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Platon, Phédon, 60b-c, trad. M. Dixsaut, GF-Flarnmarion.

Publié le 18/03/2015

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platon

La chaîne de Socrate

Socrate se redressa alors pour s'asseoir sur son lit, replia la jambe, se mit à la

frotter longuement de la main, et, tout en la frottant : « Quelle chose déconcertante,

mes amis, dit-il, semble être ce que les hommes appellent l'agréable, et quel étonnant

rapport sa nature entretient avec ce qu'on tient pour être son contraire, le

pénible: en l'homme, aucun des deux ne consent à coexister avec l'autre, mais si

on poursuit l'un et qu'on l'attrape, on peut presque dire qu'on est obligé d'attraper

toujours aussi l'autre; comme si, bien qu'étant deux, ils étaient attachés à une

unique tête. « Et il ajouta : « Il me semble que si Ésope avait réfléchi à cela, il en

aurait fait une fable: le dieu, voulant faire cesser cette guerre entre eux et ne pouvant

y parvenir; attacha leurs deux têtes pour en faire un seul morceau. Moralité:

quand l'un vous arrive, l'autre accourt à sa suite. Voilà justement qui paraît bien

être mon cas : dans ma jambe, à cause de la chaîne, il y avait le douloureux et, à

présent, c'est l'agréable qui semble venir à la suite.«

Platon, Phédon, 60b-c,

trad. M. Dixsaut, GF-Flarnmarion.

platon

« La chaîne de Socrate 121 rappelle à l'âme qu'elle est aussi expression du corps : elle ne se délie de lui que par un effort.

Cela est vrai même lorsque le corps lui-même s'épanouit suffisamment, et qu'elle en accom­ plit la puissance d'agir par la puissance de comprendre qu'elle manifeste.

La blessure est morale autant que physique, car elle manifeste un monde hostile ou simplement difficile à vivre.

« La joie venait toujours après la peine » (Apollinaire).

La chaîne, lourde et froide aux membres meurtris, avait peu à peu créé sa propre accoutumance.

Elle se faisait oublier, comme les maux avec lesquels on apprend à vivre.

Mais voilà qu'on l'a ôtée.

Le corps est restitué à sa liberté native, le mou­ vement à son aisance.

Plaisir.

Et sur la chair délivrée, ne demeure que l'esquisse d'une trace muette, cicatrice où survit la mémoire de la souffrance qui fut.

Douleur et douceur de l'agrément qui vient surprendre apparaissent mystérieusement liées.

Il en est de même, dans l'autre sens, pour la maladie qui ajourne la santé.

Se révèle alors, au-delà de son élision, le bien que l'on possédait sans le savoir.

Héraclite: « C'est la maladie qui fait la santé agréable et bonne, comme la faim la satiété, la fatigue le repos.

» Les tourments et les fluctuations de la puissance d'agir, périodiquement muée en puissance de pâtir, peuvent-ils avoir raison de la force propre de penser? Celle-ci s'est inscrite dans une sorte d'histoire intérieure, où l'expérience vécue se fait mémoire d'elle-même.

Elle a donc une autre temporalité que l'instant qui submerge et semble offusquer l'avenir par son poids de détresse.

La distance à soi, décalage des temps, est le rappel du deve­ nir comme succession et alternance : douleur et plaisir, peine et joie, s'y enchaînent pour le meilleur et pour le pire.

Un jour survient l'interrogation sur le sens final de toute cette succes­ sion.

L'effort de volonté pour s'échapper de l'instant, si le mal subi le permet encore, en relativise la vio!ence par le rappel des autres moments de la vie.

Ainsi, selon Epicure, le souvenir des jours heureux tempère-t-il les souffrances présentes et peut-il faire la douceur de l'âge avancé.

La mémoire intérieure est délivrance, qui joue la temporalité de la conscience contre l'obsession du jour.

Remémorée, la succession des contraires ne soulage pas le corps tant qu'il subit et qu'il souffre.

Mais elle fait valoir un autre registre de l'existence, qui la rend proprement humaine.

La pensée du devenir et de l'alternance qui le rythme a bien. »

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