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Texte de Schopenhauer sur le désir

Publié le 19/05/2014

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Texte de Schopenhauer sur le désir Pour chacun d'entre nous, réaliser ses désirs n'est-il pas la définition même du bonheur? Nous éprouvons en nous des aspirations ou des penchants qui ne demandent en effet qu'à être assouvis, et sans lesquels nous n'aurions, semble-t-il, aucune motivation à agir. Quant au bonheur, nous le situons au jour où nous aurons enfin réalisé nos désirs: désirs de richesse, de gloire, désirs amoureux ou désirs de pouvoir. Mais nombreux sont les penseurs à avoir mis en garde sur l'illusion propre à tout désir: n'est-il pas comme le Phoenix, cet oiseau légendaire qui renaît de ses cendres? Schopenhauer insiste ici sur ce caractère infini du désir, qui nous fait associer sa satisfaction au bonheur absolu pour, aussitôt réalisé, nous relancer dans une nouvelle course folle, vers cet "obscur objet du désir", comme le disait le cinéaste Buñuel. Schopenhauer précise dans toute la première moitié de l'extrait où se situe la valeur négative du désir: dans son origine (le désir vient d'un manque), puis surtout dans les caractères de sa satisfaction (la satisfaction est toujours éphémère, décevante et illusoire). Cette analyse lui permet de dégager une conclusion très claire, qu'il exprime de différentes façons: le désir instaure en moi trouble et inquiétude, et m'éloigne ainsi du vrai bonheur qui ne peut être que durable et impassible. Il nous faudra bien sûr revenir sur cette assimilation entre bonheur et "repos". Nous pouvons distinguer deux temps principaux dans ce texte; examinons le premier, qui est consacré à une analyse des caractères propres au désir, qui vise à montrer son aspect illusoire: le désir fait croire au sujet qu'il sera heureux une fois le désir satisfait, or selon Schopenhauer il n'en est rien. L'auteur remonte d'abord à l'origine du désir, pour en dévoiler un premier caractère négatif: le désir est lié à un "besoin", que Schopenhauer associe à une "privation", donc à une "souffrance". Il faut remarquer qu'il n'emploie pas au départ le concept de "désir", mais celui de "vouloir". Cela pourrait paraître étonnant, dans la mesure où la volonté semble plutôt être la faculté qui, par sa fermeté, rend le sujet capable de s' opposer à certains de ses désirs (ainsi, "faire preuve de volonté", c'est lutter contre sa paresse ou ses envies). Mais cette opposition entre la volonté et le désir semble absente de la pensée de Schopenhauer: au milieu de l'extrait ("Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l'impulsion du désir"), il associe très nettement les deux. La volonté est donc, dans son esprit, entièrement au service du désir, le "vouloir" est comme une force à laquelle l'individu est soumis. On peut même penser que cette force est naturelle, puisqu'elle s'exprime à travers le besoin ("tout vouloir procède d'un besoin"). Dans cette première phrase, l'auteur n'hésite pas, en tout cas, à faire un "glissement" du besoin à la souffrance, ce qui présente un risque d'arbitraire mais témoigne de la force de sa conviction. On peut du reste expliciter ce glissement: le "vouloir" est associé au besoin dans la mesure où l'on ne voudrait rien si l'on n'en avait pas besoin (le besoin doit être pris ici au sens large: besoin physique ou moral). Et tout besoin est "privation", ou manque: être dans le besoin, c'est manquer de quelque chose, constater une privation. Le désir exprime donc la nature essentiellement incomplète de l'homme, "être de manque", comme l'écrira Sartre plus tard, et ce manque cherche à se combler, comme pour retrouver un état d'équilibre, de complétude. En attendant, toute privation est "souffrance": Schopenhauer cette fois se situe sur un autre registre, celui de l'affectivité, des sensations ou des sentiments. La souffrance est un sentiment douloureux, qui peut notamment être éprouvé lors du manque. C'est la souffrance physique du drogué qui a besoin de sa dose, mais c'est aussi la souffrance de l'amoureux qui est loin de sa compagne, ou celle du petit enfant qui regarde le jouet dans la vitrine, inaccessible. Pourtant, n'est-ce pas justement la vertu du désir de pousser à mettre fin à cette souffrance, et ainsi à procurer un plaisir, bien p...

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« Deuxième point: “le désir est long”, et “la satisfaction est courte”.

Difficile ici de ne pas penser au plaisir sexuel, qui produit tant de fantasmes dans le genre humain, mai s dont le caractère très bref de la jouissance laisse souvent dans une amère déception...

Mais n’est-ce pas le cas pour bi en d’autres désirs, où la satisfaction est d’une durée tout à fait disproportionnée par rapport au temps d’attente inq uiète et de préparation fébrile? Ne sommes-nous pas tous comme le petit enfant, qui se lasse bien vite du jouet de la vitrine qu’il est enfin parvenu à faire acheter à ses parents? Ce contraste rend le désir bien dérisoire, mais nous tombons tou jours dans le piège, croyant que “cette fois est la bonne”: le plaisir sera durable, l’amour sera éternel.

