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L'éthique de l'exil

Publié le 08/06/2023

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« L’ETHIQUE DE L’EXIL - Vincent BEJA jeudi 8 juin 2023 - p 1/9 L’ÉTHIQUE DE L’EXIL PRÉMISSES Au risque d’être inconvenant, je viens parler de thérapie depuis un lieu que mes confrères Gestalt-thérapeutes n’ont pratiquement pas investi et d’où seuls quelques analystes ont osé parler.

Et parce que j’avais dit naguère que, tout autant que des philosophes - qu’ils soient phénoménologues, existentialistes ou pragmatistes - nous pourrions probablement et avec autant de pro t nous inspirer des ré exions tirées des origines judéo-chrétiennes de notre humanité. Cela a d’ailleurs déjà été fait, notamment dans les pays anglo-saxons où Buber (et sa mystique juive) inspire tout le courant «dialogual» de la thérapie gestaltiste.

Et je trouve utile de parler avec la bible et à partir d’elle, à la fois parce qu’elle infuse notre culture et parce que je crois qu’elle nous parle de la dif culté à être humain et à organiser nos rapports sociaux de façon à ce qu’ils soient paci és.

Elle nous propose d’utiles méditations pour peu que nous cherchions à la lire. J’ai déjà parlé d’amour en me servant du «Shir HaShirim» (Cantique des Cantiques).

Je veux parler de l’exil.

Et de la terre...

Du pays que l’on habite.

Quand je dis pays, je signi e aussi le monde personnel, le pays de l’enfance et, nalement, tout ce que nous croyons de manière irré échie être nous-mêmes.

L’exil parle d’un monde dont on est sorti, auquel on n’appartient plus.

C’est potentiellement le lot de chaque être humain.

Mais il y a ceux qui le sentent et qui le savent et ceux qui ne vivent aucun exil; ou encore ceux qui l’acceptent et ceux qui ne l’acceptent pas.

Et l’exil - comme je le comprends et vais tenter de le montrer - est une dimension que je crois constitutive du rapport à l’autre et du fait social; donc de notre travail. fi fi fi fi fi fl fl fi fl La phénoménologie, avec Husserl, nous a montré que le monde dans lequel nous vivons, est à la fois construit (du fait de l’intentionnalité de la conscience: «être tourné vers» déjà donne forme à ce vers quoi l’on se tourne; c’est l’activité noétique de la conscience) et donné (quelque chose, indubitablement, toujours se donne et s’impose à nous).

Et cette construction, qui est une action permanente, nous est si intime et si familière, qu’elle nous est la plupart du temps totalement imperceptible.

Ce «connu» nous permet un fonctionnement aisé, «économique», et nous protège de la terreur d’un monde qui apparaîtrait sans forme (ce qui nous entraînerait sur le versant de la psychose).

Mais il fait aussi barrage à l’irruption de la nouveauté.

Il nous enferme (nous sommes alors sur la pente de la névrose...).

Avec la Gestalt-théorie, la Gestalt-psychologie et le pragmatisme, nous avons réalisé que la perception et la cognition sont des activités situées, des processus que les situations existentielles activent, les fruits d’une unité vitale indissociable: l’organisme/environnement.

Nous avons aussi compris que, si on peut le considérer comme le produit de la subjectivité, résultat du travail de la conscience individuelle, ce monde est aussi le produit d’un processus d’objectivation, effet de la prise en compte mutuelle et par chacun du monde d’autrui.

Et c’est ce même processus d’effectuation d’actes sociaux complexes par intégration de la perspective d’autrui qui est au coeur de la construction du sens de soi (Mead 1934). A cette lumière, la névrose se lit alors simultanément comme souffrance à faire société c’est à dire à s’établir dans ce monde partagé, ce monde objectivé - et dif culté à prendre conscience de l’opération jusque là irré échie de construction du monde séparé duquel elle émerge.

Cet article s’attache illustrer cette thèse de façon inédite à l’aide d’un cas «clinique» rapporté des origines de notre culture.

Il commence par montrer que la L’ETHIQUE DE L’EXIL - Vincent BEJA jeudi 8 juin 2023 - p 2/9 conséquence de cette irré exion est l’exil et propose d’envisager que c’en est aussi le remède.

Nous noterons au passage, quelques unes des conséquences pour la thérapie.... L’ATTACHEMENT MORTIFÈRE A L’ORIGINE Sous un certain angle l’exil peut apparaître comme un donné de la condition humaine; cela - je l’espère - apparaîtra plus clairement dans la suite du texte.

Et, pour le dire sans ambages et en reprenant la nosologie freudienne, le névrosé - c’est à dire un peu chacun de nous, probablement - est, pour moi, celui qui refuse l’exil, qui reste attaché - en général à ce qui lui manque.

