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Qu'est-ce qu'avoir le temps ?

Publié le 07/08/2009

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Qu'est-ce qu'avoir le temps ?

La formule courante " avoir le temps " possède manifestement une signification évidente pour tout un chacun. Par là, nous voulons signifier que nous disposons d’un temps libre pour réaliser telle ou telle activité dont nous avons le projet ou que nous avons programmée. Nous ne voulons pas signifier que nous possédons le temps au sens où nous en aurions la propriété. On peut donc écarter cette interprétation : elle n’est jamais réellement impliquée dans la formule " avoir le temps ".

Il s’agit simplement de désigner la possibilité prévisible de l’usage d’une durée ou encore un choix disponible. Plus précisément, avoir le temps désigne à la fois l’ouverture de plusieurs possibilités d’une part et d’autre part la possibilité de choisir l’ordre de ces possibilités. La formule présuppose donc d’un côté la maîtrise du temps à venir, de l’autre côté une liberté d’action, celle-ci présupposant celle-là. Elle est donc significative dans l’ordre de la représentation et dans l’ordre de l’action.

Or il y a bien une difficulté. Si les outils sociaux ou techniques de prévision sont fonctionnels, la question se pose de savoir comment est possible cette disponibilité du temps à venir. En effet disposer de " temps libre " n’est pas un simple état de conscience. Cela requiert à la fois la possession d’une représentation de l’avenir, du temps futur proche, et la certitude que le reste du monde laissera exister cette zone spatio-temporelle. C’est donc une forme de croyance. Quelles sont les facultés psychiques, subjectives, d’une part et les conditions mondaines, extérieures, objectives, d’autre part, nécessaires à une telle conscience ? Quel est le fondement d’une telle croyance ?

D’autre part, ce temps disponible correspond souvent à un temps libre. Il est donc valorisé. Or d’une part, ce temps libre est perdu s’il n’est pas occupé ni utilisé. D’autre part, cette valeur positive s’appuie sur une croyance convertie en certitude. Quel rapport cette idée heureuse du temps disponible entretient-elle avec l’idée de liberté ? Que doit être la liberté pour qu’on puisse voir en une telle croyance une expérience de liberté ou une condition de la liberté ?

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« Ce travail psychique n'est pas sans relation avec les opérations que Nietzsche croit pouvoir discerner dans cet acteque nous croyons simple, la promesse.

Nietzsche écrit ceci : " Cet animal nécessairement oublieux, pour qui l'oublireprésente une force, la condition d'une santé robuste, a fini par acquérir une faculté contraire, la mémoire, à l'aidede laquelle, dans des cas déterminés, l'oubli est suspendu, à savoir dans les cas où il s'agit de promettre : il nes'agit nullement là de l'impossibilité purement passive de se délivrer d'une impression du passé, nullement d'uneindigestion causée par une parole donnée, dont on arrive pas à se débarrasser, mais bien d'une volonté active de ne pas se délivrer, d'une volonté qui persiste à vouloir ce qu'elle a une fois voulu, à proprement parler d'une mémoire de la volonté (...).

Mais que de conditions cela n'exige-t-il pas ! Pour pouvoir à ce point disposer à l'avance de l'avenir, combien l'homme a-t-il dû d'abord apprendre à séparer le nécessaire du contingent, à penser sous lerapport de la causalité, à voir le lointain comme s'il était présent et à l'anticiper, à voir avec certitude ce qui est butet ce qui est moyen pour l'atteindre, à calculer et à prévoir - combien l'homme lui-même a-t-il dû d'abord devenirprévisible, régulier, nécessaire, y compris dans la représentation qu'il se fait de lui-même, pour pouvoir finalement,comme le ferait quelqu'un qui promet, répondre de lui-même comme avenir ". L'élément nouveau dans la promesse est la mémoire, c'est-à-dire la différenciation dans le temps, l'éloignement dansle temps, de la tension originaire et de l'acte.

Ce mouvement spécifique exige la conservation de l'impulsion dans lavigueur de son surgissement.

Or précisément si la vigueur du surgissement se transforme en action, les affects qui ysont liés sont d'autant plus converti en sentiment de puissance que la décharge est proche du surgissement du jeveux initial ; de telle sorte que la volonté est puissante et source de bonheur dans la mesure où elle se déploie dansle présent.

Or la promesse exige une auto détermination de la volonté, mais telle que du temps doit s'écouler entrele moment du je veux initial et celui de l'acte.

Ainsi la proposition selon laquelle la promesse exige " une mémoire duvouloir " devient compréhensible.

