Peut-on (doit-on) spatialiser le temps ?
Publié le 29/03/2004
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LA
SPATIALISATION DU TEMPS
Rien de plus commun que la mesure du
temps par l'espace. Si je demande à un
passant: «L'hôtel de Paris, c'est encore
loin?», on me répondra indifféremment:
«C'est à cinq minutes » ou « C'est à
trois cents mètres ». Scientifiquement,
la mesure du temps se traduit par la
mesure d'un espace parcouru par un
mobile dont le mouvement est supposé
uniforme, par exemple l'espace parcouru
par l'aiguille d'une montre sur le
cadran. Une horloge enregistre les
répétitions d'un phénomène périodique
considéré comme constant (battements
d'un pendule ou d'un ressort) et
l'accord de diverses bonnes horloges
vérifie en pratique notre confiance dans
la constance de leur marche. Toutefois,
ce temps abstrait et régulier, mesuré
par l'espace, défigure, selon Bergson,
le temps réel, la durée vécue par la
conscience. «Concept bâtard» d'espace et
de durée, le temps apprivoisé de nos
horloges trahit le temps naturel libre
et sauvage, la durée vécue qualitative
et non mesurable, bondissant au rythme
de nos joies, alanguie au tempo de
l'ennui. Vous savez tous qu'un film
passionnant dure psychologiquement
beaucoup moins qu'une conférence
ennuyeuse, même si tous deux sont
mesurés, par exemple, par une heure
trente à l'horloge. Pour Bergson, la
durée vécue par la conscience est un pur
changement qualitatif, ne se prête pas à
la mesure, ne se compose pas d'instants
séparés et comme juxtaposés les uns aux
autres mais au contraire est l'unité
organique de moments qui se fondent les
uns dans les autres comme les couleurs
d'un soleil couchant ou les notes d'une
mélodie : «La durée toute pure est la
forme que prend la succession de nos
états de conscience quand notre moi se
laisse vivre, quand il s'abstient
d'établir une séparation entre l'état
présent et les états antérieurs. Il n'a
pas besoin pour cela de s'absorber tout
entier dans la sensation ou l'idée qui
passe car alors, au contraire, il
cesserait de durer.
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