Devoir de Philosophie

MONTESQUIEU ET LA PENSÉE POLITIQUE EUROPÉENNE

Publié le 30/06/2011

Extrait du document

montesquieu

Rentré en son château de La Brède, Montesquieu ne songea plus qu'à terminer les ouvrages dont il avait conçu le dessein. Il revient quelquefois à Paris, mais n'y séjourne guère. Toute sa vie est concentrée dans sa superbe bibliothèque de La Brède, qu'il enrichit sans cesse. C'est le sanctuaire de sa pensée. Des milliers de volumes y sont rangés, qui y ont été appelés par toutes sortes de curiosités. Voici les livres de droit, dont une partie provient de l'héritage d'un oncle, président au Parlement de Bordeaux. Voici des livres d'art militaire, qui appartinrent au lieutenant-colonel Pierre de Lartigue, le beau- père de Montesquieu. Plus loin, des livres de médecine, légués par un oncle de sa femme, Jeanne de Lartigue. Et voici un fonds imposant de livres religieux, histoire ecclésiastique, droit canon, études des Saintes Ecritures, qui viennent des bibliothèques des frères et d'un oncle de Montesquieu, qui furent des hommes d'Eglise. Mais à ce fonds qui s'est formé par différents héritage?, que de volumes ont été ajoutés, que le Président a acquis et dont il n'a cessé d'accroître le nombre, jusqu'à sa mort ! C'est que sa curiosité s'est étendue aux problèmes qui sollicitent l'Europe entière, et non plus seulement les savants de la France, dont il a déjà suivi la rumeur. L'Europe souffre d'une inquiétude générale. En tous pays, des controverses s'élèvent, qui touchent aux questions les plus hautes de l'organisation politique et sociale des nations. C'est à cette date que commencent à se préciser les aspirations de toute cette humanité, inquiète de son sort, soucieuse de réformes et tendue vers la liberté.

montesquieu

« germanique, qui allait donc expliquer la complexité des lois pour aboutir à une véritable métaphysique de lajurisprudence, quand, par un illogique, mais salutaire revirement de la pensée, Montesquieu substitua soudain à lanotion psychologique du droit naturel, la notion expérimentale des rapports physiques et moraux (livre I, ch.

2).Si la pensée germanique ne put définitivement l'entraîner, c'est que la rumeur des controverses politiques enAngleterre l'avait ramené vivement vers l'observation directe des faits.C'était le moment où la querelle de l'obéissance passive animait toutes les passions des insulaires, soucieux de leurliberté.

Nous ne restions pas spectateurs indifférents de ce grand duel où s'affrontaient la doctrine libérale et lasuprême affirmation de la royauté de droit divin.

Nos réfugiés tenaient soigneusement les lecteurs de leurs journauxau courant de ce conflit d'opinions.

Les Français y lisaient avec stupeur tout ce que la haine du despotisme pouvaitinspirer aux défenseurs de la liberté.

Montesquieu possédait un certain nombre de ces journaux rédigés par lesréfugiés protestants.

Comment se serait-il désintéressé d'un problème qui, chaque jour, lui apparaissait de plus enplus essentiel pour comprendre les raisons des lois anglaises ? N'est-ce pas pour établir la liberté politique et laliberté civile que les Anglais ont combiné tous les rouages de leur Constitution ? N'est-ce pas à maintenir cet espritde liberté qu'ils font tendre toutes leurs lois ? En d'autres monarchies les sujets cherchent à obtenir des privilèges ;eux, à sauvegarder les libertés du citoyen.

Contre la tyrannie, les Anglais proclament que la résistance est un droitsacré.

Montesquieu, nous le savons, osa se prononcer dans la querelle : il soutenait les idées libérales, en leurdonnant une valeur qui dépassait de beaucoup la vie anglaise, et qui atteignait tout le genre humain.

« Est-il plusutile, se demandait-il, au genre humain que l'opinion de l'obéissance aveugle soit établie, que celle qui borne lapuissance, lorsqu'elle devient destructive ? » Et il répondait : « Il n'y a pas de mal plus grand, et qui ait des suites sifunestes que la tolérance d'une tyrannie qui la perpétue dans l'avenir.

» (Pensées inédites, I, 381).

Les théoriciensanglais de l'absolutisme soulevaient son indignation, et particulièrement Hobbes, qui consacrait la toute-puissancedu Souverain et légitimait sa pire tyrannie.

Puisque le peuple, disait-il, a délégué sa puissance au Prince, les actionsdu Prince sont les actions du peuple, et celui-ci ne peut donc pas se plaindre du Prince, ni lui demander aucuncompte de ses actions, parce que le peuple ne peut pas se plaindre du peuple.

