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Platon: Réfutation er Persuasion

Publié le 30/04/2005

Extrait du document

platon
Socrate : Bienheureux Polos, tu essais de me réfuter avec des preuves d'avocat, comme on prétend le faire dans les tribunaux. Là, en effet, les avocats croient réfuter leur adversaire quand ils produisent à l'appui de leur thèse des témoins nombreux et considérables et que leur adversaire n'en produit qu'un seul ou pas du tout. Mais cette manière de réfuter est sans valeur pour découvrir la vérité, car on peut avoir contre soi les fausses dépositions de témoins nombreux et réputés pour sérieux. Et dans le cas présent, sur ce que tu dis, presque tous les Athéniens et les étrangers seront du même avis que toi, si tu veux produire des témoins pour attester que je ne dis pas la vérité. Tu feras déposer en ta faveur, si tu le désires, Nicias, fils de Nicératos, et avec lui ses frères, dont on voit les trépieds placés à la suite dans le sanctuaire de Dionysos ; tu feras déposer, si tu veux, Aristocratès, fils de Skellios, de qui vient cette belle offrande qu'on voit à Pytkô, et, si tu veux encore, la maison entière de Périclès, ou telle autre famille d'Athènes qu'il te plaira de choisir. Mais moi, quoique seul, je ne me rends pas, car tu ne me convaincs pas ; tu ne fais que produire contre moi une foule de faux témoins pour me déposséder de mon bien et de la vérité. Moi, au contraire, si je ne te produis pas toi-même, et toi seul, comme témoin, et si je ne te fais pas tomber d'accord de ce que j'avance, j'estime que je n'ai rien fait qui vaille pour résoudre la question qui nous occupe, et que tu n'as rien fait non plus, si je ne témoigne pas moi-même, et moi seul, en ta faveur et si tu ne renvoies pas tous ces autres témoins. Il y a donc une manière de réfuter, telle que tu la conçois, toi et bien d'autres ; mais il y en a une autre, telle que je la conçois de mon côté. Platon

1. Socrate, s'adressant à Polos, met en cause sa manière de concevoir la réfutation.  2. Il évoque la manière dont cela pourrait se passer « dans le cas présent «.  3. Mais il y a, explique Socrate, une autre manière de réfuter qui disqualifie cette façon de faire.  

platon

« vérité n'est ni affaire de nombre ni de célébrité.

En fait ce n'est pas même une affaire de témoin.3.

Dans cette opposition, que nous avons déjà perçue, entre tous et un seul, Socrate est ce seul : « Mais moi,quoique seul, je ne me rends pas.

» Etre seul pourrait apparaître comme une faiblesse, le tous faisant une force.D'autres que Socrate, certes, pourraient se soumettre, pourraient abandonner.

Mais la fiction du dialogue, l'amourde son élève Platon, lui permettent ici de continuer, dans un univers qui ne relève pas du réel, mais du rationnel.Socrate a raison.

Ce n'est pas lui qui sera convaincu.

L'art de la persuasion n'a pas d'effet sur lui.

Le mot est lâché.Ces témoins, aussi prestigieux pourraient-ils être, sont de faux témoins.

Pire, ce sont des spoliateurs qui veulent «me déposséder de mon bien et de la vérité ».Mais, dans son accusation, Socrate va peut-être trop loin.

Excès qui parodie l'emphase rhétorique des plaideurs.Comment pourrait-on lui dérober ce qui existe en soi : la vérité ? Sinon que, si on laisse faire, ce sera le faux quil'emportera sur le vrai.

Alors Socrate s'avance seul et personnifie à outrance le débat : « Moi [...] je ne me rendspas » ; « moi, au contraire » ; avec une avalanche de je : « je ne me rends pas », « j'avance », « j'estime », etc.A l'opposé de Polos qui, par hypothèse, se réfugiait prudemment derrière tous ses témoins : Athènes en son entier,et même ses étrangers ! Mais si tous les témoins sont de faux témoins, le bon sens et la justice veulent qu'on lesécarte.

On ne peut qu'être d'accord sur ce point.

Alors, de même que Socrate est seul (il était déjà seul), Polosaussi, tout à coup, reste seul.

Donc il n'y a plus, en face à face, que Polos et Socrate.

