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1989, fin du XXe siècle ou fin de l’Histoire ?

Publié le 02/10/2012

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histoire

La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, a bénéficié d’une large couverture médiatique, contribuant ainsi à faire de cet épisode un événement qui a marqué les esprits. Peu de temps avant la chute du mur, qui symbolise la fin de la division de l’Europe, de la guerre froide et annonce celle des régimes communistes européens, le philosophe et chercheur en sciences politiques américain Francis Fukuyama avait remis au goût du jour le concept de « fin de l’histoire «, théorisé avant lui par le philosophe allemand Hegel au début du XIXe siècle. Celle-ci serait marquée par la fin des idéologies. Ou peut-être est-ce seulement la fin d’un siècle, comme l’affirme René Rémond. Un siècle, selon lui, étant délimité par des évènements entraînant de grands bouleversements. Il existe donc plusieurs théories sur l’année 1989. On peut alors se poser la question suivante : 1989 marque-t-elle la fin de l’Histoire, ou dans une moindre mesure la fin du XXe siècle ? Si Fukuyama a vu juste et que 1989 met un terme à l’histoire, alors, de toute évidence, cette date figure aussi la fin du XXe siècle. Mais nous allons voir que la théorie du chercheur américain peut être remise en cause. La fin du XXe siècle apparaîtrait comme une hypothèse plus raisonnable, mais des évènements historiques postérieurs à la chute du mur
pourraient la supplanter. S’il y a une fin de l’histoire, cela signifie indubitablement qu’il y a un début. La plupart des historiens s’accordent aujourd’hui pour le faire coïncider avec l’apparition de sources écrites. En schématisant, avant la maîtrise de l’écriture par une civilisation, nous sommes dans la préhistoire. Mais l’historien Louis Blanc, lui, a coupé l’herbe sous le pied de Fukuyama en affirmant que « l’Histoire ne commence et ne finit nulle part «… Pour Fukuyama, « la fin de l’histoire ne signifie pas la fin des évènements mondiaux, mais la fin de l’évolution de la pensée humaine à propos des principes fondamentaux qui gouvernent l’organisation politique et sociale. « L’histoire s’achèverait donc le jour où un consensus universel mettrait un point final aux conflits idéologiques. Cependant, par définition, l’historien a besoin de temps, de recul. En 1989, Fukuyama ne s’est donc pas placé en historien mais en visionnaire. Il n’a pas constaté mais prédit la fin de l’histoire. 1989 ouvre les portes de l’Europe de l’Est au libéralisme démocratique. En mai, les gardes hongrois avaient commencé à cisailler les barbelés qui matérialisaient la frontière avec l’Autriche. Moscou avait alors décidé de ne plus imposer la politique à suivre dans le bloc de l’Est par la force, laissant ainsi deviner la fin prochaine du communisme. Même si
le mur n’était toujours pas tombé, la marche vers la fin de l’Europe communiste était en route, et Fukuyama l’avait sûrement compris lorsque, en juin, il avait lancé sa théorie sur la fin de l’Histoire. La chute du mur de Berlin serait donc venue confirmer ses propos. Selon Fukuyama, rien n’entravera le triomphe définitif du libéralisme démocratique « comme forme finale du gouvernement humain «. Il considère donc qu’il n’y aurait plus, dans l’ère post-historique, de conflits internationaux entre les grandes puissances, s’appuyant sur le fait que, jusqu’à aujourd’hui, les grands Etats démocratiques ne se seraient jamais combattus, à l’exception du bref conflit survenu en 1812 entre les Etats-Unis et l’Angleterre. De fait, Fukuyama exclut toute possibilité de conflit entre le monde occidental et la puissance montante qu’est la Chine. Le philosophe considère donc que cet Etat encore officiellement communiste est définitivement engagé sur la voie du libéralisme démocratique. Seuls des guerres limitées, la violence ethnique et le nationalisme persisteraient encore « pendant quelque temps «. Mais la thèse que Fukuyama nous livre est contestable. Dans un premier temps, il n’est pas le premier à avoir annoncé la fin de l’histoire, comme le fait remarquer Jean-Noël Jeanneney. Nombreuses ont été, en effet, à diverses époques, les théories annonçant l’entrée
dans les eaux calmes des démocraties éclairées, comme Condorcet en 1784, Emile Faguet en 1899, et bien d’autres. Mais ces prédictions se sont toutes avérées fausses avec le recul. On a beaucoup tendance à croire que lorsqu’une société vit une période apaisée après des temps troublés, l’idéologie sur laquelle elle repose représente le stade suprême de l’évolution.  Par ailleurs, Fukuyama semble se focaliser sur le monde occidental : certes les totalitarismes ont disparu d’Europe dès 1991, remplacés par des démocraties libérales, mais ce serait beaucoup s’avancer qu’en déduire que la planète entière serait sur la voie du libéralisme démocratique. De plus, tout au long des âges, de nombreuses idéologies se sont bousculées. On est donc en droit de douter que le libéralisme démocratique soit un jour l’unique idéologie en vigueur dans le monde. D’autre part, Fukuyama affirme que seuls des dangers venus de l’intérieur pourraient mettre en péril le libéralisme démocratique. Quel Etat libéral démocratique peut en effet se vanter d’être à l’abri d’une crise économique ou d’une crise sociale ? L’exemple de la crise des subprimes, qui a éclaté en 2008, nous inciterait à répondre : aucun. La science, en perpétuel progrès, pourrait devenir incontrôlable ! L’accident nucléaire qui s’est produit en 1986 à Tchernobyl montre qu’elle nous a déjà échappé par
