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POUR BIEN PENSER, FAUT-IL NE RIEN AIMER ?

Publié le 10/03/2004

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Une telle activité semble appeler une neutralité du sujet pensant, puisqu'il est sous-entendu que, pour bien exercer son jugement, il ne doit connaître aucun préjugé favorable à l'égard de ce qui s'offre à sa mesure.Ainsi le penseur devrait-il faire preuve de froideur et de désintérêt. Toute préférence signifierait pour lui le risque de perdre son «égalité d'âme» et, en raison même de son attachement, la proximité de l'aveuglement ou de l'injustice.A ce portrait idéal, sinon idéaliste, il est facile d'opposer la réalité de l'existence humaine : quel individu peut affirmer ne rien aimer? Le penseur, ou philosophe, est un homme parmi les autres, et, comme tout un chacun, il apprécie quelques plaisirs quotidiens. Il semble assez difficile d'affirmer qu'un amour, même anormal, de la tarte au citron viendra automatiquement fausser sa pensée (du moment, bien sûr, qu'il ne souffre pas d'indigestion).Plus sérieusement, et plus radicalement, celui qui prétend penser doit y trouver quelque satisfaction: bien penser implique, au minimum, l'amour de la pensée elle-même, qui peut devenir tel qu'il efface tous les autres.Mais aimer la pensée, c'est croire qu'elle n'est pas vaine et que le but qu'elle poursuit n'est pas illusoire.De ce point de vue, l'exercice de la pensée correcte ou bien menée ne peut avoir lieu que si l'on préfère la vérité à l'erreur, ou le bien au mal. Faute de quoi il n'y a nulle raison de vouloir bien penser.

« [Ressentir de l'amitié pour un penseur peut nous éloignerde la vérité.

Quant à l'amitié portée à un non-philosophe, elle comporte le risque d'être inconstante et de compromettre la raison.] Il faut garder son indépendance de jugementL'admiration qu'un penseur est susceptible de témoigner à tel ou tel grand philosophe peut nuire àl'indépendance de son jugement.

Platon ou Aristote ont beau être deux grands noms de la penséeoccidentale, ils sont faillibles.

Il faut donc juger leurs idées selon qu'elles nous semblent vraies, et non selonl'amitié que nous portons à ces hommes. Il faut éviter les amitiés passagèresUn philosophe doit se garder des amitiés superficielles.

Elles ne peuvent que le détourner de sa tâche etl'éloigner de la vertu.

En effet, les amitiés superficielles sont fluctuantes.

Elles évoluent selon lescirconstances.

Tantôt nous sommes aimés parce que la fortune nous sourit, tantôt l'on se détourne de nous. Même les grandes amitiés comportent des risquesL'amitié profonde n'est pas sans inconvénient.

Si elle résiste aux circonstances, elle peut être dangereusepour le philosophe dans la mesure où elle induit certaines actions opposées à la vertu.

Cicéron, dans sonLelius, met en évidence ce conflit moral que connaît le philosophe lorsqu'il doit choisir entre les devoirs del'amitié et la vertu. [ L'amitié n'est pas forcément une entrave à la pensée philosophique.

En effet, comme le montre Aristote, l'amitié fondée sur la vertu repose elle-même sur la recherche du Bien et du Vrai.] Aristote, dans l'Éthique à Nicomaque, concède que l'amitié, le plus souvent, est néfaste.

En effet, explique-t-il, l'amitié est le plus souvent fondée sur l'utilité ou le plaisir.

Elle ne peut donc être que superficielle.Cependant, Aristote évoque une troisième sorte d'amitié, fondée cette fois sur la vertu, qui ne représenteaucun danger pour le philosophe. « La parfaite amitié est celle des hommes bons et semblables envertu.

Chacun veut du bien à l'autre pour ce qu'il est, pour sa bontéessentielle.

Ce sont les amis par excellence, eux que ne rapprochentpas des circonstances accidentelles, mais leur nature profonde.

Leuramitié dure tout le temps qu'ils restent vertueux, et le propre de lavertu en général est d'être durable.

Ajoutons que chacun d'eux est bondans l'absolu et relativement à son ami, bon dans l'absolu et utile à sonami, bon dans l'absolu et agréable à son ami.

Chacun a du plaisir à sevoir soi-même agir, comme à contempler l'autre, puisque l'autre estidentique, ou du moins semblable à soi.Leur attachement ne peut manquer d'être durable : il réunit, en effet,toutes les conditions de l'amitié.

Toute amitié a pour fin le bien ou leplaisir, envisagés soit absolument, soit relativement à la personneaimée, et supposant alors une ressemblance avec elle, une similitudede nature, une parenté essentielle.

De surcroît, ce qui est bonabsolument est aussi agréable.

L'amitié atteint au plus haut degréd'excellence et de perfection chez les vertueux.Mais elle est fort rare : les personnes qui en sont capables sont fortpeu nombreuses.

D'autant qu'elle demande du temps et des habitudescommunes.

» ARISTOTE, « Ethique à Nicomaque », livre VIII.. »

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