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Qu'est-ce qui fait obstacle au progrès des sciences ?

Publié le 18/01/2004

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Nous appelons les esprits à la convergence en annonçant la nouvelle scientifique, en transmettant du même coup une pensée et une expérience, liant la pensée à l'expérience dans une vérification: le monde scientifique est donc notre vérification. Au-dessus du sujet, au delà de l'objet immédiat la science moderne se fonde sur le projet. Dans la pensée scientifique la méditation de l'objet par le sujet prend toujours la forme du projet.[...] Déjà l'observation a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision de sorte que ce n'est jamais la première observation qui est la bonne. L'observation scientifique est toujours une observation polémique; elle confirme ou infirme une thèse antérieure.Naturellement dès qu'on passe de l'observation à ExPERIMENTATION : Montage technique visant à la production artificielle de phénomènes dans des conditions déterminées, en vue de contrôler la validité d'une hypothèse. l'expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments... Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toute part la marque théorique.

Faire obstacle, c’est empêcher un processus de se développer, c’est lui retirer les conditions qui lui permettraient d’avancer, que ce soit consciemment ou non. Les obstacles peuvent être internes au processus lui-même. Le processus dont le développement est ici en question, c’est celui de la science, c’est-à-dire, en un sens très général, de la constitution systématique d’un savoir rationnel sur le monde. La notion de progrès renvoie justement à ce développement de la science, à cette conception de la science comme processus en mouvement. Le mot science est ici employé au pluriel : il renvoie aux divers domaines de la science, comme les mathématiques, la physique, la biologie, aussi bien qu’à la science en général, en tant que mode rationnel de construction de la connaissance. La question est alors de définir les éléments qui peuvent entraver la marche de la science, que ces éléments proviennent de la science elle-même ou qu’ils lui soient extérieurs. L’histoire des sciences montre que le progrès des sciences est parfois difficile, parfois lent. A quoi faut-il imputer cette difficulté ? Deux possibilités : ou bien les obstacles sont internes aux sciences, ou bien ils leur sont externes. Quels sont les obstacles internes ? Les sciences dans leurs progrès demandent des techniques de plus en plus poussées, et il peut arriver que les avancées théoriques soient plus rapides que les avancées techniques – les obstacles à la science peuvent alors être simplement matériels. Mais les sciences sont aussi un ensemble de discours régis par certaines normes – Michel Foucault dans l’Ordre du discours montre ainsi comment on ne peut pas avancer n’importe quelle vérité à n’importe quel moment, que les époques ont leurs contextes mentaux qui ne leur permettent pas forcément d’accepter une chose qui est pourtant scientifiquement vraie. Les sciences peuvent alors être freinées par des normes qui leur sont internes même si elles ne sont pas liées proprement aux contenus scientifiques. Cette importance des contextes et des mentalités peut se retrouver dans le domaine des obstacles extérieurs aux sciences : ainsi, des instances qui ne travaillent pas sur les sciences peuvent influer sur les développements scientifiques en les jugeant de telle ou telle manière : l’Eglise a pendant longtemps surveillé et censuré des résultats scientifiques pourtant exacts parce qu’il n’étaient pas en accord avec les Ecritures. On pourra s’interroger de la même manière sur le rôle des instances qui travaillent avec les scientifiques mais qui ne sont pas proprement scientifiques pour établir des règles éthiques de la science. Ces quelques pistes doivent permettre de mener une réflexion tant sur la simple existence que sur les conséquences, le rôle et l’utilité des obstacles aux sciences.

« • Dans sa Loi des trois États, Auguste Comte souligne à sa façon le caractère tardif de la connaissance scientifique.

Plus près de nous,Gaston Bachelard a longuement analysé les éléments qui freinent la "formation de l'esprit scientifique", montrant notamment à quel pointl'expérience première, l'induction hâtive, la confiance anticipée dans les pouvoirs de la raison, etc., ont été des obstaclesépistémologiques sérieux.

Mais une fois constituées, les sciences ne progressent pas sans difficulté.

Il est donc tout a tait justifié des'interroger sur ce qui vient ainsi freiner leur progrès.• Bachelard, mais cette fois dans La Philosophie du non et non plus dans La Formation de l'esprit scientifique, a également étudié la façondont une discipline scientifique, une fois constituée, a éventuellement bien du mal à se remettre en cause.

