur genèse respective de la connaissance humaine, ce sont, comme nous l'avons déjà annoncé, les impressions. La théorie lockienne ignore les impressions dans la mesure où elle ne les mentionne pas comme origine de nos connaissances. Pour Hume, en effet, les matériaux de l'entendement sont, en plus des idées ou avant les idées, les impressions. « Toutes les perceptions de l'esprit humain se ramènent à deux espèces distinctes que j'appellerai impressions et idées «. Entre les unes et les autres la différence n'est, d'après lui, qu'affective, car les impressions sont plus fortes et plus vives que les idées, qu'il identifie ainsi à leurs « images affaiblies dans la pensée et le raisonnement. «  En fait, chacune des idées de l'esprit, à la différence qu'elle est moins vive, ressemble rigoureusement à une impression particulière. Le premier rapport que Hume découvre ainsi entre les idées et les impressions c'est celui par lequel les premières proviennent toutes d'impressions correspondantes. Or cette observation est à ses yeux tellement générale qu'il l'érige en principe de l'entendement humain: « nous nous contenterons ici dit-il d'établir une proposition générale : à leur première apparition, toutes nos idées simples dérivent d'impressions simples qui leur correspondent et qu'elles représentent exactement. « On aperçoit alors déjà le rôle fondamental que s'apprêtent à jouer les impressions dans la théorie humienne de la connaissance. Celles-ci sont dernières dans l'ordre des perceptions de l'esprit et on ne peut remonter au-delà de leurs limites. La différence avec Locke est donc très grande. Pourquoi Hume adopte une telle position ? Voulait-il éviter à son empirisme la position représentationniste qui impliquerait une théorie des facultés ? Ou niait-il tout compte fait l'objectivité du monde extérieur ? A coup sûr la référence aux impressions donne à sa théorie de la connaissance une spécificité et une très grande originalité. Hume parait en effet plus radical et plus empiriste que ses prédécesseurs dans la matière. Car il ne fait intervenir a priori aucune faculté dans sa genèse des matériaux de l'entendement et mène sa critique en l'éloignant d'emblée de l'influence du monde extérieur. Il s'agissait en fait pour lui de mettre au jour, par une observation minutieuse de la nature humaine en général, l'ensemble des éléments à partir desquels l'entendement produit des connaissances. Cela veut dire que même si la certitude sensible nous donne a priori le monde comme existant, toute l'attention du philosophe ne doit se river en dernière instance que vers l'entendement, qui est son seul objet ; sans que cela ne veuille pour autant dire que le monde ou la matière n'a pas d'existence, encore que Hume ne soutient pas le contraire. Hume tient avant tout à délimiter son espace théorique. Le monde extérieur est perceptible, mais sa nature demeure inconnue à l'esprit. Il faut donc tenir la connaissance que nous en avons comme seulement probable. Ce dont l'esprit humain est sûr, ce sont ses données immédiates, que sont : les impressions et les idées. Dans un passage du Livre I, il indique clairement : « Mais pour l'heure, je me contente de connaitre parfaitement la manière dont les objets affectent mes sens, ainsi que les relations qu'ils ont entre eux, dans la mesure où mon expérience m'en informe. Cela suffit pour la conduite de la vie, et cela suffit à ma philosophie, qui prétend seulement expliquer la nature et les causes de nos perceptions, c'est-à-dire de nos impressions et de nos idées. « C'est cette exigence de se limiter au seul point de vue de l'esprit qui l'amène à poser les impressions comme données ultimes de l'esprit. Ce qui revenait à leur conférer un rôle central dans son épistémologie et son ontologie : les impressions sont causes des idées de l'esprit, sans qu'on ne puisse déterminer leur causes à elles. C'est pourquoi Hume indique dans une note de ses développement sur l'origine des idées qu'il appelle impressions toutes les perceptions vives de l'esprit, et désir qu'on comprenne par ce mot « non la manière dont (ces) perceptions vives sont reproduites dans notre âme, mais ces perceptions elles-mêmes. « La théorie des impressions est visiblement une position extrême. Celles-ci ne sont pas des représentations d'objets dans l'esprit, mais les objets eux-mêmes. Autrement dit, s'il doit exister quelque chose pour l'esprit humain : des maisons, des rues, des animaux, des mers, des astres, tout objet de création, ce n'est pas sûr que ces choses existent dans le monde, mais c'est sûr qu'ils existent dans l'esprit, en tant qu'impressions. En effet, du monde, l'esprit n'est pas certain. Ce dont il est certain, ce sont ses perceptions, et parmi elles, les impressions - du fait de leur vivacité et de leur force d'affection. En attendant de donner une preuve spéculative suffisante à ce doute à l'égard de la connaissance des objets du monde, Hume prend du recul et confie par là-même aux impressions un rôle fondamental, en tant qu'elles symbolisent dans notre esprit les choses elles-mêmes. La question des perceptions de l'esprit et de leurs origines est donc visiblement résolue aux yeux du philosophe écossais. Car c'est l'ensemble de nos idées et de nos impressions qui constituent les matériaux primaires de l'esprit ; et tandis que nos idées proviennent toutes d'origines sensibles, en l'occurrence, des impressions correspondantes, nous ignorons l'origine de celles-ci. Même si par ailleurs leur vivacité est telle qu'on est convaincu qu'elles ne soient pas sans causes, cette assurance, affaiblie par l'impossibilité de rendre compte de ces causes, nous oblige, pour rester objectif, à nous limiter à ces impressions. Celles-ci sont, de ce fait, dernières dans l'ordre des perceptions de l'esprit. Le premier principe découvert de la