Saint Augustin, Confessions, L. XI, chap. XIV
Publié le 22/03/2015
                             
                        
Extrait du document
 
                                « En aucun temps vous n'êtes resté sans rien faire, car vous aviez fait le temps lui-même. Et nul temps ne vous est coétemel parce que vous demeurez immuablement ; si le temps demeurait ainsi, il ne serait pas le temps. Qu'est-ce en effet que le temps ? Qui serait capable de l'expliquer facilement et brièvement ? Qui peut le concevoir, même en pensée, assez nettement pour exprimer par des mots l'idée qu'il s'en fait ? Est-il cependant notion plus familière et plus connue dont nous usons en parlant ? Quand nous en parlons, nous comprenons sans doute ce que nous disons ; nous comprenons aussi, si nous entendons un autre en parler. Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus. Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne passait, il n'y aurait pas de temps passé ; que si rien n'arrivait, il n'y aurait pas de temps à venir ; que si rien n'était, il n'y aurait pas de temps présent.
Comment donc, ces deux temps, le passé et l'avenir, sont-ils, puisque le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quand au présent, s'il était toujours présent, s'il n'allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l'éternité. Donc, si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons nous déclarer qu'il est aussi, lui qui ne peut être qu'en cessant d'être ? Si bien que ce qui nous autorise affirmer que si le temps est, c'est qu'il tend à n'être plus. «
Saint Augustin, Confessions, L. XI, chap. XIV, trad. J. Trabucco, Garnier-Flammarion, 1964.
 
                                «
                                                                                                                            Textes commentés 	39 	
Situation  du texte  : 	la méditation  sur le temps  du livre  XI des 	Confessions 	i 	
s'inscrit  dans une interrogation  sur les rapports  de Dieu  au monde  créé, de 	i 	
l'éternité  et du  temporel.
                                                            
                                                                                
                                                                     D'un côté un Dieu  hors du temps  ; de  l'autre,  la 
création  du monde  et le Verbe  qui jettent  dans le temps  l'action  de Dieu  posent 
problème  à Augustin.
                                                            
                                                                                
                                                                     Mais d'autre  part, Augustin  répond aussi aux arguments 
sceptiques  sur la non-existence 	
du 	temps.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Analyse 	du 	texte  : 	
• 1er 	moment: 	le problème  théologique  de 	la 	création 	du 	temps.
                                                            
                                                                                
                                                                    	A partir  de la 
thèse  : 	
« le temps  a été 	créé 	par 	Dieu 	», 	Augustin 	part 	du  problème 
théologique  : que  faisait  Dieu avant  la création  du temps  ? Cette  question, 
répond  à une  difficulté  qui mettrait  Dieu dans la non-activité,  voire dans 
l'impuissance  de créer.
                                                            
                                                                                
                                                                     Augustin  répond : la  question  n'a pas  de sens  car le 	
terme« 	avant» 	présuppose la  temporalité, or l'éternité 	l'exclue(« 	Aucun  temps 
ne  vous  est coétemel 	
» ).
                                                            
                                                                                
                                                                    	
• 2e 	moment: 	le paradoxe  épistémologique 	du 	temps.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Augustin  commence  en signalant  que nous  comprenons  ce que  nous  disons 
quand  nous parlons  du temps.
                                                            
                                                                                
                                                                     Cette compréhension,  présente dans le dialogue 
( 
« Quand  nous en parlons...
                                                            
                                                                                
                                                                     Quand nous entendons  un autre 	» ), servira  de 
référence  à la  recherche.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il 	
y a là  une  attitude  de confiance  en la validité 
ontologique  du langage  naturel.
                                                            
                                                                        
                                                                    Cette précaution  vise à indiquer  les premiers 
termes  du paradoxe  épistémologique  : l'expérience  du temps  nous est familière 
( 	
« connue 	») 	et  pourtant  sa connaissance  intellectuelle est problématique  ( 	« qui 
pourrait  l'expliquer 	
» ).
                                                            
                                                                                
                                                                    	
• 3e 	moment  : 	le paradoxe  ontologique  du temps.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le  paradoxe  épistémologique 
repose  sur un paradoxe  ontologique  : puisque  le temps  est, ses trois  parties,  le 
passé,  le présent  et le futur,  doivent  être.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Or, 	le passé  et le futur  ne sont 	
plus et 
pas  encore 	
et 	le présent  est en mouvement  pour devenir  du passé.
                                                            
                                                                                
                                                                     Donc 	le 	
temps apparaît  comme 	« tendant 	» vers le non-être.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Conclusion  : 	ce paradoxe  final rejoint  les interrogations  platoniciennes 	sur 	
l'être : 	ce 	qui 	est 	par excellence,  ce sont  les essences  des choses,  non leur 
participation  matérielle et durable  dans la matière  qui contient  de l'être  et du 
non-être,  du même  et de  l'autre 	
(Phédon).
                                                            
                                                                                
                                                                    	Ces  paradoxes  introduisent  à la 
solution  augustinienne  du temps  comme 	
«distension 	de 	l'âme».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Toutefois, 
dans  la perspective  chrétienne, 	
le 	changement  apparaîtra 	comme 	une 
imperfection  ontologique des créatures  : 	
« Je me  suis  éparpillé  dans les temps 	
dont 	j'ignore 	l'ordonnance 	» 	dit 	Saint  Paul 	(Philippiens 	3).
                                                            
                                                                                
                                                                    Instabilité, 
fragmentation  et inquiétude  appartiennent  à la  temporalité  de la créature  qui 
doit,  par la foi  et la concentration  de la prière,  participer  à l'éternité..
                                                                                                                    »
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