Devoir de Philosophie

OEUVRE D'ART ET VALEUR ESTHÉTIQUE

Publié le 09/06/2009

Extrait du document

Pour le comparer à l'ouvrier, nous avons dû regarder l'artiste. Voyons maintenant l'amateur. C'est plus que notre droit, c'est notre devoir, puisque nous savons maintenant l'intention de l'oeuvre : informer la conscience de l'amateur. Quand je visite l'Abbaye aux Hommes, désireux non pas de prier et de me recueillir comme je le pourrai faire dans une quelconque église de campagne, mais de goûter le style roman dans une de ses formes les plus parfaites, quand, assis dans un fauteuil de l'Opéra, j'écoute le prélude de Tristan et Isolde, quand je regarde un Toulouse-Lautrec ou un Manet, je suis un autre homme que lorsque, ayant faim, je mange un sandwich, ou, ayant soif je bois de la bière. Que se passe-t-il exactement dans ma conscience ? En quoi la satisfaction de la tendance esthétique que je suppose en moi se distingue-t-elle de la satisfaction d'un besoin d'origine physiologique, ou même d'une tendance spirituelle peut-être, mais non esthétique ?  L'oeuvre d'art est toujours chose sensible ; la symphonie atteint mon ouïe comme vibration physique, le bas-relief ma rétine, le mystère médiéval les deux à la fois. C'est banalité de l'écrire, mais banalité qu'il faut rappeler ici. Je vois au Musée ou aux murs d'un château des toiles de maîtres comme je vois les affiches sur le mur ou le menu à la porte du restaurant ; je vois la cathédrale d'Amiens ou le Louvre comme je vois la maison d'en face. J'entends un quatuor à cordes comme j'entends les sirènes des bateaux, les moteurs des camions, le roulement des voitures. Dans un cas je suis peut-être, nous en déciderons, dans un autre monde, dans le monde des valeurs esthétiques auquel mon goût peut me donner un accès privilégié ; dans l'autre cas, je suis dans l'existence quotidienne, diraient des philosophes contemporains, dans le monde sensible, auraient dit ceux d'autrefois, dans le monde réel, penserait l'homme du commun, méfiant devant la sagesse. Mais dans les deux cas, l'objet sensible frappe mes sens.

« psychanalystes, sa conscience profonde, contribue à l'élaboration autant et plus que son intelligence lucide qui nedirigerait que l'exécution technique, l'amateur lui aussi projette dans l'oeuvre perçue la masse latente de sestendances plus ou moins obscures qu'actualise sa perception, et, comme d'une jouissance à une autre, le flux deson psychisme profond a varié, l'oeuvre dont il jouit chaque fois lui paraît chaque fois nouvelle.

Il n'importe.Dénoncer cette double projection, c'est encore reconnaître que l'oeuvre est médiatrice, c'est surtout avouer quel'oeuvre est toujours génératrice de surprises, qu'elle est plus riche que toutes les expressions que je pourrai choisirpour la décrire.Les esthéticiens, au reste, ne s'y sont pas trompés, qui parlaient d'Idée esthétique, la distinguant des autres Idéespar un ensemble de vocables de signification vague et floue mais révélateurs, par leur imprécision même : l'Idéeesthétique renferme l'infini, pensaient-ils ; elle est inexprimable, ineffable ; la pensée conceptuelle et parconséquent le langage sont incapables de multiplier jugements et expressions au point de rejoindre la plénitude desimages sensibles dont l'Idée est à la fois l'ensemble et l'incantation.

Le romantisme de la théorie de l'Idéeesthétique, toujours friand d'Infini, dit à sa manière ce que dit l'amateur soucieux de faire partager son émotion.Formidable, magnifique, étonnant, puissant, fin, gracieux, léger, tels sont les adjectifs que parmi des centainesd'autres entendra le visiteur d'un vernissage ou l'auditeur de la symphonie pastorale à un concert Colonne dudimanche après-midi.

On comprend la sourde irritation du philosophe et son malaise lorsque le littéraire « oul'amateur d'art lui propose leurs jugements ».

Mais il faut pardonner, car, à moins de se taire, il est impossible icid'échapper au verbalisme.

Le message de l'oeuvre est au-delà.Mais revenons à notre langage, et, pour éviter l'emphase, disons valeur esthétique « plutôt qu'Idée ».

Pour marquerle lien de la valeur à l'oeuvre, il a fallu jusqu'ici se contenter d'à-peu-près ; la valeur s'incarne dans l'oeuvre, l'oeuvreest support de valeur, la valeur se lit dans l'oeuvre, telles furent nos manières de dire.

Le souci d'une précision quis'impose nous fera rencontrer la contradiction.

Car oeuvre et valeur sont à la fois une et deux.

OEUVRE et valeurcollent l'une à l'antre jusqu'à la fusion parfaite puisque la moindre modification d'un contour ou d'une couleur sur unetoile, d'un accord ou d'une note dans le concerto, d'une réplique dans un drame risque d'en faire disparaître la valeurtout au moins de la changer, en dirigeant autrement la jouissance de l'amateur.

L'oeuvre n'est que par la formedonnée aux matériaux par la finalité interne que lui veut le créateur, et cette finalité c'est sa valeur.

La significationesthétique de l'oeuvre n'est pas dans l'oeuvre, elle est l'oeuvre même.

OEUVRE et valeur sont deux cependantpuisque l'amateur jouit en contemplant comme ne jouit pas la brute qui pourtant perçoit lui aussi l'oeuvre-objet-physique, puisque la même valeur ne m'est pas donnée dans l'oeuvre lors de chaque jouissance, cette variabilité desvaleurs liées à un même support faisant la vie autonome de l'oeuvre, la rendant l'analogue d'une personne.

Lesesthéticiens allemands appartenant à l'école dite de l'Einfühlung ont, à la suite de Vischer, considéré lasymbolisation comme le moment nécessaire de toute jouissance esthétique, l'oeuvre d'art sensible, et parconséquent perceptible, étant pour eux le symbolisant, et la valeur (ou l'Idée) le symbolisé : c'était reconnaître ladestination de l'oeuvre-objet-physique et de sa valeur-objet esthétique.

Mais le propre de l'art, affirmaient-ils aussi,est d'être un langage, plus vrai sans doute que le langage lui-même : ce que l'artiste veut dire, il ne le peut exprimerque par cette oeuvre-là, aucune oeuvre ne s'y pourrait substituer ; entre le symbolisant et le symbolisé l'adaptationest si parfaite que l'accès au second n'est possible que par le premier.

Ce qui explique justement l'impossibilitéd'exprimer autrement que par moyen verbal la signification de la Joconde ou de la valse ; de cette signification, laseule traduction adéquate est la toile de Vinci, la partition de Ravel.

C'était reconnaître aussi que symbolisant etsymbolisé ne font qu'un.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles