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Rousseau: La nature est-elle une entrave à la liberté humaine ?

Publié le 16/03/2006

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Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant : mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre ; dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. La métallurgie et l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c'est l'or et l'argent, mais pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain ; aussi l'un et l'autre étaient-ils inconnus aux sauvages de l'Amérique qui pour cela sont toujours demeurés tels ; les autres peuples semblent même être restés barbares tant qu'ils ont pratiqué l'un de ces arts sans l'autre ; et l'une des meilleures raisons peut-être pourquoi l'Europe a été, sinon plus tôt, du moins plus constamment et mieux policée que les autres parties du monde, c'est qu'elle est à la fois la plus abondante en fer et la plus fertile en blé.

QUELQUES DIRECTIONS DE RECHERCHE    • Importance de la notion « qu'un seul pouvait faire «?  • Que signifie exactement ici avoir « besoin du secours d'un autre « ?  • En quoi peut-il être « utile à un seul d'avoir des provisions pour deux «?  • Comment comprenez-vous « le travail devint nécessaire «?  • Quels rapports entre « l'égalité disparut «, « la propriété s'introduisit «, « on vit bientôt l'esclavage et la misère «? A cause de qui (selon Rousseau) ?  • En quoi « le fer et le blé « ont-ils « perdu le genre humain « ? «selon Rousseau)?  • Que pensez-vous de l'affirmation selon laquelle c'est « la métallurgie et l'agriculture « et non « l'or et l'argent « qui ont « civilisé les hommes et perdu le genre humain «?  • Qu'est-ce qui est en jeu dans ce texte?  • En quoi présente-t-il un intérêt proprement philosophique?

Ce texte exprime une des idées cardinales de Rousseau: certaines formes de relations sociales et de civilisation ont perverti le comportement de l'homme. Libre et heureux tant qu'il était indépendant, il est devenu, en particulier avec l'apparition de la propriété, sujet à l'esclavage et à la misère.

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« La culture n'a nullement sa possibilité inscrite dans l'état de nature : elle est contingente et aurait pu ne pas être.Aucune nécessité de dépassement ne mine l'équilibre naturel, état heureux de l'homme hors de l'histoire.

II eût purester indéfiniment dans cet état si la pression du milieu ne s'était exercée sur lui.

Des hivers longs et rudes, desétés brûlants poussent les hommes à se grouper.

Les progrès insensibles des commencements conduisent à laconstitution d'un état social dont les sociétés primitives nous fournissent en quelque sorte l'image.

C'est l'enfanceheureuse de l'humanité.

Mais les germes de l'inégalité sont déjà présents et une deuxième révolution, due àl'apparition conjointe de l'agriculture et de la métallurgie, va en manifester les effets : apparition de la propriété, dela division du travail et naissance du droit positif.

A la plénitude édénique de l'état de nature succèdent maintenantle malheur et la violence, la séparation et le conflit.

Ce texte reçoit de la lecture du Contrat social un éclairageindubitable et nous permet de mieux comprendre la fonction normative du contrat légitime.

Même si les faits nemontrent jamais que des contrats iniques, le contrat véritable n'en est pas moins une norme universellement valable,seule susceptible de fonder un jugement sur un état social, quel qu'il soit.

Il permet de transformer un mouvementpassionnel de refus d'une société inégalitaire et injuste en une réfutation fondée en raison, à la fois scientifique etmorale. 1 - Idées principales du texte a) Description d'une genèseLe texte propose une reconstruction (théorique) de la mutation qui conduit l'homme à la civilisation et àl'organisation en société.

Elle s'organise autour d'un phénomène qui conditionne les autres : la division des activitésnécessaires à la satisfaction des besoins.

La coupure, selon Rousseau, se situe entre un état de société primitif,dans lequel la survie est assurée par l'individu lui-même et un état où croissance des besoins et progrès destechniques exigent une collaboration entre individus.Cette transition s'accompagne, simultanément de plusieurs phénomènes : la propriété, l'inégalité, le travail,l'esclavage, la misère, présentés comme les différents effets d'un même bouleversement.

