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Peut-on concevoir un bonheur sans illusion

Publié le 20/05/2023

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« Peut-on concevoir un bonheur sans illusion ? Nombres philosophes de tout temps se sont questionnés sur les origines, les différents fondements possibles du bonheur, et nombre d’entre eux sont tombés en accord sur le fait que le bonheur ne se trouvait pas nécessairement dans l’irréel, l’imagination et l’attente, mais au contraire dans la réalité.

En effet, nous retrouvons cette pensée que le bonheur serait dans l’action réelle, dans la réalisation de ses propres désirs, comme le prône notamment la philosophie hédoniste.

Cette dernière souligne en effet que le bonheur se trouve dans l’accomplissement des plaisirs des sens, de l’esprit ou encore du corps.

La devise de l’hédonisme donnée par Horace « Carpe diem » démontre bien cette envie de trouver le bonheur dans la réalité, dans la concrétisation des plaisirs.

Il faut donc, selon Horace, profiter de l’instant présent en cherchant le plaisir et donc par conséquent le bonheur. Si l’hédonisme place le bonheur dans la réalisation de tous nos désirs, cela implique que nous devons nous mobiliser pour les atteindre et ainsi les matérialiser.

Il n’est donc guère surprenant de retrouver des valeurs telles que la volonté et l’engagement dans les conditions du bonheur hédoniste.

Il faut agir dans la réalité car c’est dans celle-ci que se trouve le bonheur.

Nous pouvons retrouver cette philosophie par exemple chez les Libertins au XVII e siècle qui s’affranchissent spirituellement, religieusement pour ainsi connaitre une liberté de conscience notamment dans les plaisirs du corps, ce qui nous montre bien que le bonheur peut se trouver dans l’action, la réalisation et non dans l’attente et l’illusion.

Il faut donc agir pour connaitre le bonheur, comme nous pouvons aussi le voir dans le personnage de Don Juan.

En effet, ce personnage moliéresque montre que le bonheur se trouve dans la conquête, Don Juan aime l’acte de conquérir.

Nous voyons donc bien que le bonheur se trouve dans l’action réelle, dans le changement et non dans l’illusion ou une quelconque attente.

C’est pourquoi il faut agir et réaliser nos désirs et nos plaisirs pour arriver au bonheur qui se trouve par conséquent dans l’action.

L’illusion d’après cette idée n’apporte rien au bonheur, du fait qu’il se trouve dans l’action de concrétisation des plaisirs et non dans l’attente et l’illusion de la réalisation de ceux-ci. De plus, le bonheur se trouve aussi dans la réalité pure pour les stoïciens.

En effet, dans le stoïcisme, le bonheur désigne l'indépendance vis-à-vis des circonstances extérieures et le détachement à l'égard des choses.

La maîtrise de nos représentations et l'exercice du jugement permettent d'y accéder.

Par conséquent cette doctrine philosophique nous invite à ne pas rester passif face aux évènements extérieurs, à exercer notre capacité de jugement : elle nous invite ainsi à agir dans la réalité.

Il ne faut pas être spectateur passif de notre vie intérieure comme extérieure, il faut comprendre la nécessité de certains évènements du monde et accepter sa destinée.

Pour Epictète, la connaissance des lois naturelles permet de prendre les meilleurs, comme les pires évènements de notre vie, avec calme, sérénité et humilité, ce qui est selon lui la composante essentielle au bonheur.

Nous pouvons aussi voir cette pensée chez Marc-Aurèle : “Tout est opinion. Et l'opinion dépend de toi“.

Cette invitation de Marc-Aurèle résume à elle seule la pensée stoïcienne : il faut comprendre le monde pour pouvoir le juger et cela dépend de nous, nous en avons le devoir, il faut donc que nous agissions concrètement et réellement pour comprendre notre environnement et ainsi atteindre le bonheur, ne pas rester passif à imaginer, à s’illusionner.

De ce fait, il ne faut pas se faire des illusions, il faut se détacher de ce que nous ne contrôlons pas et que nous ne pouvons pas contrôler.

Car, en effet, la première des illusions est de croire que tout dépend de nous.

Si nous restons bloqués dans cette illusion, nous ne pourrons jamais concevoir et atteindre un bonheur durable, qui reposerait ainsi sur des choses que nous ne pouvons maitriser comme le hasard, les circonstances et autres.

Il ne faut donc pas attendre le bonheur, l’imaginer, il faut savoir le saisir lorsqu’il arrive.

Nous voyons donc bien que le bonheur stoïcien dépend de notre perception, de notre volonté qu’il faut donc entrainer pour qu’elles soient les plus justes possibles.

L’illusion apparaît presque néfaste pour les stoïciens dans la recherche du bonheur par le fait qu’elle entache en partie notre capacité de jugement qui est la condition sine qua non au bonheur selon cette doctrine.

Nous pouvons donc dire que la conception du bonheur peut se faire sans illusion, illusion qui apparaît presque comme défavorable. Le bonheur se trouve donc bien dans la réalité, le réel, il est concevable dans l’action et donc sans illusions.

De plus, l’illusion ne serait-elle pas seulement néfaste au bonheur, par le fait qu’elle ne puisse-t-être durable, n’entrainerait-elle pas uniquement désillusion et souffrance ? L'imagination, est traditionnellement représentée comme source de chimères.

De par son étymologie, du latin illusio (ironie, tromperie), l’illusion entraine par définition la désillusion, la tromperie étant un terme fort : elle induit volontairement en erreur.

L’illusion dans son sens premier, permet de nous créer des désirs, des envies irréalisables hormis dans notre esprit.

Le danger de ceux-ci est de croire que l’on pourrait les réaliser, les concrétiser ce qui est impossible à cause des limites tant physiques que mentales ou encore sociétales qui nous entravent.

En effet, l'illusion psychique, qui consiste à prendre ses désirs pour des réalités, rend véritablement problématique la notion de vie heureuse et donc de bonheur.

Madame Bovary, le roman le plus célèbre de Gustave Flaubert, nous livre le récit d'Emma, une jeune provinciale nourrie de romans d'amour, qui se berce continuellement d'illusions.

La véritable illusion dans laquelle tombe Emma Bovary, ce n'est pas tant de croire sa vie actuelle plus belle qu'elle ne l'est, mais de se tromper continuellement sur ce qu'est la vie.

Tout le roman n'est rien d'autre qu'une série d'espoirs avortés et de désillusions qui s'enchainent.

Emma n'est jamais heureuse qu'au futur, et non au présent, et encore moins au passé : la vie qu'elle mène n’est jamais à la hauteur de ses attentes, attentes idéalisées par ses illusions.

L’illusion nous éloigne, tout comme Emma Bovary de la réalité.

À chaque désir, nous aurons l’illusion d’être comblé à sa concrétisation.

Cependant, à cause de l’illusion, nous l’idéalisons, nous voulons rendre la réalité conforme à nos désirs, ce qui est utopique et dérisoire.

Lors de sa concrétisation, nous serons désappointés, néanmoins, notre illusion nous jouera encore des tours en continuant à nous faire croire que la réalisation du prochain désir nous conduira au bonheur en vain.

Telle est donc l'illusion qui rend le bonheur hypothétique et incertain.

Afin de lutter contre ces néfastes illusions, il faut savoir rester lucide, il nous faut donc revoir nos désirs à la baisse comme le préconise l’ataraxie : il faut ne plus avoir de troubles du corps et de l’esprit, mais qu’est-ce que l’illusion sinon qu’un trouble de l’esprit ? Les troubles de l’esprit entachent notre quête du bonheur par le fait que le retour à la réalité nous dévaste et ne nous permet pas un bonheur durable.

Nous voyons donc bien que l’illusion peut être néfaste dans la conception et l’accession au bonheur : elle lui nuit. De plus, il est possible de se leurrer sur son propre bonheur si l'on vit dans l'illusion, mais cette illusion ne résiste pas à la confrontation avec une forme de bonheur supérieur et authentique, qui réside dans la vérité.

Ainsi, dans le livre VII de la République, Platon via Socrate nous raconte l'allégorie de la caverne : des hommes y vivent enchainés, ils regardent sur un mur les ombres projetées par un feu situé derrière eux.

Ils pensent que ces ombres constituent la réalité, et vivent dans l'illusion que c'est là tout ce qu'il y a à connaître.

Ces hommes pensent être heureux, mais ils ne le sont pas, ils vivent dans l’illusion d’un bonheur.

Celui qui est libéré et conduit à la surface découvre ce qu'est réellement la vie, il voit pour la première fois la lumière du soleil.

Le souvenir de son ancienne condition lui devient insupportable, et il faudra le forcer à retourner dans la caverne pour sauver les autres hommes.

Cette allégorie désigne le cheminement philosophique qui consiste à se libérer de ses illusions passées pour découvrir la vérité.

Cette allégorie nous montre donc bien que l’illusion est néfaste à la conception et à la réalisation de notre bonheur et qu’il faut en sortir pour connaitre le vrai bonheur.

Pourtant, il ne faut pas croire que la découverte de la réalité authentique et de la lumière du soleil constitue pour lui un bonheur immédiat : l'homme est tout d'abord.... »

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