Or il n'en est rien, et cette confrontation de la longue durée de souff rance que peut signifier la réalisation d'un désir et ce laps de temps bien ridicule que dure sa satisfaction rend les désirs tout à fait vains. Troisième point enfin: les exigences infinies du dé sir contrastent avec le caractère modéré, mesuré, d e sa satisfaction. J’avais rêvé “la” femme et je n’ai qu’ “une” femme, j’avais fantasmé “la plus puissante berline du moment” et je n’ai qu’une voiture qui va un peu plus vite que les autr es, pour une consommation double...

Autrement dit: l’imagination prend part au désir, et nous fait idéaliser son obj et, en le parant de mille qualités symboliques qui n’existent que dans mon esprit.

C’est ce processus que Stendhal appelait la “cristallisation”: laissez un vulgaire bâton dans une mine de sel, il en ressortira étincelant de mille reflets.

L’imaginati on au travail pendant le désir brode sur l’objet de mes rêves, qui m’apparaît bien décevant lorsque je le possède réel lement. Ainsi le désir produit-il une triple désillusion: s a satisfaction est quantitativement et qualitativem ent décevante.

Mais Schopenhauer va plus loin: “le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir”.

Telle est l’illusion la plus terrible, qui révèle que “le contentement suprême n’est qu’ap parent”.

Le contentement suprême, c’est celui que j’attends peu ou prou de tout désir: enfin cet objet assouvira ma so if, c’est cela qui me rendra heureux.

Voilà bien l’erreur la plus humaine: après le vélo, je désire la mobylette, puis la moto puis la voiture, et pourquoi pas la plus grosse? C ’est cette illusion qui gouverne tout désir de richesse: avec de l’argent, je pourrais enfin me payer l’objet de mes rêves, ma is cet objet une fois acquis ne procure qu’une satisfaction éphémère, et aussitôt un désir renaît derrière qui m’enferme dans une course infinie.

Ainsi en va-t-il encore du désir de pouvoi r, politique (n’est-ce pas ce qui a perdu Alexandre le Grand, Napoléon, peut-être même Hitler?) ou économique (les grands g roupes financiers, dont l’appétit est sans limites).

Et Schopenhauer se fait un malin plaisir de souligner l’illusion: a lors même que je sors d’une désillusion, d’un désir satisfait mais peu satisfaisant, je me précipite vers un autre en croy ant que cette fois le bonheur absolu sera au rendez -vous: je passe ainsi d’une “déception reconnue” vers une “déception non encore reconnue”.

L'homme est ainsi incapable de tirer les conséquences de ses échecs précédents, il devrait s avoir que le bonheur ne se situe pas au bout du dés ir, mais il y croit malgré tout, totalement victime du mirage que lui f ait miroiter son désir.

Ne sommes-nous pas tous com me Dom Juan qui court de femme en femme, en espérant toujours décou vrir la satisfaction amoureuse absolue? Dom Juan s’aperçoit à la fin de sa vie qu’à travers les femmes c’est la reco nnaissance de lui-même qu’il recherchait, et que ch aque conquête une fois achevée l’intérêt même de l’amour disparaissai t, et le repoussait vers une nouvelle entreprise de séduction.

Comme Dom Juan, nous croyons que nous désirons quelque chose, l’objet du désir, mais une fois l’objet possédé le désir s e reporte sur un autre: n’est-ce pas que nous nous so mmes fait prendre, une nouvelle fois? Ainsi, “la satisfaction d’aucun souhait ne peut pro curer de contentement durable et inaltérable”: Scho penhauer annonce déjà ici sa thèse, selon laquelle le désir n’est pa s la source du bonheur, contrairement à ce qu’il fa it croire.

Le “contentement” est ici synonyme de satisfaction, ma is ne se réfère pas à la seule satisfaction d’un désir: le contentement est un état plus général de bien-être.

Or le bonheu r est pour Schopenhauer durable et inaltérable: il ne peut être concevable que dans la durée, car s’il est éphémère il me replonge aussitôt dans l’inquiétude et dans l’insatisfaction; quand je veux trouver le bonheur, c’est pour ne plu s le perdre.

Et le plaisir qui couronne la satisfaction d’un désir ne peut être qu’éphémère, comme on l’a vu.

Cette disproport ion temporelle entre le désir et le bonheur plonge l’homme dans un engrenage tragique, que Schopenhauer exprime à trav ers une analogie: comme le mendiant à qui l’aumône du jour prolonge la misère jusqu’au lendemain, chaque désir satisfait en engendre un autre et maintient l’homme dans l’inquiétude.

La misère du mendiant est financière, la misère de l’homme soumis à ses désirs est moral e, psychologique. Cette métaphore est l'image tragique de la conditio n humaine, voué à s'enliser dans un cycle sans fin de souffrance, dont le moteur est l'espérance d'un bonheur qui recule a u fur et à mesure que l'on avance vers lui. Suite à cette analyse du désir, qui vise à le démys tifier, à détruire l’illusion qu’il provoque, Schopenhauer livre alors explicitement sa thèse, qu’il souligne par le recou rs à l’italique: l’homme ne peut connaître le bonhe ur tant qu’il reste. »

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