Quelles ressemblances et quelles différences y a-t-il entre « se souvenir e et imaginer dans les diverses acceptions de ce mot?

rencontré hier dans la rue «, sans avoir une vision, même vague, ni de Pierre ni du fond sur lequel il m'apparut. Ici encore, nous avons un simple souvenir, un savoir à peu près pur.

Mais, si peu que je prolonge ce retour en arrière vers un passé dont j'ai été le témoin, surtout vers un passé récent, le souvenir va se doubler d'images. Non content de me rappeler avoir croisé Pierre dans la rue, je le verrai tel qu'il 'n'apparaît habituellement, peut-être même tel que je l'aperçus à un endroit précis de la rue, par exemple à la hauteur d'un magasin d'alimentation à l'étalage duquel je vois une pile de beaux pieds do céleri surmontée d'une étiquette portant : « 10 fr. •10 le kilo «.

Ces deux modes de rappel sont relativement indépendants l'un de l'autre : il est des individus doués d'une excellente mémoire et qui, cependant, ne parviennent pas à revoir les scènes dont ils ont eu le spectacle. L'image est plus capricieuse que le savoir. Ce dernier répond assez docilement à l'appel et normalement reste présent à l'esprit autant qu'on le désire. L'image, au- contraire, se fait souvent attendre; elle s'éclipse au moment où nous croyons la tenir, ou s'obstine à revenir à l'esprit alors qu'elle nous est importune. Si je me rappelle à volonté Page de Pierre, son adresse et son numéro de téléphone, je n'évoque pas son visage comme je veux. Souvent, durant plusieurs secondes, il résiste à mes efforts pour l'amener devant mon oeil intérieur. Tout à coup, sans que rien l'annonce, il émerge du néant, assez vague sans doute, mais produisant une étonnante impression de réalité et de vie. Puis, fatigué peut-être par cet effort, je le laisse échapper, ne conservant plus que mon savoir sur Pierre.

Ainsi le savoir est comme l'armature de la mémoire. C'est lui qui met entre les images les relations qui en font un ensemble cohérent. C'est lui qui rend possible les évocations volontaires. Sans lui, les images du passé nous apparaîtraient dans une inextricable confusion, n'ayant ni avant, ni après, situées seulement dans le vaste domaine du passé.