A cela, Montesquieu répondait avecemportement que le Prince n'avait qu'une délégation restreinte, que son pouvoir ne devait s'exercer que pour l'utilitéde ses commettants, qu'un abus de sa part brisait « la convention » que le peuple lui avait imposée, et qu'il étaitpour chacune de ses actions dépendant de ceux qui l'avaient élevé.Ces apologistes de l'absolutisme le rejetèrent avec plus de force vers les théoriciens de la liberté.

Ils connaissaientalors en Angleterre un regain de popularité.

Walpole pouvait acheter les consciences d'un parlement sans dignité.Les intelligences demeuraient libres, et dénonçaient le danger qui menaçait la Constitution.

Les articles deBolingbroke éveillaient l'opinion, maintenaient le culte des principes traditionnels de la liberté anglaise.

Les ouvragesde Locke étaient en toutes les mains, et c'est lui qui apparaissait, aux yeux de tous les Anglais, comme le meilleurguide à suivre pour la restauration et le maintien de la pure Constitution.

Les œuvres d'un républicain qui avait payéde sa vie l'audace de ses doctrines, Algernon Sydney, étaient rééditées, commentées avec faveur, glorifiées avecferveur.

Des traités de politique idéaliste, où d'agréables fictions enveloppaient de fortes vérités et de hardisparadoxes, comme l'Utopie de Thomas Morus et l'Oceana de Harrington, furent à nouveau édités ou même traduitsen français.

Un vigoureux pamphlétaire qui, sous prétexte de commenter les Histoires de Tacite, écrivait, en réalité,la satire la plus effrénée contre le régime despotique, Thomas Gordon, enseignait à Montesquieu que les despotesdonnent à leurs sujets une éducation systématiquement immorale, leur but étant d'éteindre en eux la notion du bienafin d'obtenir des esclaves parfaitement dociles.

Ces Discours sur Tacite ne furent pas ignorés de Montesquieu, quileur doit peut-être ce qu'il a écrit de l'éducation en régime despotique (IVe livre de l'Esprit des lois) et, plusgénéralement, des vices inhérents à toutes les tyrannies.Mais ce fut assurément Locke qui resta son auteur de chevet.

Au temps des Lettres persanes il avait déjà lu l'Essaisur le gouvernement civil, mais l'action profonde du livre anglais ne s'exerça qu'après les voyages.

Ce fut l'œuvred'un réfugié français à Londres, Pierre Coste.

Nous avons déjà dit tout ce que la pensée française doit à cegazetier, qui s'était donné la mission de diffuser les doctrines des savants et des philosophes de l'Angleterre.Montesquieu n'a cessé de méditer les traités politiques de Locke.

Il lui doit une belle part de son génie.

Ceci nesignifie pas que Locke fut pour Montesquieu le modèle que l'on suit aveuglément.

Notre sage de La Brède avait tropd'indépendance dans son caractère pour s'infliger pareille servitude.

Nous avons pu, ailleurs, établir quelquesrelations évidemment profondes entre ces deux théoriciens, mais sans négliger les différences de leur pensée, mêmede leurs méthodes.

Locke déduit la liberté de la formule initiale du gouvernement anglais, comme un logicien déduitla conséquence d'un principe.

Il suppose entre le souverain et les sujets un contrat, une délégation de pouvoir, quilaisse la souveraineté au peuple, auquel elle doit retourner, sous forme des libertés politiques et civiles, assurant lesdroits des sujets contre les entreprises du pouvoir central.Montesquieu néglige ce contrat initial, qui échappe à l'observation.

Il s'appuie sur les conditions réelles de laConstitution anglaise, pour montrer que d'elles doit sortir presque mécaniquement la liberté des sujets.

L'analysemême de ces conditions réelles dépasse de beaucoup ce qu'avait dit Locke de la nature de la Constitution anglaise.Montesquieu distingue deux éléments : d'une part, la division des trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, —chacun d'eux étant indépendant quoique solidaire des deux autres, — d'autre part, la combinaison des trois formesde gouvernement — royauté, aristocratie et démocratie.

C'est en cela que la Constitution anglaise apparaît à notrephilosophe comme « un chef-d'œuvre de l'esprit humain ».On a eu bien raison d'observer que cette subtilité dans l'analyse dérive moins du traité de Locke que des écritspolitiques de Swift.

C'est en effet celui-ci qui, — faisant trêve à son goût de l'ironie, — a parfaitement démêlé toutce que la Constitution anglaise enferme de conciliation des contraires.

Or, c'était encore Pierre Coste qui avaitdonné de très précises monographies du grand écrivain anglais.

Ne l'a-t-il pas révélé et commenté à son amiMontesquieu ? Signalons enfin que celui-ci veut une séparation des trois pouvoirs réelle, effective, tandis que Lockene désire ni séparation aussi tranchée, ni combinaison aussi subtile, ni autonomie aussi complète.

Il ne veut pointtrop écarter l'exécutif — le monarque — des autres pouvoirs, sur lesquels il admet qu'il puisse exercer une influenceréelle.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles