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LA MÉMOIRE

Publié le 29/08/2014

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Notre présent n'est pas un point mathématique insaisissable, une ligne sans épaisseur séparant le passé aboli à tout jamais et le futur qui n'existe pas encore. En fait, ce que nous appelons le présent n'est pas une ligne de démarcation abstraite mais un fragment de la durée qui enveloppe le passé prochain et l'ave¬nir immédiat. Mon présent englobe ce que je viens de faire et ce que je vais faire. Heidegger dit que l'homme est «l'être des lointains «, un être soucieux qui projette l'avenir sur le présent et qui confronte le présent avec ce qui l'a précédé. Ainsi, tandis qu'une chose est à chaque instant contemporaine d'elle-même, l'homme dure, c'est-à-dire se souvient.

«Les jours s'en vont, je demeure«

écrit Apollinaire. La mémoire apparaît ainsi comme une sorte de revanche de l'homme sur la fuite des jours puisque l'esprit humain est capable de retrouver et de garder ce qui passe. Le visage du monde qui change et passe sans cesse ne trouverait quelque fixité que dans notre mémoire. C'est en ce sens que, selon Ibsen, «on ne possède éternellement que ce qu'on a perdu «.

 

Cependant, ces moments que ma mémoire sauve en quelque sorte de la fuite des jours, elle ne les ressuscite pas vraiment. La mémoire n'est pas une hallucination : je ne revis mon passé qu'en le sachant passé, en le pensant comme passé. Je nie sa présence après l'avoir affirmée. Comme le dit Lalande, la mémoire au sens plein du mot est « une fonction psychique consistant dans la reproduction d'un état de conscience passé avec ce caractère qu'il est reconnu pour tel par le sujet«'.

En un sens, par la mémoire, je retrouve mon passé, je coïncide avec lui ; je suis mon passé ; mais d'autre part, je pose mon passé comme aboli, je le tiens à distance de moi-même. J'ai un passé. Il y a là une ambiguïté de la mémoire qui est à la fois résurrection du passé et position du passé comme passé.

I LA FIXATION DU SOUVENIR

Nous ne fixons pas la totalité de nos perceptions, de notre expé¬rience dans notre mémoire ; un choix s'opère. De quels facteurs psychologiques cette sélection dépend-elle ?

1° FACTEURS OBJECTIFS

Pour les gestaltistes, c'est la structure de l'objet qui détermine la fixation du souvenir, une mélodie est plus facile à fixer dans la mémoire qu'une suite de sons quelconques, une figure régu¬lière plus facile à retenir qu'un amas informe de lignes. La mélodie ou la figure régulière constituent en effet de bonnes formes qui s'imposent aisément.

1. La psychologie classique disait que la mémoire implique un «jugement d'antériorité«, ainsi formulé par le logicien Goblot : «Ce phénomène présent et mien est mien mais n'est pas présent« (Cité par DELAY, Les maladies de la mémoire, P.U.F. p. 12.).

 

20 FACTEURS SUBJECTIFS

La sélection des éléments de mon expérience qui se fixent en souvenirs dépend aussi de facteurs subjectifs. Si nous retenons la mélodie, c'est parce qu'elle nous émeut'. En fait, c'est en fonc¬tion de nos valeurs que nous fixons nos souvenirs essentiels. Il y a des événements que nous fixons d'emblée et pour toujours. Dans certaines provinces françaises, on avait autrefois coutume, après le partage d'un héritage, de conduire les enfants devant les nouvelles bornes installées entre les champs et de les gifler vio¬lemment pour fixer à jamais ces emplacements dans leur souve¬nir. Les enfants n'oublient plus jamais ces lieux, car, comme l'écrit Gusdorr qui relate cette tradition, «l'étonnement et la révolte pour une correction injustifiée se perpétuent dans le sou¬venir comme une épreuve de certaines valeurs essentielles «.

