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MONTESQUIEU: LE RÉFORMATEUR POLITIQUE

Publié le 25/06/2011

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montesquieu

Montesquieu eût dédaigné d'écrire un livre de philosophie pour la vaine satisfaction d'y établir quelques hautes vérités. Il ne perd pas de vue l'utilité de son " livre de politique ". Il veut que ses concitoyens, que l'humanité entière y viennent chercher une leçon d'espérance. Sans doute, il est bon citoyen, bon Français, et il aime profondément sa patrie ; mais il a encore l'esprit européen. Ce caractère ne manqua pas de frapper les premiers lecteurs de l'Esprit des lois. M. Mussard, ce secrétaire d'Etat de la république de Genève qui a tant fait pour assurer l'impression du grand livre, ne sait mieux louer Montesquieu qu'en le saluant du titre de " citoyen du monde, qui connaît tous les pays, tous les temps et tous les gouvernements ". Son compatriote, Jacob Vernet, trouve même un mot appelé à faire fortune au cours du xviiie siècle : " Vous êtes, écrit-il au Président, bon Français et bon Cosmopolite... Oh ! Monsieur, que vous donnez de belles leçons au genre humain ! "

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« ci, le prévenir quand il a trahi le principe qui devrait lui donner l'élan, lui faire aimer ce qu'il a méconnu, le rappeler àla claire vision de ses devoirs, c'est assurer, par un contre-coup fatal, le redressement des abus.La violence est presque impuissante pour ce labeur qui demande l'habileté d'une raison persuasive.

Or, Montesquieun'a jamais dissimulé, pour aucun des régimes politiques de son temps, ce qui lui semblait contraire à leurdéveloppement normal, c'est-à-dire contraire au principe de leur nature.

Son livre est, avant tout, une critique desinstitutions.

Critique enveloppée, qui s'exprime par de rapides observations suivies de longs silences ; critiquebienveillante, qui n'injurie ni n'avilit aucun des régimes qu'elle analyse, exception faite du despotisme ; critiquenéanmoins incisive et acérée, qui débride brusquement une plaie invisible, caractérise en quelques mots unesituation décadente, note brièvement les symptômes d'une corruption, et laisse le soin de conclure au lecteur, quisait que la corruption des Etats procède de la corruption de leurs principes, et que leur force est attachée à larénovation de ces mêmes principes.C'est en cela que consiste l'art véritable du réformateur.

C'est cela que Montesquieu a réalisé sous une forme unpeu mystérieuse, mais intelligible aux initiés, dans chacune de ses analyses des gouvernements.Les Anglais furent les premiers à découvrir le secret dessein de Montesquieu.

Alors que l'on voyait dans l'Esprit deslois le panégyrique de la constitution anglaise et le portrait flatté du peuple anglais, Domville avait pénétré le sensde ces pages austères : " Vous sentez, écrit-il à Montesquieu, que nous ne sommes plus ce que nous devrions être,que notre liberté est tournée en licence, que l'idée même du bien public est perdue, et que le sort des nations richeset corrompues nous attend, et même que nous nous y précipitons.

"C'était la vérité même.

Montesquieu avait révélé ce qui faisait la force de la Constitution de l'Angleterre : sesprincipes de liberté, le dynamisme de ses formules politiques et sociales.

Il avait prudemment ajouté qu'il ne luiappartenait pas de dire si l'Angleterre de 1748 avait cette liberté et réalisait ce qu'une longue histoire glorieuseattendait d'elle.Cette précaution prise, il avait marqué, d'un crayon prudent mais ferme, indulgent mais sagace, les traits de lacorruption qui s'insinuait autant dans les formes constitutionnelles que dans les moeurs publiques.

A travers cespages, transparaissait la secrète pensée de l'auteur.

Que l'on retourne à la pureté des principes d'une Constitutionfaite pour créer la liberté, et les abus tomberont d'eux mêmes.

La nation " riche et corrompue " sera dès lorsarrêtée sur le bord du précipice.Lord Bulkeley se déclara convaincu, par cette dialectique insinuante, de la nécessité d'apporter quelques réformesau gouvernement et aux mœurs de l'Angleterre : " Quant au tableau que vous faites de la Constitution del'Angleterre, il me paraît juste dans tous ses points, et des gens mieux instruits et plus habiles que moi en pensentde même.

