Pourquoi respecte-t-on les oeuvres d'art ?

Il n'est pas demandé ici s'il faut respecter les œuvres d'art, mais simplement pourquoi on les respecte. Pour mener à bien cette réflexion, il sera sans doute utile de s'interroger sur ce «on« qui respecte les œuvres d'art : a-t-il ou non une acception universelle ? Le respect que l'on accorde aux œuvres d'art a-t-il chez tous le même sens ? Procède-t-il toujours des mêmes valeurs ? On pourra notamment réfléchir sur ces questions à partir de l'approche sociologique des valeurs artistiques. P. Bourdieu voit dans ces dernières un système symbolique de distinction et de domination d'une classe sociale sur les autres, la quasi-sacralisation d'une culture et de ses valeurs artistiques déterminées, visant à persuader les classes dominées, non productrices de cette culture du bien-fondé de leur domination par la classe dominante maîtrisant cette culture, qui n'est que la sienne, mais qu'elle présente comme absolue et universelle. Dans ces conditions, le goût esthétique constitue une dimension de l'ethos d'une classe spécifique, c'est-à-dire un système de valeurs caractéristique de la classe à laquelle appartient l'individu, système intériorisé au point qu'il peut passer pour «naturel«, «spontané«, «immédiat«, voire «inné« aux yeux de celui qui le déploie sans hésitation dans ses jugements et dans ses pratiques. Ainsi, la longue fréquentation de certaines œuvres d'art, jamais vécue sur le mode de l'apprentissage, la familiarité qu'elle suppose, peuvent produire chez un être cette sûreté de goût, ce sens de la contemplation, cette aisance du jugement qui caractérisent les «gens de goût«. Au contraire le «manque de goût« des classes populaires doit être compris comme la présence d'un «goût« qui ne doit rien non plus à la nature, mais qui traduit des valeurs caractéristiques de certaines classes sociales, telles que le travail bien fait, intense ou long, le respect de ce qui est déjà célèbre, etc.