De même on fixera à jamais le souvenir des lieux qui furent le théâtre d'un premier amour. Ainsi, dans Le Lys dans la vallée, de Balzac, Félix déclare : «Ce fut la seule fois que j'entendis cette caresse de la voix, le tu des amants; je regardai les haies couvertes de fruits rouges, je contemplai la troupe des vendangeurs, la char¬rette pleine de tonneaux et les hommes chargés de hottes. Ah! je gravais tout dans ma mémoire, tout jusqu'au jeune amandier sous lequel elle se tenait ! 3«

L'acquisition d'un souvenir n'est pas un processus mécanique et impersonnel. La mémoire n'est pas un tiroir qui accueillerait automatiquement n'importe quel objet. La mémoire nous appa¬raît déjà comme un acte de la personne qui fixe le passé en fonction de ses exigences, de ses soucis et de ses valeurs.

Une fois fixé, le souvenir pourra nous revenir à l'esprit, soit

1. Le début et la fin d'une mélodie, ou d'un poème, sont le plus aisément rete¬nus. Il n'y a pas seulement là une caractéristique structurale comme pensent les gestaltistes. Il faut ajouter que le début et la fin sont valorisés affectivement, qu'ils sont privilégiés humainement. (Les inaugurations sont comme les finales chargées de valeurs affectives.)

2. GusooRF, Mémoire et personne, t II, p. 400.

3. Cf. PROUST, Albertine disparue (t. Il, p. 211 — N.R.F.) «Je revis Gilberte dans ma mémoire. J'aurais pu dessiner le quadrilatère de lumière que le soleil fai¬sait sous les aubépines, la bêche que la petite fille tenait à la main, le long regard qui s'attacha à moi. «

 

spontanément, soit après un effort volontaire d'évocation. Mais comment peut-il rester à notre disposition ? Sous quelle forme survit-il ? Que deviennent nos souvenirs quand nous n'y pensons pas ? C'est le problème classique de la conservation du souvenir.

II LA CONSERVATION

DU SOUVENIR

10 THÉORIE MATÉRIALISTE DE RIBOT

Pour Ribot, le souvenir se conserve dans le cerveau sous forme de traces matérielles susceptibles d'être réveillées par les impressions présentes. Lorsque je me souviens de quelque chose à quoi je ne pensais pas l'instant d'avant, le processus psychophysiologique dont il s'agit est un peu analogue au mécanisme mis en jeu lorsque l'aiguille de l'électrophone vient en quelque sorte réveiller la musique gravée et comme endor¬mie dans les sillons du disque.

L'argument essentiel de Ribot est tiré de considérations anato-mocliniques à propos de certaines maladies de la mémoire. Par exemple, l'aphasie motrice, perte du souvenir des mots articu¬lés, correspond à des lésions de la zone de Broca.

Tel malade, après une hémorragie cérébrale concernant la zone psychotactile du lobe pariétal droit, par exemple, souffre d'une agnosie tactile du côté gauche : sa main gauche est incapable de reconnaître les objets qu'elle palpe. Les souvenirs tactiles paraissent perdus 1.

« Cependant, ces moments que ma mémoire sauve en quelque sorte de la fuite des jours, elle ne les ressuscite pas vraiment.

La mémoire n'est pas une hallucination : je ne revis mon passé qu'en le sachant passé, en le pensant comme passé.

Je nie sa présence après l'avoir affirmée.

Comme le dit Lalande, la mémoire au sens plein du mot est «une fonction psychique consistant dans la reproduction d'un état de conscience passé avec ce caractère qu'il est reconnu pour tel par le sujet» 1 • En un sens, par la mémoire, je retrouve mon passé, je coïncide avec lui; je suis mon passé; mais d'autre part, je pose mon passé comme aboli, je le tiens à distance de moi-même.

J'ai un passé.

Il y a là une ambiguïté de la mémoire qui est à la fois résurrection du passé et position du passé comme passé.

1 -LA FIXATION DU SOUVENIR Nous ne fixons pas la totalité de nos perceptions, de notre expé­ rience dans notre mémoire; un choix s'opère.

De quels facteurs psychologiques cette sélection dépend-elle? 1° FACTEURS OBJECTIFS Pour les gestaltistes, c'est la structure de l'objet qui détermine la fixation du souvenir, une mélodie est plus facile à fixer dans la mémoire qu'une suite de sons quelconques, une figure régu­ lière plus facile à retenir qu'un amas informe de lignes.

La mélodie ou la figure régulière constituent en effet de bonnes formes qui s'imposent aisément.

1.

La psychologie classique disait que la mémoire implique un > (Cité par DELAY, Les maladies de la mémoire, P.U.F.

p.

12.).. »

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