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Article de presse: Un accord de paix a été conclu en Ulster

Publié le 17/01/2022

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10 avril 1998 - Pour remonter aux sources du conflit irlandais, il faut aller jusqu'à la première invasion normande, au XIIe siècle, et à la bénédiction donnée par l'unique pape anglais de l'histoire, Adrien IV, à la colonisation de l'Irlande. Mais c'est à partir des rois Tudor, en particulier Henri VIII au seizième siècle, et de Cromwell que la politique de soumission brutale des catholiques et de peuplement de l'Ulster par des colons protestants commence à semer les germes de la confrontation. La libération du Sud à l'issue de la guerre d'indépendance de 1919-1921 a abouti, l'année suivante, à la partition de l'île, le Nord, à majorité protestante et unioniste (favorable à l'union avec la Grande-Bretagne), restant sous suzeraineté britannique. L'histoire pèse dans un pays où la mémoire est si vivace et où le descendant d'un fait d'armes remontant à plusieurs siècles - et considéré, selon les camps, comme un résistant ou un traître - reste encore marqué du sceau de l'infamie perpétrée par ses ancêtres. L'ancien sénateur américain George Mitchell, qui, en tant que représentant du grand frère américain, préside aux pourparlers de paix, a raconté comment l'un de ses interlocuteurs, venu lui exposer ses positions, en était encore à des considérations historiques à la fin du temps imparti. Ainsi est-on parfois surpris d'entendre un protestant s'emporter contre les " papistes " ou les " Fenians " , du nom des républicains du XIXe siècle. Si les troubles ont véritablement commencé en 1969 avec le début de la campagne des catholiques pour leurs droits civiques, les Irlandais ont toujours dans leur tête ces références qui, en plus de leur religion, forment leur culture, ou " tradition " comme l'on dit ici. Marqués par une conscience majoritaire depuis des générations dans la province, les protestants ont peine à admettre qu'il leur faudra partager un pouvoir longtemps monopolisé et, pis encore, qu'ils pourraient devenir minoritaires d'ici une vingtaine d'années. Pour leur part, les catholiques - ou nationalistes - ont conservé une mentalité de victimes, marginalisés par des institutions taillées sur mesure pour les unionistes et longtemps l'objet d'une discrimination dans la vie professionnelle et politique. Ainsi les nationalistes ont-ils exigé, et tout récemment obtenu, l'ouverture d'une nouvelle enquête sur le Bloody Sunday, ce dimanche sanglant du 30 janvier 1972 où l'armée britannique tira sur des civils de Londonderry, tuant quatorze personnes, faisant ainsi le lit d'une IRA alors moribonde. Il y allait de la reconnaissance de leur dignité bafouée et de leur importance numérique croissante, puisqu'ils forment désormais 45 % de la population. Il aura fallu vingt-six ans avant que le gouvernement britannique, en la personne de Tony Blair, accepte d'engager un processus qui ne peut que se conclure par une remise en cause du comportement des paras anglais. Répression ciblée N'admettant pas la valeur symbolique de ce dossier brûlant, les dirigeants unionistes se sont opposés jusqu'au bout à son réexamen, sous le prétexte qu'il ne fallait pas rouvrir les anciennes blessures. De même qu'ils avaient refusé d'accueillir des symboles catholiques - comme la feuille de trèfle - dans la salle du Parlement du Stormont à Belfast. Ou que le député unioniste Ken Maginnis, pourtant réputé modéré, a récemment jeté dans la Tamise le décor irlandais installé par le personnel du bar de la Chambre des communes à l'occasion de la Saint Patrick. Ces querelles tribales ont fait plus de trois mille morts en trente ans, victimes des terroristes des deux camps - républicains de l'IRA et loyalistes de l'UDA, de l'UFF ou de la Main rouge - comme d'une répression des forces de l'ordre ciblée essentiellement contre les catholiques. Elles n'ont pas cessé d'irriter les Britanniques. Le moins que l'on puisse dire est que ceux-ci ont une appréciation diverse des Irlandais, de quelque confession qu'ils soient, souvent qualifiés de braillards, batailleurs et buveurs. Les Anglais n'ont pas toujours voulu saisir toutes les données du drame irlandais, dont ils sont pourtant à l'origine historique, et qui ne serait pour eux qu'un événement marginal s'il n'avait atteint leur territoire sous la forme de sanglants attentats de l'IRA. Accueillis en libérateurs par des catholiques malmenés par l'appareil politique protestant, les soldats britanniques ont vite été considérés comme l'ennemi. Après le Bloody Sunday, une IRA revigorée par une nouvelle vague de dirigeants - dont Gerry Adams et Martin McGuinness, aujourd'hui à la tête du Sinn Fein - a lancé une guerre sans merci à " l'occupant " , marquée par de multiples bavures aussi atroces les unes que les autres. Parallèlement, les tueurs loyalistes ont assassiné de nombreux catholiques pour le seul crime d'être nés dans le mauvais quartier, parfois avec la connivence des forces de l'ordre. Belfast était un camp retranché, le sud du comté d'Armagh - le bandit country - avait un air de pays en état de vraie guerre. En 1974, les dirigeants nationalistes avaient déjà fait capoter l'accord de Sunningdale, qui prévoyait un partage du pouvoir entre les deux communautés. Au début des années 80, la mort de Bobby Sands et de ses codétenus grévistes de la faim n'avait pas entamé l'intransigeance de Margaret Thatcher. La Dame de fer n'engagea pas moins, en 1985, un processus de négociations en reconnaissant à Dublin un droit de regard sur l'Ulster. 