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Peut-on caractériser notre civilisation en disant que c'est une civilisation technicienne ?

Publié le 09/12/2005

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Des années stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants, qui consument tout, exigèrent d'eux une nouvelle industrie. Le long de la mer et des rivières, ils inventèrent la ligne et l'hameçon et devinrent pêcheurs et ichtyophages. Dans les forêts, ils se firent des arcs et des flèches et devinrent chasseurs et guerriers. [...] Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés et les instruments qu'ils avaient inventés pour y pourvoir, les hommes jouissant d'un fort grand loisir l'employèrent à se procurer plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères ; et ce fut là le premier joug qu'ils s'imposèrent sans y songer et la première source de maux qu'ils préparèrent à leurs descendants ; car outre qu'ils continuèrent ainsi à s'amollir le corps et l'esprit, ces commodités ayant par habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n'en était douce, et l'on était malheureux de les perdre, sans être heureux de les posséder." Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755). Ce que défend ce texte: Ces lignes s'ouvrent sur la description de l'état de nature, par lequel Rousseau tente de penser ici l'homme avant l'existence de la société. Rousseau cherche à déduire le comportement qui a dû être celui des premiers hommes en faisant abstraction de ce que la culture leur a apporté depuis. Cet état est en réalité purement « hypothétique », ce qui signifie qu'il s'agit d'une hypothèse qui va servir d'instrument d'analyse pour dénoncer les travers de la culture et identifier les causes précises des malheurs de l'homme civilisé. Comment peut-on imaginer cet état de nature ?

Le terme technique vient du grec "technê"( art, habileté) utilisé très tôt notamment par Aristote. Il désigne un savoir-faire mis en oeuvre en vu d'un résultat déterminé. Mais la technique, à la différence de l'art, vise l'utilité et l'efficacité. La technique est ce qui est propre à l'homme, d'ailleurs une des différents noms donnés aux hommes de la préhistoire est "homo faber" : l'homme fabriquant des outils. La technique semble donc proprement humaine. Si l'être humain se définit par l'emploi de la technique, la technique est-elle donc la base de toute civilisation? Mais la définition de civilisation parle d'un ensemble de phénomènes sociaux d'ordre religieux, moral, esthétique ou technique. La civilisation peut-elle alors se réduire à son simple côté technique? Dans notre civilisation, la technique est-elle tellement développée qu'elle en viendra à masquer d'autres aspects civilationnels?

« " À mesure que le genre humain s'étendit, les peines se multiplièrentavec les hommes.

La différence des terrains, des climats, des saisons,put les forcer à en mettre dans leurs manières de vivre.

Des annéesstériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants, qui consumenttout, exigèrent d'eux une nouvelle industrie.

Le long de la mer et desrivières, ils inventèrent la ligne et l'hameçon et devinrent pêcheurs etichtyophages.

Dans les forêts, ils se firent des arcs et des flèches etdevinrent chasseurs et guerriers.

[...]Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins trèsbornés et les instruments qu'ils avaient inventés pour y pourvoir, leshommes jouissant d'un fort grand loisir l'employèrent à se procurerplusieurssortes de commodités inconnues à leurs pères ; et ce fut là le premierjoug qu'ils s'imposèrent sans y songer et la première source de mauxqu'ils préparèrent à leurs descendants ; car outre qu'ils continuèrentainsi à s'amollir le corps et l'esprit, ces commodités ayant par habitudeperdu presque tout leur agrément, et étant en même tempsdégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup pluscruelle que la possession n'en était douce, et l'on était malheureux deles perdre, sans être heureux de les posséder." Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755). Ces lignes s'ouvrent sur la description de l'état de nature, par lequel Rousseau tente de penser ici l'homme avantl'existence de la société.

Rousseau cherche à déduire le comportement qui a dû être celui des premiers hommes enfaisant abstraction de ce que la culture leur a apporté depuis.

Cet état est en réalité purement « hypothétique »,ce qui signifie qu'il s'agit d'une hypothèse qui va servir d'instrument d'analyse pour dénoncer les travers de la cultureet identifier les causes précises des malheurs de l'homme civilisé.Comment peut-on imaginer cet état de nature ? On peut sans peine supposer que les premiers âges étaient rudes,et que la difficulté des conditions d'existence des premiers hommes sont à l'origine des progrès techniques : « Desannées stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants, qui consument tout, exigèrent d'eux une nouvelleindustrie.

» Ces nouvelles inventions et l'habileté qu'elles réclament, furent avant tout des moyens d'adaptation auxmilieux naturels, c'est-à-dire des moyens pour tirer parti de leurs ressources : invention de la ligne et de l'hameçonle long de la mer et des rivières, inventions des arcs et des flèches dans les forêts.Rousseau, à la manière de Montesquieu, insiste sur la différence des climats pour expliquer la variété des modes devie qui se sont répandus à travers les peuples de la Terre, puisque celle-ci « put les forcer à en mettre dans leursmanières de vivre.

» Ce sont donc les conditions matérielles d'existence, elles-mêmes liées au type d'environnementnaturel, qui furent à l'origine de la spécificité de chaque culture.

Ce tableau plausible possède toutefois une valeurpolémique et prépare la critique d'une certaine forme de civilisation.Avec cette vie simple et solitaire, aux besoins limités par la capacité des instruments qu'ils avaient inventés pour lessatisfaire, les hommes se trouvèrent en état de jouir « d'un fort grand loisir ».

Le mot « loisir » ne doit pass'entendre ici au sens d'activité d'agrément (comme lorsqu'on dit « pratiquer un loisir ») mais désigne le temps libredont les hommes disposaient alors, puisque leurs besoins limités pouvaient être rapidement satisfaits.

Ce temps libre,ils éprouvèrent le besoin de le combler.C'est donc pour échapper à l'ennui, et non sous l'effet du besoin, qu'ils multiplièrent les inventions qui allaient leurprocurer « plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères » et cherchèrent à perfectionner les objetstechniques au-delà de ce que la satisfaction des premiers besoins exigeait.

Or la multiplication de ces commoditésfut « le premier joug qu'ils s'imposèrent [...

] et la première source de maux qu'ils préparèrent à leurs descendants ».Celles-ci contribuèrent à amollir le corps et l'esprit : le corps, puisqu'elles facilitent les tâches matérielles ethabituent nos organismes au confort et à moins de résistance ; l'esprit, parce qu'elles ont encouragé l'oisiveté et lerefus du moindre effort.

Surtout, elles ont créé de faux besoins que les descendants, habitués à leur usage, ont finipar exiger comme si ces dernières étaient des besoins naturels.

L'homme moderne, pour Heidegger, n'est plus amener à utiliser des techniques mais à vivre au milieu d'elles.

Il ne vitplus dans un milieu naturel mais un contact médiatisé par la présence obsédante des objets à utilité, donctechniques.

Par exemple, nos relations ne se basent plus sur la présence concrète d'autrui mais sur un outiltechnique, le téléphone, internet,... De plus, les techniques par les contraintes qu'elles font peser sur les individus, donnent une vision purementutilitaire du monde dépourvue de transcendance, de dimensions symboliques, philosophiques.

La pensée ne s'attacheplus à la méditation, au recueillement, parce qu'infléchie par les idées d'efficacité et d'utilité de la techniqueomniprésente. Enfin, la technique est maintenant dévalorisée parce que considérée comme instrument de domination parexcellence, de la nature par l'homme( voir Simondon) et de l'homme sur l'homme( Marx). »

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