L'idée d'un passage del'état de nature à l'état social n'est pas nouvelle ; en revanche, considérer cette mutation comme une évolutionnéfaste et non un progrès de l'espèce, constitue un trait spécifique à la pensée de Rousseau.

Elle l'oppose àcertains de ses contemporains, particulièrement Voltaire qui le tournera en dérision à maintes reprises. b) La division des tâchesLe texte oppose l'explication traditionnelle de la corruption du genre humain, l'or et l'argent, à une explication par laconstitution même de la société en tant que groupe organisé.

En d'autres termes, il récuse l'analyse d'unedégénérescence après coup de la société, pour la rapporter à sa genèse même.

Si les hommes se regroupent ets'organisent, c'est pour se partager les tâches devenues trop lourdes avec l'apparition de techniques commel'agriculture et la métallurgie.

Division du travail et division sociale naissent donc en même temps. c) Origine de l'inégalité et de la propriétéEn faisant dépendre les hommes les uns des autres pour leur subsistance, la division des tâches fait passer lesdifférences des individus au statut d'inégalités.

En effet, dans l'état de nature, les différences entre individus nepeuvent pas engendrer l'oppression, puisqu'elles ne trouvent aucun appui dans une structure sociale, chacunrestant indépendant de son semblable, et possédant naturellement les moyens de pourvoir seul à sa subsistance.

Aucontraire, dans un groupe humain où les individus sont très liés les uns aux autres, les capacités de chacundeviennent autant de possibilités de supériorité.

L'originalité de Rousseau tient ici au fait qu'il ne rapporte pasdirectement l'origine de l'inégalité aux différences naturelles, mais qu'au contraire il la décèle dans l'insertion socialede ces différences.

Seule la vie en groupe peut transformer en moyens d'oppression les inégalités naturelles, parcequ'elle seule peut en rendre durables et stables les effets. d) L'absence de libertéLe texte montre que, pour Rousseau, la liberté se caractérise d'abord par l'absence de dépendance à l'égardd'autrui.

La vie que décrit l'auteur dans les premières lignes correspond à cet idéal d'autonomie.

L'homme est libreparce qu'il se suffit à lui-même : aucune dépendance matérielle et sociale.

L'apparition de techniques quiaccroissent la maîtrise de l'homme sur la nature, mais ne sont pas susceptibles d'être mises en œuvre par desindividus isolés, va donc engendrer une dépendance.

Elle marque un abandon de la liberté, sur deux plans : matérield'abord, puisque l'individu est dépendant de l'activité d'autrui pour survivre ; social ensuite, parce que la plus oumoins grande aptitude à remplir sa fonction va placer l'individu dans une situation de dépendance plus ou moinsaccentuée.

Rousseau établit donc une corrélation étroite entre l'accroissement de la maîtrise sur la nature etl'assujettissement des individus.

Une domination de la nature par l'espèce humaine a pour effet un « esclavage » deshommes.

On pourrait retrouver des propos assez voisins dans des réflexions contemporaines (Cf : Marcuse, parexemple). e) Inégalité et travailLorsque l'état social aboutit à diviser les tâches pour mieux assurer des besoins en expansion, il donne naissance autravail : « le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallutarroser de la sueur des hommes ».

Avant la mise en valeur de la nature par l'agriculture, l'homme tirait directementet individuellement sa subsistance de la nature, mais il ne travaillait pas.

C'est l'organisation en société qui crée lanécessité du travail, avec son caractère paradoxal : l'apparente prospérité que suggère l'expression « riantescampagnes », et la misère qui croît « avec^les moissons ».

La contradiction, cependant, n'est que superficielle dansla pensée de l'auteur.

En effet, la prospérité des campagnes n'empêche nullement son accaparement par certainsindividus.

Genèse du travail en tant qu'activité sociale, et développement des inégalités sont une seule et même. »

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