1994, premier cessez-le-feu Huit ans plus tard, son successeur, John Major, ouvrait des négociations secrètes avec l'IRA sur les moyens de mettre un terme à la violence en Irlande du Nord. N'ayant pu vaincre les républicains sur le terrain de la répression comme de la propagande, Londres s'était résolue à une solution négociée. Le 31 août 1994, l'IRA proclamait un cessez-le-feu suivi, le 13 octobre, par les paramilitaires loyalistes. Le 9 décembre, Londres ouvrait les premiers pourparlers directs avec le Sinn Fein. Ce geste historique allait être suivi de discussions sur l'avenir de la province entre Londres, Dublin et les parties au conflit. Il en résulta l'accord-cadre de 1995, qui est à l'origine des propositions de compromis actuelles. Mais le processus s'est vite enlisé, John Major, dont la majorité aux Communes ne cessait de s'effilocher, étant soumis aux pressions du Parti unioniste UUP de David Trimble. La dynamique, qui avait éveillé d'immenses espoirs de paix dans la province, allait se briser quand le premier ministre conservateur prit ses distances avec la proposition de pourparlers multipartites présentée par George Mitchell. Dublin était furieux, l'IRA rompit la trêve de manière spectaculaire en posant une bombe dans le quartier des affaires de Canary Wharf, le 9 février 1996, faisant deux morts. Ponctués d'attentats meurtriers, les dix-sept mois qui ont précédé le second cessez-le-feu de l'IRA, le 20 juillet, après l'élection de Tony Blair, n'ont pas été perdus. Après avoir cru à la paix, les négociateurs - y compris ceux qui étaient la vitrine politique des terroristes - ont vu avec frayeur revenir le spectre d'une guerre de rue à laquelle nombre d'entre eux avaient survécu de justesse. L'opinion, catholique comme protestante, ne voulait pas d'un retour aux années de plomb. Les contacts ne furent pas rompus, tandis que Bill Clinton pesait de tout son poids en faveur d'un règlement politique. Ce n'est pas faire trop d'honneur à M. Blair que de dire que son arrivée aura tout changé. Auréolé d'une majorité introuvable, cet homme, marié à une catholique et d'ascendance maternelle protestante d'Ulster, s'est immédiatement attelé à la tâche ingrate et risquée de convaincre toutes les parties de s'asseoir à la même table. Psychodrame Aidé par Mo Mowlam, sa secrétaire d'Etat aux affaires d'Irlande du Nord, qui a insufflé un nouveau style, plus direct et moins compassé, il y est parvenu quand les pourparlers de paix se sont ouverts le 15 septembre 1997 à Belfast. Il lui avait fallu convaincre le Sinn Fein d'accepter le jeu démocratique et de renoncer à la violence, mais aussi l'UUP de siéger dans la même salle que d'anciens hommes de l'IRA. L'autre parti unioniste, le DUP du pasteur Ian Paisley, irréductible de l'anti-papisme, boycotte la négociation. Depuis lors, les sessions se sont succédé au Stormont dans une curieuse atmosphère de psychodrame où alternaient coopération et suspicion mutuelle, optimisme et pessimisme. L'UUP a toujours refusé tout contact direct avec le Sinn Fein, répétant comme pour s'en convaincre que l'IRA était sur le point de reprendre les hostilités. Partisan des réformes minimales, du maintien des liens traditionnels avec la Couronne, et opposé à ce qu'il considère comme des ingérences de Dublin dans les affaires de la province, M. Trimble s'est efforcé de limiter au maximum la portée des institutions transfrontalières prévues dans l'accord Major-Bruton de 1995. Il sait pourtant que celles-ci sont considérées par les nationalistes, le Sinn Fein et Dublin comme les garanties minimales des droits de la minorité. Autoritaire, comme à son habitude, M. Blair avait fixé une date-butoir aux négociations - le week-end de Pâques - et annoncé qu'un référendum aurait lieu en mai pour appeler les Irlandais du Nord à se prononcer sur le plan de paix, tandis que ceux du Sud voteraient sur une modification de leur Constitution, qui proclame l'unité de l'île. Cajolant et forçant alternativement la main à ses interlocuteurs, établissant des relations de travail confiantes - bien que non dépourvues de divergences - avec son homologue irlandais Bertie Ahern, il a contraint les parties à hâter le pas au lieu de se complaire dans leurs querelles de clocher. Les dernières semaines auront été menées à la hussarde, les négociateurs passant même leurs derniers jours en conclave quotidien devant leurs ultimes responsabilités, tandis que M. Ahern et M. Blair mettaient la dernière main à leur compromis. La paix était sans doute à ce prix. PATRICE DE BEER Le Monde du 13 avril 1998

« Huit ans plus tard, son successeur, John Major, ouvrait des négociations secrètes avec l'IRA sur les moyens de mettre un termeà la violence en Irlande du Nord.