C'est que la raisonscientifique, même si on l'admet comme la version la plus efficace de la raison, reste attachée à ses premières vérités : elle a donctendance à leur accorder une trop grande confiance, et éprouve dès lors quelque difficulté à revenir sur ce qu'elle tenait pour acquis.

Bienentendu, ce qui est ainsi nommé « la raison scientifique» n'a d'existence que dans les scientifiques eux-mêmes, et c'est en quelque sortela tendance propre à leur esprit qui freine ainsi le progrès du savoir.• Si l'on admet avec Bachelard que l'évolution des concepts scientifiques est dialectique, et qu'elle va de pair avec une évolution de laraison elle-même et des conceptions philosophiques qui la soutendent, il est parfaitement compréhensible qu'une vérité scientifique, une?bis établie (démontrée), puisse être affirmée comme définitive et, par définition en quelque sorte, universelle.

Ainsi, la physiquenewtonienne apparaissait d'autant plus porteuse d'une vérité absolue qu'elle correspondait de surcroît à un système géométrique (celuid'Euclide) initialement reconnu comme le seul concevable.

Pour que cette mécanique classique laisse place à celle d'Einstein et à uneconception relativiste, il était donc nécessaire que fût d'abord admise la possibilité d'une pluralité des systèmes géométriques ; or lareconnaissance de la validité des systèmes non-euclidiens n'alla pas sans mal, dans la mesure où leur existence fut d'abord comprise,soit comme une curiosité logique sans retombées, soit au contraire comme signifiant la caducité du système euclidien.

Ces deuxconceptions n'étaient pas fondées, mais on peut (on doit, en fait) admettre qu'elles se justifiaient psychologiquement, y compris dans lesmilieux scientifiques, par la difficulté qu'impliquait de renoncer à l'unicité d'un système dont certains philosophes classiques (les cartésiensnotamment) n'avaient pas hésité à affirmer qu'il avait été défini par Dieu !• Il apparaît ainsi que tout progrès dans une science peut exiger une refonte, non seulement de cette discipline elle-même, mais aussi deconceptions plus générales (mathématiques et logiques) que sous-entend n'importe quelle science.

Comme par ailleurs les sciencesnaguère dites expérimentales se transforment de plus en plus en sciences théoriques travaillant à partir de modèles mathématiques plussouvent qu'à partir de protocoles expérimentaux, c'est aux mathématiques qu'il appartient, si l'on peut dire, de faire les premiers paspour suggérer des schémas de compréhension aux autres disciplines.

Auguste Comte, dans sa classification des sciences, affirmait ladépendance de chaque discipline à l'égard de sa précédente : l'évolution des sciences en confirme au moins une dépendance générale àl'égard des mathématiques, auxquelles revient désormais la tâche de suggérer des directions de recherches assurant d'éventuels progrès.• À ces obstacles internes à l'esprit scientifique même constitué viennent s'ajouter des difficultés d'une tout autre origine.

C'est ce que l'onconstate lorsqu'un pouvoir politique prétend diriger les recherches et désire des résultats dans telle discipline plutôt que dans telle autre.L'idéologie du pouvoir peut alors peser particulièrement lourd sur les progrès du savoir.

Un exemple presque caricatural est ici fourni parl'état de la recherche soviétique sous le régime stalinien.

Outre que ce dernier se faisait fort de distinguer une science « bourgeoise »(forcément négative) d'une science « prolétarienne » (forcément positive), et ce dans tous les domaines, de la linguistique aux...mathématiques, les attentes, mais aussi les encouragements qu'il put donner à certaines recherches orientées dans la direction qu'iljugeait la plus satisfaisante, et même la façon dont il imposa comme « vérités » des innovations qui ne résultaient que de vaguesexpérimentations très grossièrement menées, en génétique notamment (cf.