Le dernier chapitre du premier tome (c'est le chapitre 27 du livre XIX) est admirable ; vous y dépeigneznon seulement les avantages, mais les inconvénients de ce gouvernement.

..

"Noter les inconvénients d'une constitution trop délicate à manier, déceler les défaillances de l'esprit national,montrer les signes avant-coureurs de la décadence, qui nierait que ce soit là la marque d'un très grand esprit —celle du véritable réformateur ? C'est ce que l'auteur de l'Esprit des lois avait d'abord prétendu faire, pour chaquegouvernement, en sorte que le premier bienfait de son livre de politique était d'éclairer les législateurs sur lesconditions naturelles des redressements nationaux.

Le philosophe David Hume, à qui Montesquieu avait envoyé unexemplaire de l'Esprit des lois qui venait de paraître, en convenait loyalement.

Ce que l'observateur français avait eula délicatesse de taire, lui, le met en évidence.

Si la Constitution anglaise ne donne pas aujourd'hui toute la libertéqu'elle contient en puissance, si les mœurs politiques sont corrompues et provoquent, à leur tour, la corruption desprincipes du gouvernement, c'est qu'une certaine politique, attachée à assurer par tous les moyens la victoire d'unparti, a enseigné à corrompre à la fois les institutions et les moeurs.

Il a suffi, dans le mécanisme d'une Constitutiontrop compliquée, de fausser un rouage pour entraîner une perturbation générale.

Et, comme le faisait Montesquieu,Hume convenait qu'il fallait surtout éviter le déséquilibre des forces, qui entraînait la ruine de la liberté.

Quand celase produira, disait Montesquieu, tout sera perdu ".

Mais tout sera sauvé, quand seront rétablis dans leur puretéprimitive les principes du gouvernement et ceux de l'esprit public.C'est en usant de ce même procédé sinueux, d'une lenteur calculée, mais prudent et ferme à la fois, queMontesquieu va nous révéler, lambeaux par lambeaux, tout ce qu'il souhaite de réformes dans la monarchiefrançaise.

Dans une note inédite, il inscrivit un jour à quelles inquiétudes il se sentait livré : " Je vois plus que je nejuge ; je raisonne sur tout et ne critique rien.

Tout le monde peut chercher à jeter quelques traits de lumière, sansavoir l'orgueil de devenir réformateur.

" Il affectait en effet la froideur du savant devant le cas tératologique.

Ilenveloppait sa critique dans une forme assez souvent hermétique.

Mais il concentrait, sur la société qu'il observait,des jets de lumière éclatante.

Il avait surtout l'orgueil de découvrir les réformes nécessaires, et cet orgueil le soutintpendant vingt ans.Comme il l'avait montré pour l'Angleterre, les réformes à faire dépendent du degré de corruption où sont tombées lesinstitutions et les moeurs de la monarchie française.Bien qu'il y eût un certain risque à dénoncer cette double corruption dans la monarchie de Louis XV, on ne pourraitaccuser Montesquieu d'avoir failli à ce premier devoir du réformateur.

Avec une tranquille assurance, il reprit, dupoint de vue politique, la critique de son temps qu'il avait si cruellement comprise, aux jours des Lettres persanes.La causticité et le sarcasme ont disparu.

Il reste le regard froid d'un observateur impitoyable, qui ne peut dire toutela vérité, qui ne doit pas l'ensevelir, et qui cherche à la faire deviner, sous les formes les plus imprévues dont il lacouvre.

Et d'abord, le rapide affaissement des moeurs publiques : " Les moeurs ne sont jamais bien pures dans lesmonarchies.

Cette noblesse, avec son luxe et les vertus qu'elle se fait, est la source de toute corruption.

" Ensuite, le rythme accéléré de la décadence du régime :" Qu'on examine bien le sort des grandes monarchies qui, après avoir étonné par leur force, ont étonné par leurfaiblesse.

C'est que, lorsque, dans la rapidité du pouvoir arbitraire, il reste encore une étincelle de liberté, un Etatpeut faire de grandes choses, parce que ce qui reste des principes est mis en action.

Mais, lorsque la liberté est. »

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