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Approche anthropologique de l’Autre Claude LÉVI-STRAUSS

Publié le 24/03/2020

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Approche anthropologique de l’Autre

Claude LÉVI-STRAUSS

né en 1908 Tristes Tropiques (1955)

Aucune société n’est parfaite. Toutes comportent par nature une impureté incompatible avec les normes qu’elles proclament et qui se traduit concrètement par une certaine dose d’injustice, d’insensibilité, de cruauté. Comment évaluer cette dose ? L’enquête ethnographique y parvient. Car, s’il est vrai que la comparaison d’un petit nombre de sociétés les fait apparaître très différentes entre elles, ces différences s’atténuent quand le champ d’investigation s’élargit. On découvre alors qu’aucune société n’est foncièrement bonne ; mais aucune n’est absolument mauvaise ; toutes offrent certains avantages à leurs membres, compte tenu d’un résidu d’iniquité dont l’importance paraît approximativement constante et qui correspond peut-être à une inertie spécifique qui s’oppose, sur le plan de la vie sociale, aux efforts d’organisation.

Cette proposition surprendra l’amateur de récits de voyages, ému au rappel des coutumes « barbares » de telle ou telle peuplade. Pourtant, ces réactions à fleur de peau ne résistent pas à une appréciation correcte des faits et à leur rétablissement dans une perspective élargie. Prenons le cas de l’anthropophagie qui, de toutes les pratiques sauvages, est sans doute celle qui nous inspire le plus d’horreur et de dégoût. On devra d’abord en dissocier les formes proprement alimentaires, c’est-à-dire celles où l’appétit pour la chair humaine s’explique par la carence d’autre nourriture animale, comme c’était le cas dans certaines îles polynésiennes. De telles fringales, nulle société n’est moralement protégée ; la famine peut entraîner les hommes à manger n’importe quoi : l’exemple récent des camps d’extermination le prouve.

Restent alors les formes d’anthropophagie qu’on peut appeler positives, celles qui relèvent de causes mystiques, magiques ou religieuses : ainsi l’ingestion d’une parcelle du corps d’un ascendant ou d’un fragment d’un cadavre ennemi pour permettre l’incorporation de ses vertus ou encore la neutralisation de son pouvoir ; outre que de tels rites s’accomplissent le plus souvent de manière fort discrète, portant sur de menues quantités de matière organique pulvérisée, ou mêlée à d’autres aliments, on reconnaîtra, même quand elles revêtent des formes plus

« VISAGES DE L'INCONNU l franches, que la condamnation morale de telles coutumes implique, soit une croyance dans la résurrection corporelle qui serait compromise par 35 la destruction matérielle du cadavre, soit l'affirmation d'un lien entre l'âme et le corps et le dualisme correspondant, c'est-à-dire des convic­ tions qui sont de même nature que celles au nom desquelles la consom­ mation rituelle est pratiquée et que nous n'avons pas de raison de leur préférer.

D'autant plus que la désinvolture vis-à-vis de la mémoire du 40 défunt, dont nous pourrions faire grief au cannibalisme, n'est certaine­ ment pas plus grande, bien au contraire, que celle que nous tolérons dans les amphithéâtres de dissection.

Mais surtout, nous devons nous persuader que certains usages qui nous sont propres, considérés par un observateur relevant d'une société 45 différente, lui apparaîtraient de même nature que cette anthropophagie qui nous semble étrangère à la notion de civilisation.

Tristes Tropiques, © Éd.

Pion, 1973.

(è l~diquez les étapes de l'argumentation.

1 • • Quelle valeur revêt l'exemple de l'anthropophagie ? • qomment s'exprime, à travers ce texte, le relativisme de Lévi-Strauss? l >- Groupement de textes: voir 41 -55 -57.

100. »

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