Selon William James, « le principat monstrueux conféré aux concepts universels a de guai surprendre ». Quels sont les dangers de l'abstrac tion ? Quelle est son utilité ?

« LA PENSÉE, L_'INTELLIGENCE, L1IDÉATION 141 Contre cette préférence pour l'universel au détriment du singulier, \V.

J.uœs, précurseur d'un mouvement de pensée très puissant de nos jours, dénonça il y a une cinquantaine d ·années « le principat monstrueux conféré aux concepts universels "· Nous tâcherons d'abord, après avoir constaté ce principat, de com­ prendre ce qu'il peut y avoir de monstrueux dans la préférence accordée par la philosophie classique aux idées générales.

Ensuite nous préciserons les dangers et l'utilité de l'abstraction par laquelle se forment les concepts universels.

l.

- LE FAIT DU PRINCIPAT DES CONCEPTS.

A.

Nous pensons par conc~pts universels, c'est-à-dire par représentationf> 11ui conviennent à un nombre indéfini d'individus présentant le même caractère ou des caractères analogues.

Sans doute, notre système sensoriel nous fait atteindre des êtres dans leur réalité individuelle : je vois et je palpe ce pétale dont je constate le velouté, j'apprécie le bouquet de ce vin, je vous connais et aime votre franchise.

Par la conscience nous nous atteignons nous-mêmes et, si nous sommes attentifs, nous sommes témoins des spectacles toujours nouveaux qui se déroulent dans notre intérieur.

Mais si nous voulons penser à ce qui est présenté à notre regard ou surtout nous le dire à nous-mêmes.

nous devons passer par le détour de concepts généraux ou universels.

Remarquons ton t d'abord que la plupart des individus, le genre humain excepté, n'ont pas de nom propre et, par conséquent, pas de concept individuel.

Sans dottte, nous donnons un nom à certains animaux domes­ tiques, aux rivières et aux montagnes; mais ces cas sont exceptionnels .

pour désigner la feuille de papier sur laquelle j'écris, un pétale de cette rose, une mouche posée sur le carreau de ma fenêtre, je suis obligé de recourir au terme général précédé d ·un démonstratif et accompagné· d'un geste qui désigne l'objet dont je parle : cette feuille, ce pétale, cette mouche.

Ensuite, des objets ainsi désignés nous ne pouvons jamais rien affirmer .

qu'au moyen de concepts universels : les termes " velouté n, « bouquet '" " franchise n, etc., conviennent à 1111 nombre indéfini d'individus qui pré­ sentent ce caractère : ils sont universels et non singuliers.

Même lorsque j 'établi? une comparaison entre deux individus, par exemple vous et moi, je ne ruis pas me passer d'une notion générale comme taille, âge, science, force : vous êtes plus grand mais moins âgé que moi.

B.

La s.cience, qui n'est qu'un prolongement de la pensée vulgaire, procède elle aussi par concepts généraux; comme le dit l'axiome célèbre.

« il u 'y a pas de science de l'individuel, il n'y a. »