Il ne peut être compris au sens du génitif objectif : la mémoire ne se souvient pasde quelque chose comme un vouloir, ce n'est pas la mémoire qui a pour objet un vouloir.

Il doit être compris plutôtau sens du génitif subjectif.

C'est bien plutôt la volonté, plus précisément le vouloir qui a une mémoire, le vouloir quiest le sujet de la mémoire.

C'est le vouloir qui se dote d'une mémoire, qui crée une mémoire.

Cette mémoire consistedans une réitération de l'acte de vouloir quelque chose, dans un vouloir qui s'oppose à la perte provoquée par l'oubliet un vouloir de nouveau de ce qui est voulu.

Cette mémoire n'est nullement une faculté de conservation mais bienplutôt la pure et simple répétition sans cesse réitérée de l'acte de vouloir, du moins de la partie de l'acte de vouloirqui précède le passage à la réalisation effective. Que la mémoire soit une réitération d'actes de vouloir, cela est confirmé par le modèle technique d'intelligibilité de lachaîne.

Cette "longue chaîne du vouloir" signifie que chaque anneau est la répétition, le recommencement de l'actede vouloir un quelque chose voulu par le vouloir précédent.

Le trait particulier de cette série est qu'elle estinconsciente : elle se déroule ailleurs que dans le champ de la conscience de telle sorte que d'autres actes devolonté, d'autres représentations peuvent occuper le champ de la conscience (Cf.

p.

60, lg.

25-30).

D'une certainemanière l'objet de la promesse est oublié au sens où il n'est plus dans le champ immédiat de la conscience mais estremis à la volonté.

Ainsi la mémoire est un phénomène du vouloir, un phénomène tel que le quelque chose vouluparce que promis sort de la conscience, est oublié par elle.

Le passage de l'action promise de la conscience auvouloir inconscient est donc un oubli en un tout autre sens que celui établi au début du paragraphe. La théorie nietzschéenne de la mémoire s'appuie sur la possibilité pour la volonté d'être multiple.

Une chaîne devolonté peut commencer consciemment à un moment donné, puis devenant inconsciente, peut laisser la place àd'autres actes de volonté.

Cela suppose d'abord que la volonté n'est pas un phénomène nécessairement conscient ;d'autre part qu'elle est multiforme de telle sorte que ces formes peuvent coexister chacune pour soi, de son côté.Tout se passe comme si les pulsions multiples et les affects étaient chacun une force tendant, pour reprendre uneexpression de Spinoza, à persévérer dans l'être.

Du coup le concept de vouloir apparaît comme un conceptontologique, qui désigne la tendance à l'existence pour toute forme de représentation psychique.

Cette tendance àexister est indifféremment de l'ordre de la représentation et de l'ordre de l'action ; ce concept du vouloir tend àeffacer la différence classique entre le théorique et le pratique. Le texte finit sur les présupposés de cette théorie de la mémoire : "Mais qu'est-ce que tout cela présuppose ! ".

Ildonne simplement quelques indications.

L'acte de promettre ne présuppose pas seulement un vouloir réitératif, maisaussi des facultés qui interviennent dans la constitution de la connaissance théorique et la formation de conceptsthéoriques : le couple de concepts nécessaire/contingent, la pensée causale ("causal denken"), l'anticipation, lecouple de concepts fin/moyen.

"Penser causalement" (p.

60, lg.

34-35), c'est penser selon le concept de cause quiest un concept temporel comme l'a montré Kant dans la deuxième analogie de l'expérience.

Selon Nietzsche etcontre Kant, le concept de cause n'aurait nullement son origine dans l'entendement pur, dans la spontanéité dusujet en tant que sujet rationnel produisant ses concepts à partir de soi, mais bien plutôt dans la nécessitéempirique de se rendre capable de promettre, c'est-à-dire de disposer de soi dans l'avenir (p.

61 lg.

6-7), donc dansle bricolage psychique qui permet l'acte de la promesse. "Voir le lointain comme présent".

Enigmatique formule qui à l'avantage de permettre de tracer un lien avec lemécanisme de l'oubli qui est, rappelons-le, la condition de possibilité du présent.

Cette formule indique que lapromesse présuppose la capacité d'imaginer le présent à venir comme un présent actuel, penser le lointain dans letemps comme un présent ; donc de se représenter dans le présent un tout autre moment, à venir et essentiellementdistinct du moment présent. Or cela modifie profondément la façon de vivre le temps.

Que doit être le temps pour que chaque instant, actuel ouà venir, puisse se laisser penser dans le même moment ? II doit être tel que le moment actuel est homogène au. »

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