Peut-on reproduire une oeuvre d'art ?

« presque, peut donner à certains l'impression d'être finalement aussi doués que lui.

« Moi aussi je peux le faire »,dira-t-on.

« Une tache sur une toile ? Mon fils de cinq y arriverait ! » entend-t-on souvent dire à propos de l'artcontemporain.

Reproduire une œuvre d'art nous donne l'histoire d'un instant l'impression de se hisser aux rangs desartistes.

C'est d'ailleurs la sensation que cherchent à nous donner ces peintures numérotées pour les enfants : ilsuffit de mettre la bonne couleur au bon endroit pour créer le même modèle que celui sur le dessus de la boite.

Lareproduction peut nous rendre fier et nous conforter dans l'idée que ces artistes sont finalement des gens « commenous ».

L'idée de reproduction d'une œuvre d'art peut également s'avérer bénéfique d'un point de vue économique.En effet, une société qui raffolerait d'une certaine forme d'art, de tel ou tel artiste ou d'une quelconque œuvreserait un acheteur potentiel intéressant pour celui qui en ferait des copies.

Les œuvres de Andy Warhol parexemple, peintre du mouvement Pop-Art qui s'est illustré dans la deuxième moitié du XXème siècle, ont connu unsuccès franc auprès de son public.

Depuis, la nouvelle génération, sans vraiment savoir qui est cet artiste, sansforcément s'intéresser à son œuvre, apprécie de voir des copies de sa Marilyn Monroe sur des agendas, des t-shirts,… L'œuvre de Warhol est déclinée sous diverses formes, et ce marché est certainement intéressant àexploiter d'un point de vue financier.

Celui qui fait des copies d'une œuvre qui plaît à beaucoup y trouvera soncompte.

Enfin, dit Michel Onfray dans son Antimanuel de Philosophie , la reproduction permet aux « gens de peu » d'entrapercevoir le monde de l'art.

Dans son chapitre « Que fait donc la Joconde dans la salle à manger de nosgrands parents ? », il nous explique qu'il existe certaines œuvres qui font partie d'une série d'objets d'art qui seretrouve régulièrement à droite à gauche, par exemple une gondole vénitienne sur le dessus de la télévision, laColombe de Picasso, l'Angelus de Millet,… Ces copies ont peu de choses à voir avec l'original, mais elles signifient,pour cette classe de personnes qui n'a pas eu la chance d'être initiée à l'art, qui ne fréquente pas les lieux de l'art,l'art à elles seules.

La reproduction d'une œuvre accrochée au mur signale le désir de posséder chez soi un objet quiprocède de l'art mais, bien entendu, l'incapacité financière d'acquérir l'original.

Exposer des copies, c'est exposer unmorceau de ce symbole « qui permet de participer à la relation des hommes avec les œuvres d'art, au moindreprix ».

L'image dupliquée en de multiples exemplaires permet d'éviter la frustration de ces « gens de peu » qui n'ontaucune culture artistique mais qui ressentent le besoin d'une certaine beauté : « le substitut est pris par eux pourl'essentiel ».

Et c'est au sein de cette classe que nait ce que l'on appelle couramment le goût kitsch.

L'amateur dekitsch se contente de reproduction. La reproduction, en art, ouvre plusieurs voies diverses de réflexions.

Mais revenons à notre questionprincipale : dans quelles mesures peut-on parler de reproduction d'une œuvre d'art ? Comment faut-il comprendre leterme « reproduction » ? Si on considère la reproduction d'un point de vue purement matériel, oui, on peut alors reproduire uneœuvre d'art. Cela est tout d'abord possible, car nous disposons de tous les moyens pour le faire, et ce de plus en plus.On peut en effet retrouver et utiliser le même matériel que l'artiste : on peut acheter les mêmes crayons, la mêmetoile, le même instrument de musique,… que lui.

L'art ayant besoin d'un matériau concret, à un moment où l'autredans sa production, il suffit alors d'identifier ce matériau pour le réutiliser.

De ce point de vue, la reproduction estalors perçue comme la restitution le plus fidèlement possible de quelque chose qui a déjà été fait.

Et pour les artsqui se basent sur moins de matériaux ou dans le cas où l'on n'arriverait pas à les détecter, il existe, et ce surtoutde nos jours, de multiples moyens de « capturer » l'œuvre.

Voilà une autre forme de reproduction : ce n'est pasalors réellement une copie que l'on cherche à faire, mais plutôt une immortalisation de l'œuvre sur un autre supportque celui pour lequel elle a été conçue.

Ainsi, avec la photographie, les magnétophones, les disques, les films,…toute œuvre peut changer de domaine de représentation et être reproduite à volonté.

Je peux par exemple regarderla vidéo d'une pièce de théâtre : la pièce qui était sensée être représentée sur scène devient alors, par sareproduction, une œuvre pour laquelle le domaine de représentation est ma télévision.

On peut donc bien, au sensd'une capacité matérielle, reproduire une œuvre d'art. De plus, et dans le même ordre d'idées, pour reproduire une œuvre d'art, il suffit de très bien la connaitre.De cette manière, si j'ai scrupuleusement repéré les procédés par lesquels l'artiste est parvenu à ce résultat, que jeparviens à les comprendre, à en saisir le sens, cela signifie que je serai capable de les refaire moi-même.

Si jeconnais par cœur la recette d'un gâteau et que je comprends parfaitement quels liens unissent tous les ingrédients,cela veut dire que je peux réaliser ce gâteau moi-même.

En art, c'est pareil.

Si je sais que mon chanteur favoriutilise un accord de Fa majeur sur sa guitare et que je sais quelles sont les notes qui permettent de donner cet. »