nature humaine selon lequel toutes nos idées dérivent d'impressions correspondantes, principe essentiel dans la philosophie humienne, sous-entend clairement la primauté dans l'ordre de l'expérience des impressions par rapport aux idées. Mais Hume semble très soucieux de fonder ses observations : en plus des nombreux exemples qu'il projette très souvent à l'horizon de ses découvertes, à titre de preuves, il cherche ici particulièrement à confirmer son principe non par un exemple de plus, mais par une autre observation ou argument débouchant sur l'antériorité officielle des impressions à leurs idées correspondantes. « Une conjonction aussi constante dans un nombre infini de cas, dit-il, ne peut rien devoir à la chance, mais prouve clairement que les impressions dépendent des idées, ou les idées des impressions. « Les impressions sont antérieures parce que l'expérience montre qu'elles précèdent toujours leurs idées et non l'inverse. Il est alors vain de chercher à expliquer l'écarlate ou la couleur orange à un enfant, si on ne lui procure pas avant l'impression correspondante. L'esprit humain a besoin d'être d'abord affecter par la chose avant de pouvoir s'en faire une idées ou une notion quelconque. La preuve c'est l'effort particulier et parfois vain qu'il mobilise pour produire à partir de rien une idée ou un concept. C'est pourquoi, aux yeux de Hume, les rationalistes se sont complètement trompés. En matière de connaissance, la raison ne peut pas prendre les devants, car elle n'est qu'un simple pouvoir d'abstraction, sans aucune pierre de touche matérielle ou sensible. Cependant, Hume sait que ses opinions sont fondées sur l'expérience et l'observation des principes généraux de la nature humaine. Il sait qu'il s'agit bien de principes généraux et non de principes immuables de la nature humaine. L'erreur reste donc ouverte, et ce qu'il fait dés lors c'est ouvrir la possibilité à des exceptions pour mesurer la justesse de ses observations. Dans ce cas précis, il invoque un contre exemple assez subtile et original mettant en place une gradation de nuances de la couleur bleue, allant de la plus claire à la plus foncée ou vis versa, à l'exception d'une nuance particulière, omise. L'idée c'est de se demander si un homme qui connait toutes les couleurs, sauf cette nuance manquante du bleu, peut l'imaginer en regardant la gamme ? Que cela soit possible veut dire qu'il peut arriver qu'une idée précède dans l'esprit son impression correspondante. Or Hume le dit bien : « Peu nombreux sont ceux qui ne seront d'avis que la chose est possible «. La règle générale de l'antériorité des impressions aux idées correspondantes se voit ainsi limitée par une expérience de pensée bien concevable. Mais cette limite, l'une des rares souligné dans l'ensemble du Traité par un Hume qui se veut autocritique, ne ruine pas la maxime. Peut-être même qu'elle est cette exception qui, comme on le dit souvent, confirme la règle. Dans tous les cas, et comme on s'attachera à le montrer, cette théorie des impressions joue un rôle essentiel dans la philosophie empiriste de Hume. On a déjà vu combien elle était propre à remplacer, même sans justification philosophique, le représentationnisme lockien et son préjugé de l'existence du monde extérieur. On remarquera aussi que c'est par elle que la très déterminante association des idées, prend, d'une certaine manière, un sens nouveau chez lui. Sans compter l'ingénieuse méthode héritée de Locke et consistant, pour prouver qu'une idée n'est pas une simple invention de l'esprit, à montrer l'objet dont elle est issue, sauf que Hume remonte à son impression correspondante. Toute l'originalité du philosophe réside en fait dans le fait qu'il génère autour de cette théorie un certain nombre de prémisses qui justifient largement ses thèses à venir, dont les plus importantes sont la critique de la causalité et, en ce qui nous concerne, la critique de l'identité personnelle. L'analyse de cette dernière dans la 6ème section de la quatrième partie du livre I du Traité, et celle qu'en propose Ricoeur dans Soi-même comme un autre sont l'objet de notre investigation actuelle. Il s'agit comme nous le disions de mettre en évidence une évolution dans la prise en charge de la problématique de l'identité personnelle, de sa destruction totale chez Hume à son éventuelle reconstruction sous la houlette du récit, comme identité racontée ou narrative. Mais n'oublions pas que la critique humienne de l'identité est principalement une réaction contre les philosophies analytiques cartésiennes qui affirmaient la primauté du sujet du fait de sa capacité à reconstruire le tout de l'être à partir de la conscience qu'il a de lui-même. La critique de Hume, puisant ses ressources dans la théorie empiriste de la connaissance, explose ainsi l'unité affirmée de la conscience de soi en autant de partie qu'il y a de perceptions affectant l'esprit. C'est pourquoi elle peut, à ce titre, être considérée comme l'aboutissement le plus extrême du scepticisme humien, qui n'est en lui-même pas si évident à justifier. Pour en faciliter ici l'accès, nous nous proposons maintenant d'attirer l'attention sur trois thèmes centraux, tous liés à la théorie humienne des impressions, dont on pourra alors mesu...

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« 2 DEDICASSE Pour une première expérience, nous dédions ce modeste travail à tous nos camarades néophytes et apprentis philosophes, pour leurs rappeler, à travers l’ensemble des limites et tâtonnements inhérents à ce mémoire, que la philosophie n’est qu’une pensée qui se cherche encore ; leur rappeler que nous ne sommes encore qu’au seuil d’un monument qui, pour avoir été formés et initiés à le contempler, ne fait pas de nous ses ultimes dépositaires.

2. »

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