le passé. Et à l’heure où la sphère privée semble disparaître, notamment à cause du développement de Facebook (500 millions d’utilisateurs dans le monde), de Twitter, des téléphones portables, des GPS, des logiciels espions et du collectage incessant de nos données personnelles, on ne peut pas écarter l’hypothèse d’une crise sociétale. Mais des dangers venant de l’extérieur peuvent mettre en péril les démocraties libérales. Même si Fukuyama exclut toute possibilité de grand conflit international, un Etat non dominant mais possédant une capacité de destruction massive peut représenter une réelle menace. Prenons l’exemple de l’Iran, qui vient de se doter d’un système lui permettant d’enrichir l’uranium. Officiellement, elle l’a développé pour une utilisation civile, mais on soupçonne très fortement le régime de Mahmoud Ahmadinejad de vouloir le détourner à des fins militaires. L’Iran illustre également une seconde idée : l’histoire est très géographique. En effet, les différences de culture et les différentes vitesses de développement font que certains Etats ne sont pas toujours prêts à accepter les principes dictés par le libéralisme démocratique. Ainsi, en Iran, l’Islam radical s’oppose à l’esprit de laïcité, caractère fondamental de la démocratie. Si 1989 ne marque pas la fin de l’histoire, il reste toutefois envisageable qu’elle mette un point
final au XXe siècle. Et c’est ce que René Rémond nous explique dans l’introduction de son ouvrage Histoire du XXe siècle, introduction à l’histoire de notre temps. La dimension historique piétine bien souvent les stricts contours définis par la mesure du temps. Arithmétiquement, un siècle débute le 1er janvier de l’an 01 pour s’achever le 31 décembre de l’an 00 qui suit. Mais les historiens préfèrent en définir les limites en utilisant leurs propres balises : les événements majeurs qui ont bouleversé le cours du temps. Ainsi on considère que le XVIIIe siècle s’achève avec la réunion des Etats généraux en France (1789) et que le XXe siècle débute avec la première guerre mondiale (1914). Entre ces deux balises, le XIXe siècle aurait donc duré 125 ans… Ces événements ne sont pas retenus pour leur importance en soi, au moment où ils se produisent, mais pour les changements, les bouleversements qu’ils ont provoqués. Et l’année 1989 a entraîné suffisamment de changements pour marquer les esprits, et surtout marquer la fin du XXe siècle. La chute du mur de Berlin signifie la fin d’une Europe bipolaire. Symboliquement, elle met également un terme à la guerre froide et ouvre de nouvelles perspectives en terme de relations internationales. Les régimes communistes s’effondrent les uns après les autres.   Le 7 octobre 1989, le Parti ouvrier hongrois
se déclare dissous. Le principal dirigeant bulgare démissionne le 10 novembre. En Tchécoslovaquie, des manifestations ont lieu durant la Révolution de Velours. Un nouveau gouvernement non communiste est formé le 10 décembre. Puis c’est au tour de la République socialiste de Ceausescu de disparaître, mais la révolution en Roumanie ne se fait pas sans violence. En 1990, c’est la réunification de l’Allemagne. En Pologne, un président prend ses fonctions le 21 décembre. En Yougoslavie, les différentes républiques organisent leurs premières élections libres, mais les communistes restent au pouvoir en Serbie et au Monténégro. En décembre, l’Albanie s’ouvre à son tour à la démocratie. Enfin, le 26 décembre 1991, après que chacune des républiques ait proclamé son indépendance, L’Union soviétique est officiellement dissoute et remplacée par la Communauté des Etats indépendants.  Mais la signification qu’on avait donnée à 1989, c’est-à-dire l’espoir de la diffusion de la démocratie dans le monde, a été remise en cause par les attentats du 11 septembre 2001. Ceux-ci peuvent être interprétés comme le refus de la mondialisation, plus particulièrement comme le refus du modèle américain, et donc du libéralisme démocratique. En effet, cette mondialisation, qui fait vivre toute l’humanité dans la simultanéité et uniformise la planète, a aussi fait prendre conscience
aux diverses civilisations de leurs différences et a révélé leurs divergences. Certaines ont tout simplement refusé de se conformer au modèle qui s’imposait à elles. Le 11 septembre 2001 marque donc un tournant dans l’histoire, annonçant de grands changements et mettant peut-être un point final au XXe siècle. Cependant, il est encore trop tôt pour trancher entre 1989 et 2001 : cette décision nécessite du recul. Peut-être le XXe siècle n’a-t-il même pas encore touché à sa fin : il est possible qu’un nouvel événement provoquant de grands bouleversements puisse définitivement y mettre un terme. Les évènements du 11 septembre 2001 sont venus remettre en cause la fin du XXe siècle marquée par la chute du mur de Berlin. Il paraît alors difficile de concevoir que 1989 aurait pu mettre un terme à l’histoire. Sans compter que la théorie de la fin de l’histoire, telle que la conçoit Fukuyama, pouvait être contestée par l’existence, à l’heure actuelle, de plusieurs idéologies, et par la fragilité des démocraties libérales, soumises à une potentielle double menace. Si choisir les évènements délimitant les siècles est un exercice réalisable avec le recul, il paraît plus difficile de décider d’une date de fin de l’histoire. En effet, comment juger la « fin « d’une histoire qui n’est jamais éteinte ni achevée, mais toujours en train de se construire.

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