N'ayant pu vaincre les républicains sur le terrain de la répression comme de la propagande,Londres s'était résolue à une solution négociée. Le 31 août 1994, l'IRA proclamait un cessez-le-feu suivi, le 13 octobre, par les paramilitaires loyalistes.

Le 9 décembre,Londres ouvrait les premiers pourparlers directs avec le Sinn Fein.

Ce geste historique allait être suivi de discussions sur l'avenirde la province entre Londres, Dublin et les parties au conflit.

Il en résulta l'accord-cadre de 1995, qui est à l'origine despropositions de compromis actuelles. Mais le processus s'est vite enlisé, John Major, dont la majorité aux Communes ne cessait de s'effilocher, étant soumis auxpressions du Parti unioniste UUP de David Trimble.

La dynamique, qui avait éveillé d'immenses espoirs de paix dans la province,allait se briser quand le premier ministre conservateur prit ses distances avec la proposition de pourparlers multipartites présentéepar George Mitchell.

Dublin était furieux, l'IRA rompit la trêve de manière spectaculaire en posant une bombe dans le quartierdes affaires de Canary Wharf, le 9 février 1996, faisant deux morts. Ponctués d'attentats meurtriers, les dix-sept mois qui ont précédé le second cessez-le-feu de l'IRA, le 20 juillet, après l'électionde Tony Blair, n'ont pas été perdus.

Après avoir cru à la paix, les négociateurs - y compris ceux qui étaient la vitrine politique desterroristes - ont vu avec frayeur revenir le spectre d'une guerre de rue à laquelle nombre d'entre eux avaient survécu de justesse.L'opinion, catholique comme protestante, ne voulait pas d'un retour aux années de plomb.

Les contacts ne furent pas rompus,tandis que Bill Clinton pesait de tout son poids en faveur d'un règlement politique. Ce n'est pas faire trop d'honneur à M.

Blair que de dire que son arrivée aura tout changé.

Auréolé d'une majorité introuvable,cet homme, marié à une catholique et d'ascendance maternelle protestante d'Ulster, s'est immédiatement attelé à la tâche ingrateet risquée de convaincre toutes les parties de s'asseoir à la même table. Psychodrame Aidé par Mo Mowlam, sa secrétaire d'Etat aux affaires d'Irlande du Nord, qui a insufflé un nouveau style, plus direct et moinscompassé, il y est parvenu quand les pourparlers de paix se sont ouverts le 15 septembre 1997 à Belfast.

Il lui avait falluconvaincre le Sinn Fein d'accepter le jeu démocratique et de renoncer à la violence, mais aussi l'UUP de siéger dans la mêmesalle que d'anciens hommes de l'IRA.

L'autre parti unioniste, le DUP du pasteur Ian Paisley, irréductible de l'anti-papisme,boycotte la négociation. Depuis lors, les sessions se sont succédé au Stormont dans une curieuse atmosphère de psychodrame où alternaientcoopération et suspicion mutuelle, optimisme et pessimisme.

L'UUP a toujours refusé tout contact direct avec le Sinn Fein,répétant comme pour s'en convaincre que l'IRA était sur le point de reprendre les hostilités.

Partisan des réformes minimales, dumaintien des liens traditionnels avec la Couronne, et opposé à ce qu'il considère comme des ingérences de Dublin dans lesaffaires de la province, M.

Trimble s'est efforcé de limiter au maximum la portée des institutions transfrontalières prévues dansl'accord Major-Bruton de 1995.

Il sait pourtant que celles-ci sont considérées par les nationalistes, le Sinn Fein et Dublin commeles garanties minimales des droits de la minorité. Autoritaire, comme à son habitude, M.

Blair avait fixé une date-butoir aux négociations - le week-end de Pâques - et annoncéqu'un référendum aurait lieu en mai pour appeler les Irlandais du Nord à se prononcer sur le plan de paix, tandis que ceux du Sudvoteraient sur une modification de leur Constitution, qui proclame l'unité de l'île.

Cajolant et forçant alternativement la main à sesinterlocuteurs, établissant des relations de travail confiantes - bien que non dépourvues de divergences - avec son homologueirlandais Bertie Ahern, il a contraint les parties à hâter le pas au lieu de se complaire dans leurs querelles de clocher.

Lesdernières semaines auront été menées à la hussarde, les négociateurs passant même leurs derniers jours en conclave quotidiendevant leurs ultimes responsabilités, tandis que M.

Ahern et M.

Blair mettaient la dernière main à leur compromis.

La paix étaitsans doute à ce prix. PATRICE DE BEER Le Monde du 13 avril 1998. »

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