les travaux de Lyssenko) ont abouti, non seulement àimposer de monumentales erreurs, mais, plus gravement sans doute, à dégrader un milieu scientifique dans sa totalité.• Interdire certains travaux sous prétexte qu'ils ne vont pas dans l'intérêt immédiat du pouvoir, complémentairement imposer commenouvelles « lois » des résultats mal contrôlés n'est pas grave du seul point de vue de la vérité scientifique : cela aboutit à démembrer unecommunauté scientifique nationale, et il va de soi que les progrès de la connaissance peuvent s'en trouver ultérieurement très retardés(par suite, même si l'on ne va pas jusqu'à éliminer physiquement les chercheurs qui prétendraient rester « libres », d'une obligatoire fuitedes cerveaux à l'étranger).• Le progrès des sciences ne peut exister que si les chercheurs eux-mêmes jouissent d'une liberté complète, tant dans le choix de leursobjectifs que dans celui de leurs méthodes.

Cette liberté, que sans doute on veut bien affirmer, n'est pas toujours facile à garantir et cequel que soit, à la limite, le régime politique.

Car c'est la mentalité du public qui peut y faire obstacle : les recherches scientifiques sonthermétiques, mal diffusées, un peu mystérieuses ; l'histoire moderne s'est accomplie de telle façon qu'à l'image positive du « savant»(Pasteur) travaillant pour le bien de l'humanité (on oublie alors que Pasteur proposait sans trop de scrupules d'expérimenter sur descondamnés...) s'est substituée une image beaucoup plus ambiguë, selon laquelle la science peut également être nocive.

Dès lors, il estconcevable que l'opinion, par le jeu de ses représentants légaux, en vienne à se préoccuper de ce qui se passe dans les laboratoires et semêle de contrôler ce qui peut s'y produire...• Cette dernière situation peut sembler assez hypothétique, mais elle a au moins l'avantage de rappeler que les scientifiques netravaillent pas à l'écart de tout environnement social, et que la vulgarisation de leurs travaux constitue un problème fondamental dans lessciences contemporaines.

Il ne s'agit pas seulement, d'ailleurs, de la vulgarisation visant le grand public, mais plus radicalement, del'échange nécessaire des informations sur les travaux en cours entre laboratoires ou groupes scientifiques.• Les sciences sont spécialisées aujourd'hui dans la recherche, à un point tel que seules quelques équipes dans le monde peuventtravailler sur un même problème : il leur devient dès lors essentiel d'échanger le maximum possible d'informations concernant aussi bienleurs techniques que les résultats déjà acquis.

On comprend aisément que cela ne peut que faciliter ou accélérer la découverte finale.

Orl'échange d'informations se heurte à deux difficultés principales.

La première est purement technique : elle concerne l'organisation descongrès, la diffusion des revues scientifiques, la rédaction des articles faisant le point sur les recherches.

Même si l'on fait abstraction dessusceptibilités nationales (dans quelle langue publier ?), on se heurte rapidement à des problèmes d'ordre financier : les voyages, lesséminaires, les publications doivent être financés ; et il est clair que le financier (qu'il soit public ou privé) aura tendance à privilégier leschercheurs ou les laboratoires dont les travaux laissent espérer quelques retombées économiques.• C'est cette même réalité économique que l'on rencontre, mais de façon plus brutale, dès que l'on envisage la mise en commun desinformations sur la recherche.

Cette dernière, qui suppose de nos jours des investissements réellement considérables dans pratiquementtous les secteurs, est fréquemment sanctionnéepar le dépôt d'un brevet réservant à un laboratoire l'exclusivité des droits d'exploitation de sa découverte.

Dès lors, c'est le secret quientoure la recherche au lieu de la communication avec des collèges ayant figure de concurrents : chaque groupe travaille en priorité pourlui-même, quitte à refaire les mêmes erreurs qu'un autre et à ce que la découverte soit d'autant plus retardée.

Ce qui Freine alors leprogrès, c'est très simplement le fait que la pratique scientifique s'effectue nécessairement dans un monde dont ne sont jamais absentsles intérêts financiers.Alors que l'on répète volontiers que le monde contemporain est dominé par les sciences, on peut donc constater qu'une telle affirmationest purement idéologique : s'il y a des obstacles au progrès des sciences, c'est parce que celles-ci ne sont pas entièrement libres dansleurs démarches, mais demeurent nécessairement liées aux autres aspects (politiques, idéologiques, économiques) des sociétés où ellesse font.. »

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