Il a la nostalgie d’avant, d’ailleurs, d’un autre...

La nostalgie le fait souffrir.

Il croit que le réel lui fait défaut.

Il croit manquer de réel.

Pour ainsi dire il manque «réellement».

Il est attaché au réel qui manque tant.

Il veut retrouver ses racines, ce qu’il pense perdu: un amour, une sécurité, une con ance et il rêve éveillé de revenir au passé, dans sa communauté, dans sa patrie, en Eden.

Il croit au réel et à la fois il s’en vit exclu... Mais c’est une très ancienne histoire juive - encore imparfaitement passée en chrétienté que d’accepter la perte de ses racines terrestres - le réel - en faisant pousser des racines vers le ciel - le symbolique.

C’est déjà dans la bible, presque au début; dans Génèse 12-1. Quand Adonaï dit à Abram «Lekh Lekha», «Va pour toi» («Va vers toi»)...

«de ta terre, de ton enfantement, de la maison de ton père, vers la terre que je te ferai voir» (traduction Chouraqui).

Cette terre de mère et père qu’il faut quitter, c’est l’évidence de l’origine.

Mais plus encore que l’origine, c’est l’évidence qu’il faut quitter.

Car c’est elle qui instaure le fait qu’il y a pour nous du «réel».

Car ce que j’appelle «réel» consiste en l’incessant jaillissement du monde, et nous y adhérons si spontanément que nous n’y pouvons distinguer aucun interstice où glisser un questionnement.

Mais la phénoménologie nous l’a appris: si le monde et les phénomènes surgissent comme une évidence (l’Urdoxa de Husserl) - leur donation ne peut être contestée: il y a bien quelque chose qui se donne là - nous en sommes pourtant aussi les créateurs (c’est l’activité noétique de la conscience).

Ici j’assimile délibérément (tout en convenant qu’il faudrait en montrer la parenté profonde de façon plus détaillée) le «réel» au sens de Lacan à l’évidence du monde que nous recevons - telle que la phénoménologie nous l’a faite voir et le «symbolique» au cheminement vers la terre promise, et au lieu de vie du peuple à venir; le lieu du collectif, où établir société.

Tandis qu’Adonaï est pour moi cette force qui pousse l’être humain à élargir son appartenance, à accueillir les différences et à en vivre. fi fl fi Tant que «je» suis dans ma terre - celle de mes pères, dont j’ai hérité et que je n’ai en rien conquise - tant que je m’inscris dans mon monde, l’autre, celui qui vient du dehors, je le considère en fonction de moi: je lui donne la place qui me convient.

Je peux en faire un hôte précieux.

C’est d’ailleurs souvent le cas si je suis un nomade.

Mais le plus souvent, si je suis bien enraciné, bien intégré, sédentaire et propriétaire, j’en fais un «immigré» ou un travailleur sans papier - un esclave postmoderne -.

Je l’autorise ou non à faire partie de mon monde.

Je ne le considère pas toujours d’emblée comme un égal, un citoyen; tout juste parfois si je lui consens un permis de séjour.

Je le tolère.

Je peux l’ignorer, le mépriser, ne pas le voir mais je peux aussi considérer qu’il souille mon sol, mon espace ou mon sang.

Et je peux en faire un bouc émissaire.

Et l’anéantir. C’est le cas nazi, le cas Hitler.

Alice Miller a très bien décrit comment ce petit garçon de milieu misérable et ls d’une femme de chambre, régulièrement attaché, battu et torturé par son beau père, a pris racine dans la croyance que sa mère avait été violée par son patron d’un moment, un bourgeois juif.

Son réel - son malheur - le petit Adolphe l’a enraciné dans ce juif là, bouc émissaire parfait car totalement inconnu, qu’il s’est efforcé ensuite de détruire - avec le succès que l’on sait.

Au nom du Vaterland, le pays du père - L’ETHIQUE DE L’EXIL - Vincent BEJA jeudi 8 juin 2023 - p 3/9 d’un père qu’il n’a jamais connu et dont il ignorait jusqu’à l’identité...

Il n’a ni su ni pu sortir de ce réel sordide et violent, ouvrir pleinement vers l’altérité et le symbolique.

Ces deux notions, altérité et symbolique, me semblent en effet liées en profondeur et provenir d’une même forme d’exil.

De l’exil, souvent et généralement d’abord subi, mais nalement assumé.

C’est que je vais tenter d’illustrer. L’EXIL COMME CONDITION DU SOCIAL Je peux le dire maintenant plus positivement: l’exil c’est sortir de la terre de ses pères, sortir de la tendance à tout rapporter à soi, à tout tourner vers soi, à.... »

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