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Paul Ricœur, Histoire et Vérité, Seuil, 1955, p. 23-24.

Publié le 23/03/2015

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histoire

Est objectif ce que la pensée méthodique a élaboré, mis en ordre, compris, et ce qu'elle peut ainsi faire comprendre. Cela est vrai des sciences physiques, des sciences biologiques ; cela est vrai aussi de l'histoire. Nous attendons par conséquent de l'histoire qu'elle fasse accéder le passé des sociétés humaines à cette dignité de l'objectivité. Cela ne veut pas dire que cette objectivité soit celle de la physique ou de la biologie : il y a autant de niveaux d'objectivité qu'il y a de comportements méthodiques. Nous attendons donc que l'histoire ajoute une nouvelle province à l'empire varié de l'objectivité.

Cette attente en implique une autre : nous attendons de l'historien une certaine qualité de subjectivité, non pas une subjectivité quelconque, mais une subjectivité qui soit précisément appropriée à l'objectivité qui convient à l'histoire. Il s'agit donc d'une subjectivité impliquée, impliquée par l'objectivité attendue. Nous pressentons par conséquent qu'il y a une bonne et une mauvaise subjectivité, et nous attendons un départage de la bonne et de la mauvaise subjectivité, par l'exercice même du métier d'historien.

Ce n'est pas tout : sous le titre de subjectivité nous attendons quelque chose de plus grave que la bonne subjectivité de l'historien ; nous attendons que l'histoire soit une histoire des hommes et que cette histoire des hommes aide le lecteur, instruit par l'histoire des histo-riens, à édifier une subjectivité de haut rang, la subjectivité non seulement de moi-même, mais de l'homme. Mais cet intérêt, cette attente d'un passage — par l'histoire — de moi à l'homme, n'est plus exactement épistémologique, mais proprement philosophique : car c'est bien une subjectivité de réflexion que nous attendons de la lecture et de la méditation des œuvres d'historiens [...].

Tel sera notre parcours : de l'objectivité de l'histoire à la subjectivité de l'historien ; de l'une et de l'autre à la subjectivité philosophique. «

Paul Ricœur, Histoire et Vérité, Seuil, 1955, p. 23-24.

histoire

« Textes commentés En partant de la critique aussi bien de la dichotomie naïve entre objectivité et subjectivité que de la réduction scientiste de l'objectivité en général à celle qui caractérise les sciences physiques, Ricœur propose de distinguer trois degrés de subjectivité.

Le premier degré est celui de la subjectivité « mauvaise » ou primitive, sans règles, et qu'il appelle plus loin « à la dérive » (p.

33) (et dont relève par exemple les thèses des «historiens » négationnistes).

Une telle subjectivité est donc, au sens fort de ce terme, une subjectivité aliénée, à laquelle on oppose communément un idéal absurde et stérile d'objectivité qui correspondrait au point de vue de Dieu ou de nulle part.

On ne devrait pas s'étonner outre mesure que la subjectivité de l'historien soit en revanche « impliquée » « par l'objectivité attendue », car depuis la révolution copernicienne qui s'est opérée dans la théorie de la connaissance avec Kant, le savoir ne peut plus être pensé comme le pur reflet d'un objet extérieur : toute science implique au contraire l'activité créatrice du sujet connaissant.

C'est pourquoi la question porte ici sur objectivité attendue ; l'objectivité étant fonction de l'objet connu, quelle est la subjectivité impliquée par la connaissance du passé « des hommes » ? Manifestement celle qui, comme le disent aussi W.

Dilthey et H.I.

Marrou, permet à l'historien d'éprouver pour ces hommes ou ces cultures du passé la« sympathie», l'amitié, nécessaire à leur rencontre et à leur compréhension -la critique des documents préservant cette subjectivité du délire.

43 La subjectivité « de réflexion » ou « philosophique », « de haut rang » à la formation de laquelle devrait contribuer la méditation de l'œuvre des historiens, c'est cette subjectivité à laquelle vise toute éducation au i sens humaniste du terme et telle que la définit Hegel, à savoir celle qui s'est élevée du particulier à l'universel, et dont relève le «je pense » cartésien par exemple.

Et c'est la dimension éducative ou formatrice de cette méditation de l'histoire, qui n'a rien à voir avec l'assimilation d'« informations», qui explique qu'on puisse parler de l'histoire comme science« humaine».. »

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