Devoir de Philosophie

MERLEAU-PONTY: Parole, langage et penséee

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

merleau
Si la parole présupposait la pensée, si parler c'était d'abord se joindre à l'objet par une intention de connaissance ou par une représentation, on ne comprendrait pas pourquoi la pensée tend vers l'expression comme vers son achèvement, pourquoi l'objet le plus familier nous paraît indéterminé tant que nous n'en avons pas retrouvé le nom, pourquoi le sujet pensant lui-même est dans une sorte d'ignorance de ses pensées tant qu'il ne les a pas formulées pour soi ou même dites et écrites, comme le montre l'exemple de tant d'écrivains qui commencent un livre sans savoir au juste ce qu'ils y mettrons. une pensée qui se contenterait d'exister pour soi, hors des gênes de la parole et de la communication, aussitôt apparue tomberait à l'inconscience, ce qui revient à dire qu'elle n'existerait pas même pour soi. [...] C'est en effet une expérience de penser, en ce sens que nous nous donnons notre pensée par la parole intérieure ou extérieure. Elle progresse bien dans l'instant et comme par fulgurations (1), mais il nous reste ensuite à nous l'approprier et c'est par l'expression qu'elle devient nôtre. La dénomination des objets ne vient pas après la reconnaissance, elle est la reconnaissance même. MERLEAU-PONTY (1) éclairs.MERLEAU-PONTY

Le grec n’a qu’un mot pour désigner la pensée et le langage : « logos «. Cette superposition des deux concepts dans un seul terme met en évidence le lien profond, indissoluble, de la pensée et du langage. Pour autant, la nature de ce lien est loin d’être évidente, elle constitue même un problème important de la philosophie et le sujet d’étude privilégié d’une discipline qui se nomme « linguistique « et dont le père fondateur, du moins dans sa forme moderne, est Ferdinand de Saussure. Le texte de Merleau-Ponty que nous avons à commenter s’inscrit dans la lignée des problématiques saussuriennes, et plus encore de son disciple Emile Benveniste avec lequel il partage bien des idées.

Le problème au centre de ce texte est l’analyse des rapports entre la pensée et la parole. Il peut se résumer en une phrase : la pensée et la parole se présupposent-elles ou se confondent-elles dans un même mouvement ?

Nous pouvons distinguer deux moments argumentatifs dans ce texte : le premier commence avec l’extrait et s’achève avec « (…) ce qui revient à dire qu’elle n’existerait pas même pour soi (…) «. Dans ce passage, Merleau-Ponty envisage les conséquences de la thèse affirmant que la parole présuppose la pensée, conséquences dont ils montrent qu’elles infirment cette thèse. Le second mouvement, qui se confond avec la suite du texte, présente la thèse de Merleau-Ponty  proprement dite: la parole ne présuppose pas la pensée, pas plus que la pensée ne présuppose la parole, mais ces deux activités tendent à se confondre comme dans le terme « logos «. Elles s’unissent dans un même mouvement de connaissance du monde et des choses.

 

merleau

« dans le langage.

C'est en ce sens que parler peut passer pour cet acte par lequel je joins l'objet par une intentionde connaissance : cette intention précède le langage, car pour cette thèse c'est la pensée elle-même qui précèdele langage. Cependant, toute la suite du passage montre les conséquences de cette thèse, conséquences qui l'infirment totalement : « (…) on ne comprendrait pas pourquoi la pensée tend vers l'expression comme vers son achèvement, pourquoi l'objet le plus familier nous paraît indéterminé tant que nous n'en avons pas retrouvé lenom, pourquoi le sujet pensant lui-même est dans une sorte d'ignorance de ses pensées tant qu'il ne les a pasformulées pour soi ou même dites et écrites, comme le montre l'exemple de tant d'écrivains qui commencent unlivre sans savoir au juste ce qu'ils y mettront ». Ce passage s'inscrit dans la continuité des thèses de Benveniste dans ses Problèmes de linguistique générale : en effet, pour Benveniste comme pour Merleau-Ponty, il n'y a pas de pensée en dehors du langage, non seulement lelangage ne présuppose pas la pensée, mais la pensée n'est pleinement achevée que dans le langage.

