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Article de presse: Accord de paix en Ulster

Publié le 17/01/2022

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10 avril 1998 - Après bien des péripéties, un retard d'une journée et de belles heures de suspense, protestants et catholiques d'Irlande du Nord, sous les pressions conjuguées des premiers ministres de Londres et de Dublin, du médiateur américain George Mitchell puis, en dernière minute, du président Bill Clinton, ont conclu, vendredi soir 10 avril, un accord susceptible de ramener la paix en Ulster. Il devrait mettre fin à trente années de guerre civile qui ont fait quelque 3 000 morts. Il donne satisfaction - en partie - à la majorité protestante de la province qui - unioniste ou loyaliste - entend qu'elle reste dans le Royaume-Uni ou, du moins, qu'un changement de statut ne puisse être acquis que par un vote. Mais l'accord va dans le sens voulu aussi par les républicains - partisans du rattachement de la province à la République d'Irlande - en mettant en place un conseil Nord-Sud gérant certains problèmes communs à l'île : économie, agriculture, pêcheries. Les républicains peuvent y voir les prémices d'une réunification de l'Irlande. Enfin, l'accord prévoit que la province sera gouvernée par une assemblée et un exécutif locaux. L'ensemble sera soumis à référendum en Ulster et en République d'Irlande, où il suppose une modification de la Constitution. L'accord a été annoncé avec une journée de retard. On avait d'abord cru que ce serait le Sinn Fein, la branche politique de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), qui poserait le plus de problèmes étant donné que son objectif de réunification de l'île était repoussé dans le futur. Ce sont finalement les unionistes de David Trimble - probable futur " premier ministre " de la province - qui ont retardé l'issue. Assurances écrites Des divergences sont en effet apparues au sein de l'Ulster Unionist Party (UUP) entre les modérés qui avaient piloté la négociation et les durs, qui ont de la peine à accepter un partage du pouvoir au sein de la future assemblée et de l'exécutif et n'ont pas abandonné leur objectif d'exclure le Sinn Fein du processus de paix. Des assurances écrites de Tony Blair sur le désarmement des groupes paramilitaires et l'intervention de dernière minute du président américain, Bill Clinton, ont permis de débloquer la situation. Tout comme le soutien à l'accord, immédiat et total, de l'opposition conservatrice et de la reine, symbole de l'Union. M. Trimble est parvenu à calmer pour le moment cette dissidence en affirmant que l'union avec la Grande-Bretagne était désormais plus solide qu'avant et par des propos très violents contre le Sinn Fein qui doit, selon lui, mettre fin à sa " sale petite guerre " s'il veut enfin être reconnu comme un parti démocratique. Il est significatif qu'il n'ait pas posé les mêmes exigences aux petits partis protestants issus du terrorisme, et que tous les autres participants à la négociation aient accepté la présence du Sinn Fein. Mais ce qui a le plus aidé à parvenir à cet accord, qui n'a fait l'objet d'aucune signature et devra être ratifié par les comités centraux des unionistes et du Sinn Fein, ce sont les efforts de Tony Blair et de son homologue irlandais, Bertie Ahern, pour trouver des accommodements entre des positions longtemps antagonistes. Le premier ministre britannique a observé : " L'idée que, quand un camp gagne, l'autre perd, a fait son temps. Il n'y aura que des vainqueurs ou des perdants. " Et il est parvenu à coucher sur le papier cette philosophie en s'appuyant sur le " principe de consentement " . Ce principe se retrouve à toutes les étapes du long texte - 69 pages - rendu public vendredi soir sur les nouvelles institutions " liées et interdépendantes " . L'administration future de la province sera le fait d'un exécutif de douze ministres issu d'une assemblée de 108 membres élus à la proportionnelle. Le partage du pouvoir s'appliquera à ces institutions en particulier au sein de l'exécutif où tous les partis ayant des élus seront représentés, pour assurer la protection des minorités. Il s'agit là d'un compromis entre nationalistes, qui exigeaient des garanties, et unionistes qui étaient peu favorables à un Parlement local doté de pouvoirs étendus. M. Trimble devrait devenir le premier chef de cet exécutif. Compromis Les unionistes se méfiaient également des institutions transfrontalières prévues par MM. Ahern et Blair, dans lesquelles ils disaient voir les prémices d'une réunification sournoise de l'île et l'annonce d'ingérences inacceptables de Dublin dans leurs affaires intérieures. Les nationalistes, comme le Sinn Fein et M. Ahern, en faisaient un préalable à tout accord. Un compromis a été trouvé. Le conseil ministériel Nord-Sud sera composé de ministres des deux parties de l'île ; il aura pour objet, au début, d'engager la coopération entre elles dans des domaines tels que l'éducation ou l'agriculture, étant donné que les Parlements de Dublin et de Belfast auront un droit de regard sur son fonctionnement. Pour empêcher les unionistes de bloquer ce processus, l'Assemblée pourra être suspendue si le conseil n'est pas mis en place dans un délai d'un an. Troisième volet du dispositif, un conseil britanno-irlandais composé de représentants des gouvernements britannique et irlandais et des autorités autonomes nord-irlandaise, écossaise et galloise. Réclamé par les unionistes, il a pour objet d'ancrer la province dans le Royaume-Uni et de faire contrepoids au conseil Nord-Sud, mais son rôle sera essentiellement consultatif. Ces nouvelles institutions, de même que les questions concernant l'adoption d'une déclaration des droits de l'homme, la police ou les prisonniers politiques, feront l'objet d'un référendum le 22 mai 1998. Républicains et loyalistes ont obtenu que leurs camarades détenus soient libérés dans les deux ans. La création de ces institutions fera l'objet d'un traité anglo-irlandais. Les Irlandais vont amender les articles 2 et 3 de leur Constitution qui prévoient l'unification de l'île. Les électeurs devront ratifier une nouvelle version qui reconnaît que cet objectif ne peut être obtenu que " par le consentement d'une majorité de la population " (sous-entendu de l'île, donc incluant les protestants du Nord). Clé de voûte de tout le dispositif, le " consentement " a permis de faire accepter bien des concessions de part et d'autre. Il a été possible de maintenir une certaine ambiguïté qui a contribué à rassurer les deux bords. Ainsi les unionistes peuvent-ils affirmer que l'Union est préservée - puisqu'il y a actuellement une majorité en sa faveur - et les nationalistes que l'unité de l'Irlande demeure possible puisqu'ils espèrent devenir majoritaires un jour. PATRICE DE BEER Le Monde du 13 avril 1998

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