D'où l'interpellation forte dePolos par Socrate qui se marque par le tutoiement répété.

Et à discrétion de Socrate, le soudain basculement.

S'iln'y a que moi (Socrate) et toi (Polos) qui restent, alors moi, Socrate, je prends l'initiative.

Je ne suis plus celui quiest accusé.

Je décide que Polos passe d'accusateur à la position de témoin.

Qu'il soit, au prix d'un effort, montémoin : « si je ne te produis pas toi-même, et toi seul, comme témoin [...] j'estime que je n'ai rien fait qui vaille ».Et moi-même, Socrate, qui n'est pas en réalité l'adversaire de Polos, je suis prêt à devenir ton témoin (« si je netémoigne pas moi-même, et moi seul, en ta faveur »).Croisement des positions où les rôles s'échangent.

Ce qui est tien est mien, ce qui est mien est tien.

Nous sommesmutuellement témoins d'une même chose (et voilà pourquoi les rôles peuvent s'échanger), la plus importante detoutes : la vérité.

Témoins identiques de la même vérité, car la vérité est une, et ne connaît pas les parti pris.Une fois la vérité reconnue, ou tout au moins une fois reconnu que nous cherchons en commun la vérité, qu'a-t-onà faire des témoins, vrais ou faux ? Persuadé d'emporter l'adhésion de Polos, sans avoir à recourir à des procédésrhétoriques de persuasion, Socrate est sûr que Polos renverra « tous ces autres témoins », qui ne témoignent pasde la vérité, qui ne témoignent pas pour rechercher la vérité.Ainsi Socrate vient-il de démontrer qu'il y a deux voies de la réfutation.

Celle qui a la majorité pour elle (« toi et biend'autres »).

L'autre qui a la vérité pour elle.

C'est la voie choisie par Socrate.

Suspendu un instant, le dialogue vapouvoir reprendre.

Intérêt du texte Le texte est un moment de la démonstration par Socrate qu'il vaut mieux subir l'injustice plutôt que la commettre.Ce qui oppose Polos et Socrate, c'est la question du critère du vrai.

Pour Polos, habitué des tribunaux, est vrai cequi emporte l'adhésion des témoins.

Pour Socrate, le critère du vrai, c'est la vérité elle-même.

Voilà pourquoi le seulobjectif de Socrate est d'obtenir l'adhésion de Polos, non parun art subtil de persuader, mais par l'échange d'arguments rationnels. Conclusion On voit donc, de manière implicite, affirmer une thèse fondamentale de Socrate : nous pouvons, chacun d'entrenous, accéder au vrai.

Soit en nous débarrassant de nos erreurs et de nos préjugés, soit en exerçant notre propreréflexion sous la conduite de la maïeutique socratique.Ainsi la vérité existe-t-elle, et nous pouvons tous, au prix il est vrai d'un réel effort, y accéder. Mise en question On sait que Socrate a été condamné à mort par les juges d'Athènes pour corruption de la jeunesse et culte àd'autres dieux qu'à ceux de la cité, et que la sentence a été exécutée au moment où Socrate, entouré de nombreuxdisciples, a levé sa coupe pour boire la ciguë fatale.La lecture de l'oeuvre de Platon doit se faire en ayant toujours ce fait présent à la mémoire.

Non seulement Platonrend hommage à son maître condamné, mais il condamne dans ses écrits ceux-là mêmes qui, d'une manière ou d'uneautre, ont contribué au jugement.

Cela met en perspective chacun des textes.

Malgré le talent de l'auteur, il nes'agit pas d'un reportage, mais d'une oeuvre de composition où la volonté polémique distribue d'avance le rôle despersonnages.

La réalité historique, et pourquoi pas la vérité philosophique, sont peut-être ailleurs.Ce texte nous invite à réfléchir sur le statut de la vérité.

On y retrouve l'opposition fondamentale entre le philosopheet le sophiste : le philosophe qui affirme que la vérité ou l'être est (et qu'on peut y accéder) et le sophiste quiaffirme que seul le discours peut engendrer l'être et donc la vérité.

Ce débat est toujours actuel, tout au moins ence qui concerne le fondement de nos lois, de nos institutions : sont-elles relatives à des décisions purementhumaines ou bien tirent-elles leur légitimité d'une transcendance ?. »

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