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MORALES DU SENTIMENT ?

Publié le 11/02/2004

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Mais Schopenhauer le condamne et privilégie le sentiment de pitié. Nietzsche au contraire l'approuve et le fonde comme principe d'action. Ainsi le jugement par lequel je décide de refuser ou de glorifier l'impulsion naturelle n'appartient pas lui-même à l'impulsion naturelle. Il est d'un autre ordre. D'ailleurs même les sentiments que je reconnais comme véritablement moraux ne sont pas toujours des guides très sûrs. Les sentiments sont subjectifs, variables selon les moments. Les conduites spontanées qu'ils suscitent sont souvent dangereuses parce qu'irréfléchies. Le remords est un sentiment moral caractéristique. Mais il n'en est pas de plus vain et de plus dangereux. A quoi bon cette terrible souffrance une fois que la faute est irrémédiablement commise?

« Tandis que pour la psychologie classique, observe Bergson, l'émotion n'est qu'une déroute, qu'un désordre, unedestruction de valeurs consécutive à certaines représentations mentales, il faut ici renverser ce schéma : d'abordl'émotion n'est plus conséquence mais source, c'est elle qui donne naissance à des représentations morales ;ensuite et surtout l'émotion n'est plus destruction d'un ordre, mais promotion de valeurs.

L'émotion qui anime lehéros et le saint est une émotion créatrice.L'émotion ne crée pas seulement les valeurs, elle permet aussi leur diffusion, car l'enthousiasme du héros et du saintest contagieux.

La foule est réveillée par cet appel qui vient de haut.

Les puissances d'idéal qui sommeillaient en ellesont excitées par l'exemple des grands créateurs d'idées neuves.

Ici la foule ne cède plus à la contrainte d'uneobligation ou d'une habitude, mais elle éprouve un attrait invincible, elle est séduite par l'appel du héros.

Cet appelbrise les barrières étroites de la morale sociale qui n'était qu'une morale close parce que limitée à l'intérêt d'ungroupe.

La morale du héros et du saint est une morale ouverte, elle nous révèle des valeurs qui visent le bien del'humanité tout entière.

Au début les représentants de la morale close protestent, les conformistes d'Athèness'indignent des leçons de Socrate, les autorités religieuses de Palestine s'inquiètent de la prédication de Jésus; etc'est un fait que Socrate et Jésus sont finalement mis à mort.

Mais ils ont lancé par le monde des germes qui nepérissent pas.Remarquons qu'il n'y a pas réellement pour Bergson deux morales différentes.

Car la morale close, l'ensemble deshabitudes sociales — alors même qu'elle peut faire échec violemment à l'initiative morale du héros — n'est pourtantelle-même que le résultat codifié, en quelque sorte refroidi et figé, des grandes innovations morales du passé.

Lesnouveautés morales, en effet, finissent pas entrer dans les moeurs et l'élan généreux tend à se pétrifier en codes eten coutumes.

La morale du héros et du saint, c'est l'élan moral pris à sa source jaillissante, saisi dans le vif de sajeunesse créatrice, l'élan qui réveille les coeurs généreux menacés de s'engourdir dans le conformisme des règlesétablies. d) Peut-on fonder la morale sur l'élan du coeur, sur les sentiments? Accepterons-nous l'idée que les valeurs moralessont immanentes à l'élan de vie?Il est certain que les sentiments ont un grand rôle à jouer dans la pédagogie morale.

Que l'enthousiasme, que lessentiments généreux nous facilitent l'accomplissement du devoir, que pour cette raison l'éducation doive s'employerà les développer, personne n'en doutera.

Mais il apparaît difficile à la réflexion philosophique de fonder les valeursmorales sur les sentiments naturels.

Il est bien évident en effet que les sentiments spontanés ne sont pasnécessairement accordés aux valeurs de la vie morale.

La pitié et l'amour sont des sentiments mais la haine etl'envie également.

Si je distingue de bons et de mauvais sentiments, c'est donc que la règle du bien et du maltranscende les sentiments puisqu'en son nom je les juge.

Les impulsions naturelles, objet d'un jugement de valeur,n'en peuvent être le principe.Reconnaissons aussi toute l'ambiguïté de cet élan vital, sur lequel Guyau et Bergson prétendent fonder la morale.Pour eux la vie est élan sentimental, généreux.

Mais pour d'autres l'élan de vie est tout différent.

Nietzsche, parexemple, au nom des valeurs de vie prêche une éthique de la dureté, une anti-morale.

Tandis que pour Bergson, l'élan spontané de la vie trouve son expression suprême dans le don charitabledes saints, Nietzsche au nom de l'élan de vie condamne la pitié — contagion desouffrance dévitalisante — et la charité, contraire à la nature parce qu'ellemaintient artificiellement les faibles dans l'existence.

Pour Nietzsche, l'élan de vieest volonté de puissance et de domination, égoïsme triomphant.

On voit que surl'impulsion naturelle on peut fonder aussi bien et aussi mal une morale ou unimmoralisme.

L'élan de vie n'est jamais par lui-même principe d'une morale.

Il nedevient tel que par la grâce d'un jugement de valeur qui le consacre ou lecondamne.

Ainsi Nietzsche et Schopenhauer reconnaissent tous deux l'existenced'un vouloir-vivre impérieux, égoïste, cruel.

Mais Schopenhauer le condamne etprivilégie le sentiment de pitié.

Nietzsche au contraire l'approuve et le fondecomme principe d'action.

Ainsi le jugement par lequel je décide de refuser ou deglorifier l'impulsion naturelle n'appartient pas lui-même à l'impulsion naturelle.

Ilest d'un autre ordre.D'ailleurs même les sentiments que je reconnais comme véritablement moraux nesont pas toujours des guides très sûrs.

Les sentiments sont subjectifs, variablesselon les moments.

Les conduites spontanées qu'ils suscitent sont souventdangereuses parce qu'irréfléchies.

Le remords est un sentiment moralcaractéristique.

Mais il n'en est pas de plus vain et de plus dangereux.

A quoibon cette terrible souffrance une fois que la faute est irrémédiablementcommise? Dans le remords le sentiment de mon indignité m'obsède à tel point que je ne puis me détacher de ce passé ignoble que précisément je devrais à présent dépasser.

C'est un scrupuleabsurde puisqu'il vient quand le mal est fait.

C'est, dit plaisamment Jankélévitch, «la conscience morale de l'escalier»(comme on parle de l'esprit de l'escalier).

L'homme qui est la proie du sentiment du remords est deux fois impuissant,disait Spinoza, une première fois parce qu'il a commis une faute, une seconde fois parce qu'il désespère.Et chacun sait le caractère relatif, variable du remords.

Des consciences scrupuleuses se tourmentent indéfinimentpour des peccadilles ou même pour des fautes imaginaires.

Le docteur Hesnard a très bien parlé de ces scrupuleuxqui souffrent horriblement de «pensées impures» mais qui cessent d'avoir du remords dès qu'ils passent à l'acte.

Carc'est un fait que «la faute intérieure» (celle qui demeure dans la pensée et qui ne fait de mal à personne) donnebeaucoup plus de remords que l'acte immoral lui-même.

Quant aux pervers authentiques, aux auteurs de fautesréellement très graves, ils n'éprouvent d'ordinaire aucun remords, l'habitude du mal les endurcit (le Mathan deRacine, dans Athalie le sait bien; ne déclare-t-il pas vouloir «à force d'attentats perdre tous mes remords»?).. »

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