La penséeinformulée, pré langagière, n'est que de la pensée obscure, de la pensée informe, qui restera telle tant qu'elle netrouvera pas les mots pour se dire.

L'argumentation de Merleau-Ponty procède par exemples successifs, montrantqu'en dehors du langage la pensée n'existe pas : un objet familier nous semble inconnu tant que nous n'avons pasretrouvé son nom, ce qui prouve que la pensée se réalise dans le langage ; quant à l'exemple de l'écrivain, il va dansle même sens.

Il montre admirablement que le langage n'est pas la mise en œuvre d'une pensée conçue en amont dela formulation langagière, mais au contraire que la pensée se réalise dans cet acte de formulation.

Stendhal peutnous en donner un exemple, lui qui affirmait : « faire des plans me glace ».

L'écriture de la Chartreuse de Parme , livre d'un beau volume, en cinquante et un jours, peut nous prouver que c'est dans le langage que la pensée prendforme, et non sur la base de la pensée que le langage s'édifie. La suite du passage vient porter le dernier coup à la thèse de l'antériorité de la pensée sur le langage : « Une pensée qui se contenterait d'exister pour soi, hors des gênes de la parole et de la communication, aussitôtapparue tomberait à l'inconscience, ce qui revient à dire qu'elle n'existerait pas même pour soi ».

Cette phrase montre bien que la pensée en dehors du langage ne peut exister : elle n'est qu'une pensée « inconsciente », c'est-à-dire obscure pour le sujet lui-même, une absence de pensée.

Essayons de nous figurer n'importe quelle idée endehors des mots pour la penser : et nous verrons que la parole ne peut présupposer la pensée.

II.

Le mouvement concomitant de la parole et de la pensée Contre cette thèse de la prééminence de la pensée sur le langage, Merleau-Ponty vient défendre sa propre thèse : la parole ne présuppose pas la pensée, mais parole et pensée se confondent dans un mouvement unique.« C'est en effet une expérience de penser, en ce sens que nous nous donnons notre pensée par la parole intérieureou extérieure ».

Cette phrase entreprend l'analyse proprement phénoménologique du problème de la pensée.

La pensée est une expérience, non un fait abstrait, car la pensée se réalise dans la parole.

Par parole Merleau-Pontyn'entend pas que la parole publique, extériorisée par les organes phonatoires, mais également la « paroleintérieure », ce que Saussure appelait avant lui « l'image acoustique » du mot.

« Elle progresse bien dans l'instant et comme par fulgurations, mais il nous reste ensuite à nous l'approprier et c'est par l'expression qu'elle devientnôtre ».

Cette phrase poursuit l'analyse phénoménologique, en cherchant à montrer le mouvement de production de la pensée : celle-ci se crée dans le présent, par un mouvement spontané, mais à ce stade elle n'est qu'une penséeabstraite, comme impersonnelle, il faut que le langage réalise la pensée pour qu'elle nous appartienne.

La dernièrephrase de notre extrait montre bien le parachèvement de l'acte de dénomination, achève de décortiquer leprocessus de conscience par lequel nous en arrivons à nommer quelque chose : « La dénomination des objets ne vient pas après la reconnaissance, elle est la reconnaissance même ».

Pour Merleau-Ponty, nous ne nommons pas les objets parce que nous les avons préalablement reconnus (ce qui signifierait que la parole présuppose la pensée)mais nous nommons ce que nous reconnaissons, dans un mouvement unique.

La thèse de Merleau-Ponty est claire :il n'y a pas de prééminence de la pensée sur le langage, du langage sur la pensée, mais une concomitance de l'uneet de l'autre.

Conclusion : Ce texte de Merleau-Ponty pose un problème classique de la philosophie : celui des rapports de la pensée et dulangage.

Il montre que la parole ne présuppose pas la pensée, car de nombreux phénomènes prouvent qu'il ne peuty avoir de pensée en dehors du langage.

Merleau-Ponty analyse le mouvement de conscience qui nous permet denommer quelque chose : la dénomination n'est pas le couronnement de la pensée, mais l'union du langage et de la. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles