Peut-on séparer la morale et la politique ?
Publié le 24/12/2005
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«
La vision marxienne du communisme
pour le temps présent, mais ne le considère pas comme justifié pour l'avenir ; il veut précisément abolircet antagonisme » [La Situation de la classe laborieuse en Angleterre, p.
359].La fin de l'antagonisme de classes, avec l'abolition de la propriété privée et de toutes les aliénations qui luisont liées, signifie « le retour de l'homme hors de la religion, de la famille, de l'État, etc., à son existencehumaine, c'est-à-dire sociale » [Manuscrits de 1844, p.
88].
C'est l'occasion pour Marx de définir la place del'homme dans la société et dans la nature et de développer sa conception de l'individu en tant qu'être social[ibid., p.
88-89].
En même temps, le communisme n'est défini que par antithèse : « Il n'est pas en tant que telle but du développement humain, la forme de la société humaine » [ibid., p.
99].
Plus encore, écrivent Marx etEngels, il « n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.»[L'idéologie allemande].
Dans la société communiste pourront émerger de nouvelles tensions ou de nouvellescontradictions, évidemment fort éloignées de celles que nous connaissons dans le régime de propriété privéedes moyens de production.
B.
— Discussion .
Quelles que soient leurs différences d'inspiration, toutes ces doctrines reposent sur un prétendu «réalisme », d'allure tantôt positiviste (Maurras), tantôt explicitement matérialiste (Hobbes, Lénine), qui prétend neconnaître que des rapports de faits.
— 1° Elles méconnaissent ainsi une réalité fondamentale, à savoir que la viesociale est faite non seulement de réalités matérielles, de rapports de forces, de conflits d'intérêts, mais aussi etpeut-être surtout du culte de certaines valeurs (sujets 114-117, 119-121, etc.), parmi lesquelles les valeursmorales tiennent une place éminente.
— 2° Elles aboutissent ainsi, en réduisant ce qui doit être à ce qui se fait(c'est déjà très net chez Machiavel), à nier toute morale.
Machiavel prend comme prétexte que les hommes sontméchants et lâches ; Hobbes pose en principe qu'à l'état de nature «l'homme est un loup pour l'homme ».
« Si cetteraison était bonne, objecte Paul JANET, elle vaudrait contre la morale privée tout aussi bien que contre la moralepublique.
Faut-il donc en conclure que les hommes doivent se dispenser de toute vertu, parce qu'ils ne peuventatteindre qu'à une vertu imparfaite? Ainsi des politiques : accordons-leur que l'honnêteté parfaite est impossible ; iln'en est pas moins vrai que cette honnêteté parfaite est la loi obligatoire de leurs actions.
Autrement, c'est faire del'exception la règle, ou plutôt c'est détruire toute règle.» — 3° Tout aussi dangereuse est la maxime que «le salut dupeuple est la loi suprême ».
«Admettez un instant, dit JANET, cette raison mystérieuse du salut public, aussitôt toutest permis ; car il est toujours possible d'affirmer que telle action, telle mesure est nécessaire au salut du peuple.» Ilen va du « machiavélisme populaire » comme du « machiavélisme princier ».
« Quelques-uns ne voient dans lemachiavélisme que l'art de tromper ; et, dans leur mépris pour les mensonges des cours, ils sont pleins d'indulgencepour les fureurs des multitudes.
Mais le machiavélisme n'est pas seulement cette finesse puérile et frivole qui se sertde la parole pour cacher la pensée : c'est une politique cauteleuse et violente selon le besoin, tantôt couverte ettantôt déclarée, et qui emploie aussi volontiers le fer et la cruauté que la fraude et la trahison ; elle peut doncconvenir aux peuples comme aux cours ; et, dans ce sens, le terrorisme lui-même est machiavélisme».
II.
La politique absorbée dans la morale.
A l'opposé des doctrines qui nient la morale au profit de la politique, se trouveraient celles qui méconnaissent laspécificité propre de la politique et prétendent l'absorber dans la morale.
A.
— On peut considérer la doctrine de PLATON, surtout dans la République, comme l'expression de cette façon devoir.
Selon Platon, en effet, la fin de l'État est de faire régner la vertu et, par suite, le gouvernement doit être remisentre les mains des sages et des philosophes.
Mais, tandis que, dans la République Platon semble compter presqueexclusivement sur l'éducation donnée par l'État aux individus, dans les Lois il fait de la vertu l'oeuvre du législateuret, en définitive, le résultat de la contrainte.
— On peut rattacher à la même tendance la plupart des utopistessociaux et des constructeurs de cités idéales.
— D'une façon plus générale encore, n'entend-on pas dire souventque, si tout le monde était parfait, les problèmes politiques ne se poseraient même plus?
B.
— Cette seconde position semble, à première vue, beaucoup plus forte que la première.
La morale n'est-elle pasla règle universelle de la conduite humaine? et, par suite, la politique peut-elle être autre chose qu'une applicationdes règles morales à l'action de l'État et du gouvernement? Il y a là cependant une illusion idéaliste dont il nous fautdénoncer les lacunes et les dangers.
— 1° Lacunes : car cet idéalisme méconnaît les conditions concrètes danslesquelles se pose toujours le problème politique.
« Une politique exclusivement a priori est insuffisante et incomplète; sût-on, sans crainte de se tromper, quel est le mieux et quel est le vrai en politique, il y aurait encore à consulterles aptitudes des peuples, les moeurs et les moyens dont on peut disposer pour faire le bien.
» On ne part pas icid'une table rase, mais d'un donné préexistant avec lequel il faut compter : le peuple qu'il s'agit de gouverner, sontempérament propre, son histoire, ses coutumes, ses traditions, etc.
On sait que MONTESQUIEU, au début del'Esprit des lois (liv.
I, chap.
III), pose en principe que les lois politiques et civiles de chaque nation « doivent êtretellement propres au peuple pour lequel elles sont faites que c'est un très grand hasard si celles d'une nationpeuvent convenir à une autre ».
Il y a là un élément de détermination qui ne relève pas de la morale pure.
— 20Mais cette conception présente aussi des dangers, qui ne sont pas sans analogie avec ceux de la conceptionopposée.
« Rien de plus séduisant, au premier abord; que cette doctrine : l'État doit faire régner la vertu ; rien deplus dangereux dans l'application.
Si la fin de l'État est la vertu, il va sans dire que le citoyen ne saurait être tropvertueux et, par conséquent, l'État trop scrupuleux et trop vigilant.
Voilà l'État qui intervient dans la viedomestique, dans la vie privée, dans la conscience même » (JANET, ouv.
Cité, p.
Lxxx).
Rappelons d'ailleurs que, siles auteurs anciens ont souvent identifié politique et morale, c'était précisément parce que l'antiquité n'avait pas.
»
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